Hommage à la Légion: Extraits  de  l’historique du

 Régiment de Marche de la Légion étrangère

3ème Régiment Etranger d'Infanterie.

Préface de Monsieur Doumic

 secrétaire perpétuel

de l'Académie

française

1926:

"C'est chez Alexandre Dumas fils que j'ai, voilà quelques trente ans, fait pour la première fois connaissance avec la Légion étrangère. Venez, m'avait dit l'illustre écrivain : vous vous rencontrerez avec un auteur dramatique qui ne ressemble pas aux autres. Cet auteur dramatique et ce poète, qui venait de faire représenter une pièce en vers à la Comédie-Française, s'appelait le Vicomte de Borelli. Il avait écrit, à l'honneur de la Légion, des vers restés fameux. Je l'ai entendu tout un jour, sous les ombrages de Marly, évoquer les actions héroïques simplement accomplies sous ses yeux, et dessiner en traits inoubliables de fières et pittoresques silhouettes de légionnaires. Mais c'est un autre jour que j'ai contracté avec la Légion des liens auxquels convient le seul nom de fraternels.

Le tragique mois d'août 1914 s'achevait. Mon frère, l'architecte Max Doumic âgé de cinquante-deux ans, ancien officier de réserve, sans même attendre la déclaration de guerre, avait demandé à reprendre du service. Depuis lors, il s'enfiévrait, enviant tous ces jeunes qui partaient. Jusqu'à mon dernier souffle, je le reverrai, tel qu'il arriva chez moi, ce jour-là, n'ayant pris que le temps de revêtir sa tenue militaire. Il me tendit sa feuille de route où je lus qu'il était affecté au 2ème Régiment de marche du 1er Étranger. De ma vie je n'ai vu sur un visage humain pareil rayonnement de joie et de fierté. Après une période d'instruction à Bayonne, il n'admit pas qu'un autre que lui conduis au feu les combattants qu'il avait formés. Frappé à mort dans les tranchées au bois des Zouaves, défense avancée de Reims, il fut pleuré comme un père par ses volontaires polonais, qui lui élevèrent un monument où se lisait cette inscription : "A leur lieutenant bien-aimé !" Depuis lors, j'ai recueilli le témoignage de beaucoup d entre eux. Ils l'aimaient, parce qu'il les avait compris. Il avait compris qu'ils n'étaient ni des mercenaires, ni même des nationaux accomplissant la plus noble des obligations. Ils étaient Venus de leur plein gré, dans un élan de gratitude pour le pays dont ils avaient reçu l'hospitalité. Ils étaient des hommes qui se dévouaient. Il fallait, en les commandant, tenir compte de cette nuance très délicate. Là, plus que partout ailleurs, il fallait que le soldat sentit tout près du sien le coeur de l'officier. Cette part prise à la Grande Guerre par les Volontaires étrangers restera, pour la France, une des pages les plus glorieuses de son histoire. Elle atteste le prestige du génie français à travers le monde. Ceux qui, pour avoir partagé notre vie, en ont pu goûter la saveur bienfaisante, ont jugé qu'elle était nécessaire à la civilisation universelle. Ils se sont levés pour sa défense. Ils ont témoigné pour elle jusqu'à la mort. Ainsi la conception initiale d'où est sortie la Légion étrangère s'est encore élargie. A la glorieuse Légion s'est ajoutée une gloire nouvelle. Désormais elle apparaîtra comme le cadre où, dès la première menace surgie à l'horizon, viendront s'inscrire et trouveront place tous ceux qui veulent que la France vive. C'est pourquoi aucun Français ne saurait prononcer son nom qu'avec admiration et reconnaissance. Qu'elle continue, sous toutes les latitudes, en face de tous les périls, à monter la garde pour l'idée française ! 0 Qu'elle continue d'être un incomparable réservoir de hardiesse, d'endurance et de dévouement! Au nom de tous ceux qui ont vu les Volontaires étrangers à l'oeuvre, qui les connaissent et qui les aiment, je salue la vieille Légion rajeunie par la Grande Guerre, auréolée par le sacrifice et consacrée par la victoire.

 

Conclusion:

La Discipline faisant la force principale des armées. Est-il besoin de rien ajouter ? Non, les faits sont plus éloquents que les paroles. Par les tableaux qu'il vient de parcourir le lecteur a pu se rendre compte du nombre et de la proportion des nationalités qui étaient représentées à la Légion, pendant la Grande Guerre, dans le corps d'officiers et dans la troupe. Cette statistique ne laisse pas d'être impressionnante, si on oppose à cette paradoxale diversité d'origine la cohésion absolue d'une troupe d'élite qui a forcé toutes les admirations. Les vertus militaires de la Légion ne sont point des formules creuses. Mais de la statistique par nationalités, il est utile de rapprocher le relevé des pertes tués, disparus, blessés.

Effectué par pointage serré sur les journaux de marche des régiments, ce relevé fait ressortir, de prime abord, un fait qui mérite d'être signalé : "Les pertes de la Légion sont minimes", au moins relativement, si on les compare à celles de l'ensemble des armées.

D'abord il y a assez peu de disparus, et parmi eux fort peu de prisonniers. Puis le total des pertes il n'atteint pas 11 000 est vraiment inférieur à ce qu'on pourrait croire, et à ce qu'on croit généralement. Car le public sait qu'il y a eu environ 35.000 engagés, sans parler des anciens. Et il sait aussi que le régiment de marche de la Légion étrangère quittant l'armée du Rhin en mars 1919, emmenait seulement 800 hommes en Afrique. A cette considérable fonte des effectifs, il y a fort heureusement d'autres causes que les pertes au feu. A vrai dire, il y a quelques pertes par maladie. Puis, et avant tout, il y a eu l'effet de certaines mesures organiques dont la réduction à un seul, dès 1915, du nombre des régiments de marche, a été le résultat direct : réforme prématurée des inaptes; annulation de l'engagement des indésirables, évacués sur les camps de concentration; passage à leur armée nationale de plusieurs milliers d'engagés; enfin, effet naturel de la cessation des hostilités, libération et des légionnaires, engagés pour la durée de la guerre, et de tous ceux qui, Français parvenus entre 1914 et 1918 au terme de leur contrat, avaient été retenus au corps comme réservistes les uns comme les autres ont été démobilisés en février 1919, laissant à sec le R. M. L. E. L'effectif engagé, de 8.000 environ en novembre 1914, a rapidement baissé pour les causes connues et s'est tenu entre fin 1915 et fin 1918 au chiffre de 2800. En moyenne, cela correspondrait à un effectif d'environ 3500 hommes ayant fait toute la guerre et sans ménagement.                                                                 

Cet effectif n'aurait guère été dépensé que trois fois : bien nombreux sont les régiments de l'infanterie française ayant renouvelé huit et dix fois leurs effectifs ! Sans doute la Légion n'a pas fait les trois premiers mois de la campagne, mais cela ne suffit pas à expliquer l'amplitude des écarts. Il faut en chercher la raison dans la valeur exceptionnelle de l'encadrement. Pendant toute la guerre, le régiment de marche de la Légion étrangère a reçu, goutte à goutte, des officiers, gradés et vieux légionnaires qui débarquaient d'Orient, d'Algérie, du Tonkin, du Maroc. Leur arrivée comblait des vides, atténuait la gravité des pertes, permettait de ne faire qu'à bon escient les nominations de gradés, maintenait, pour ainsi dire, le titre de l'alliage. Les jeunes avaient infusé un sang nouveau, ils avaient apporté l'enthousiasme, feu clair qu'il faut entretenir. Les anciens étaient le vieux sang, ils portaient la tradition, flambeau avec eux que les générations se passent, et qui ne s'éteindra point !"

René Doumic Secrétaire perpétuel de l'Académie Française 1926.

 

La Légion Etrangère

Étrangère ? Non pas. 0 France,

depuis quand le baptême du sang n'est-il

plus un baptême. Qui  donc  vous  reniera  français

sans un blasphème, Martyrs de Camerone, héros

de Tuyen-Quang ? Oui, vous êtes Français, et

nôtre est votre gloire; Nôtres sont les

lauriers  dont  vos  fronts  sont

fleuris; Et  parmi  les  plus

beaux feuillets de

notre histoire

Notre orgueil compte

ceux que  vous avez écrits.

Et  vous, qui  sous  les  plis  du

drapeau de la France Ayant même regret,

avez même espérance, Vous nommer « étrangers »,

quel traître l'osera ? Enfants de notre Alsace et de notre

Lorraine. Augustes forgerons qui ressoudez la chaîne

Du grand-père français au fils qui le sera ! Dachères

(fin du XIXème siècle).

 

 

A MES SOLDATS QUI SONT MORTS:

Des vers, pour finir des vers de soldat, de beaux vers lumineux, enthousiastes, émouvants, que l'Académie Française a couronnés, que jadis tous les officiers de la Vieille Légion savaient par coeur. Jadis car ce ne sont pas les morts de la grande guerre qui ont inspiré ces accents pourtant si dignes d'eux. Ce sont les morts de Tuyen-Quang.

À Thiébald Streibler qui m'a donné sa vie le 3 mars 1885 très spécialement sont dédiés ces vers (1)

 

Mes compagnons, c'est moi ; mes bonnes gens de guerre,

C'est votre chef d'hier qui vient parler ici

De ce qu'on ne sait pas, ou que l'on ne sait guère ;

Mes morts, je vous salue et je vous dis : Merci.

Il serait temps qu'en France on se prit de vergogne

A connaître aussi mal la vieille Légion,

De qui, pour l'avoir vue dans sa dure besogne,

J'ai le très grand amour et la religion.

Or, écoutez ceci : « Déserteurs! Mercenaires !

Ramassis d'étrangers sans honneur et sans foi! »

C'est de vous qu'il s'agit ; de vous, Légionnaires!

Ayez-en le coeur net, et demandez pourquoi ?

Sans honneur? Ah passons! Et sans foi? Qu'est-ce à dire?

Que fallait-il de plus et qu'aurait-on voulu?

N'avez-vous pas tenu, tenu jusqu'au martyre

La parole donnée et le marché conclu ?

Mercenaires ? Sans doute : il faut manger pour vivre;

Déserteurs ? Est-ce à nous de faire ce procès ?

Étrangers ? Soit. Après ? Selon quel nouveau livre

Le maréchal de Saxe était-il donc Français ?

Et quand donc les Français voudront-ils bien entendre

Que la guerre se fait dent pour dent, oeil pour oeil,

Et que ces étrangers qui sont morts, à tout prendre,

Chaque fois, en tombant, leur épargnaient un deuil ?

Aussi bien, c'est assez d'inutile colère,

Vous n'avez pas besoin d'être tant défendus :

Voici le Fleuve Rouge et la Rivière Claire,

Et je parle, à vous seuls, de vous que j'ai perdus!

Jamais Garde de Roi, d'Empereur, d'Autocrate,

De Pape ou de Sultan ; jamais nul régiment

Chamarré d'or, drapé d'azur ou d'écarlate,

N'alla d'un air plus mâle et plus superbement.

Vous aviez des bras forts et des tailles bien prises,

Que faisaient mieux valoir vos hardes en lambeaux ;

Et je rajeunissais à voir vos barbes grises,

Et je tressaillais d'aise à vous trouver si beaux.

Votre allure était simple et jamais théâtrale;

Mais, le moment venu, ce qu'il eût fallu voir,

C'était votre façon hautaine et magistrale

D'aborder le « Céleste » ou de le recevoir.

On fait des songes fous, parfois, quand on chemine,

Et je me surprenais en moi-même à penser,

Devant ce style à part et cette grande mine,

Par où nous pourrions bien ne pas pouvoir passer?

J'étais si sûr de vous! Et puis, s'il faut tout dire,

Nous nous étions compris : aussi, de temps en temps,

Quand je vous regardais vous aviez un sourire,

Et moi je souriais de vous sentir contents.

Vous aimiez, troupe rude et sans pédanterie,

Les hommes de plein air et non les professeurs ;

Et l'on mettait, mon Dieu, de la coquetterie

A faire de son mieux, vous sachant connaisseurs.

Mais vous disiez alors : « La chose nous regarde,

Nous nous passerons bien d'exemples superflus ;

Ordonnez seulement, et prenez un peu garde,

On vous attend, et nous, on ne nous attend plus! »

Et je voyais glisser sous votre front austère

Comme un clin d'oeil ami doucement aiguisé,

Car vous aviez souvent épié le mystère

D'une lettre relue ou d'un portrait baisé.

N'ayant à vous ni nom, ni foyer, ni patrie,

Rien où mettre l'orgueil de votre sang versé,

Humble renoncement, pure chevalerie,

C'était dans votre chef que vous l'aviez placé.

Anonymes héros, nonchalants d'espérance,

Vous vouliez, n'est-ce pas ? Qu’à l'heure du retour,

Quand il mettrait le pied sur la terre de France,

Ayant un brin de gloire, il eût un peu d'amour.

Quant à savoir si tout s'est passé de la sorte,

Et si vous n'êtes pas restés pour rien là-bas,

Si vous n'êtes pas morts pour une chose morte,

0 mes pauvres amis, ne le demandez pas !

Dormez dans la grandeur de votre sacrifice,

Dormez, que nul regret ne vous vienne hanter;

Dormez dans cette paix large et libératrice

Où ma pensée en deuil ira vous visiter!

Je sais où retrouver, à leur suprême étape,

Tous ceux dont la grande herbe a bu le sang vermeil.

Et ceux qu'ont engloutis les pièges de la sape,

Et ceux qu'ont dévorés la fièvre et le soleil;

Et ma pitié fidèle, au souvenir unie,

Va, du vieux WUNDERLI qui tomba le premier,

En suivant une longue et rouge litanie,

Jusqu'à toi, mon STREIBLER, qu'on tua le dernier !

D'ici je vous revois, rangés à fleur de terre

Dans la fosse hâtive où je vous ai laissés,

Rigides, revêtus de vos habits de guerre

En d'étranges linceuls faits de roseaux tressés.

Les survivants ont dit et j'ai servi de prêtre !

L'adieu du camarade à votre corps meurtri;

Certain geste fut fait bien gauchement peut-être :

Pourtant je ne crois pas que personne n’en ait ri!

Quelqu'un vous recevait dans sa gloire étoilée

Et bénissait d'en haut ceux qui priaient en bas,

Quand je disais pour tous, d'une voix étranglée,

Le Pater et l'Ave que tous ne savaient pas !

Compagnons, j'ai voulu vous parler de ces choses,

Et dire en peu de mots pourquoi je vous aimais :

Lorsque l'oubli se creuse au long des tombes closes,

Je veillerai du moins et n'oublierai jamais.

Si parfois, dans la jungle où le tigre vous frôle

Et que n'ébranle plus le recul du canon,

Il vous semble qu'un doigt se pose à votre épaule,

Si vous croyez entendre appeler votre nom,

Soldats qui reposent sous la terre lointaine,

Et dont le sang donné me laisse des remords,

Dites-vous simplement : « C'est notre Capitaine

Qui se souvient de nous, et qui compte ses morts. »

 

 

(I) Thiébald Streibler, Alsacien, légionnaire modèle, était l'ordonnance du capitaine De Borelli. Le dernier jour, dans la sortie triomphante qui forçait la levée du siège, Streibler s'était fait tuer pour son capitaine, en se jetant devant lui sur le fusil d'un Chinois.

Capitaine Vicomte De Borelli