Antoine Sylvère, dit « Toinou »
En 1905, à 17 ans, il prend la fuite après avoir détourné 1 245,90 francs dans le bureau de poste d'Ambert où il travaille. Il s'engage pour deux ans dans la Légion étrangère, en Algérie. À cette époque, La Légion n'est pas engagée dans un conflit militaire, mais les bagarres entre recrues font souvent des victimes. Il écrit pourtant dans Le Légionnaire Flutsch : « On parle beaucoup de respecter la dignité humaine. Eh bien je regrette d'avoir à dire que c'est à la Légion étrangère que j'ai rencontré le plus grand respect pour la dignité humaine »
En 1906, il est condamné par contumace à 20 ans de travaux forcés, 20 ans d'interdiction de séjour et 3 000 francs d'amende pour le détournement de fonds. À son retour en 1907, il passe en jugement. Son avocat plaide le manque de discernement, puisqu'il était mineur au moment des faits. Ses excellents états de service dans la Légion plaident également en sa faveur et il est acquitté.
Recherches dans les archives les articles consacrés à Antoine Sylvère, auteur de plusieurs textes autobiographiques, dont Toinou, et Le Légionnaire Flutsch (livre qui était encore récemment offert à tout officier affecté à la Légion étrangère, par le général Le Corre, Comle.):


Dans l’un d’eux, dû à la plume de Gilles Lapouge (« Le Rachat par la légion », 26 novembre 1982), cette phrase : il « lisait aussi, au hasard des bivouacs, Jules Verne ou Biaise Pascal. »

A l'aise Biaise:
Le passage par les scanners archivistiques transforme beaucoup de « l » en « i », et c’est ainsi que nous avons trouvé Biaise au lieu de Blaise. Nous est revenue en mémoire cette chanson très drôle interprétée notamment par Marie-Paule Belle : La Biaiseuse (« y’a pas à s’inquiéter, elle est encore en train d’biaiser »).


La couverture que nous présentons ci-dessus est celle d’une édition de 1982 qui contient les deux textes. Antoine Sylvère, né en 1888, dans une famille de métayers, à Ambert (Puy de Dôme), écrivit Toinou en 1938 et le Légionnaire dans les années 1950. Les deux ont été publiés de façon posthume.
La sortie de Toinou, en 1980, dans la collection Terre humaine, fit beaucoup de bruit médiatique. Nous ne le lûmes pas à cette époque car un ami nous l’avait déconseillé pour son côté « larmoyant » et « misérabiliste ».
Découvert dans une bibliothèque amie, nous venons de le lire, quarante ans après, et nous ne l’avons trouvé ni larmoyant ni misérabiliste, même s’il raconte par le menu son enfance et son adolescence misérables, avec des parents satisfaits de leur condition proche de l’esclavage, contempteurs des « feignants » et pleins de respect pour leur patron, et l’école des Frères à Ambert, des frères cogneurs et pour certains également peloteurs, proches de l’abjection.
Lui, un « sabot », humilié et battu quotidiennement et qui ne serait jamais traité comme les « chaussures cirées » ; mis en usine (une fonderie) à treize ans, avec ses deux amis d’infortune, qui en mourront d’épuisement en deux ans. Il était attentif au sort des filles, qui pour peu qu’elles fussent jolies et n’aient pas les dents gâtées (le sort commun) devenaient ipso facto les proies des jeunes gens friqués du coin, avec expédition vers les bordels après avoir été « essayées ».
Tout cela lors de la si bien nommée « Belle Epoque ». C'était la fin du XIXe siècle, la Belle Epoque. " En ce temps-là, la France était encore le plus riche pays de la terre. Elle produisait trop de vin, trop de blé. Par milliards, les banques " pompaient " un excédent de ressources qu'elles dispersaient dans toute l'Europe et par-delà les océans. " En ce temps-là, quelque part dans le Livradais, en Auvergne, le Jean, métayer, et la Marie, nourrice à Lyon, lièrent une existence " que la nécessité d'acheter du pain et de se vêtir tant bien que mal empoisonna jusqu'à la mort ". Toinou va naître et grandir parmi les plus pauvres. Le petit garçon va tout découvrir de ce monde implacable et sans joie. Le sein de la vie familiale, d'abord, qui " n'admet pas d'effusion ", puis la petite école des sœurs, où les élèves terrorisés sont roués de coups. La grande école des frères, ensuite, avec sa cohorte d'injustices et d'aberrations, " qui fournit à la bourgeoisie locale une ample provision d'ouvriers et de métayers sans exigence, silencieux, soumis, craintifs ".

Et surtout... le pitoyable cortège de tous ces malheureux aux vies ratées- tels les propres parents de Toinou.

C'est dans la tendresse d'un grand-père qui lui donne le goût du savoir que Toinou puisera la force du refus. Ce cri d'enfant, exceptionnel dans l'histoire rurale française, est digne des plus grands : Hugo, Zola.
Sa soif de lecture et d’apprendre, sa quête de solidarité sauvèrent Toinou, qui s’engagea à dix-sept ans dans la légion pour fuir une condamnation à vingt ans pour vol (escroquerie à la poste).

CM