Le combat de Gaouz                                          

         INTRODUCTION :

    L’occupation pacifique du Tafilalet au sud du Maroc oriental en 1917 suivie de son évacuation en 1918, est un épisode occulté du protectorat de la France au Maroc. On peut se demander si cette « affaire » n’a pas été le fait d’un véritable engrenage, à la suite de la décision du général LYAUTEY (1854-1934), en 1915, en pleine guerre européenne, d’entreprendre l’opération de grande envergure visant à couper le « bloc berbère » en deux à travers le Moyen Atlas, avec la jonction des troupes de la Région de Meknès au nord-ouest, avec celles de Bou Denib au sud-est.

En effet, cette opération imposa au commandant du Territoire de Bou Denib, la constitution d’une base solide, à l’ouest et au sud, avant de se lancer vers le Moyen Atlas pour donner la main aux troupes venant de Meknès, sur la Moulouya (important oued, coulant du sud-ouest au nord-est, et séparant le Maroc occidental du Maroc oriental. Cette opération préalable, avec les durs combats de 1916, a conduit à la soumission avec demande de protection des djemaa du Tafilalet, puis à son occupation le 5 décembre 1917.

L’évacuation du Tafilalet en octobre 1918 fut décidée par LYAUTEY à la suite du soulèvement général des tribus berbères, notamment des Aït Atta à partir du printemps 1918, en conjonction avec les offensives allemandes en France. Cette évacuation du Tafilalet qui ne s’imposait pas, a donné aux tribus berbères le sentiment d’une immense victoire. Elle était contraire à un des principes les plus fondamentaux de LYAUTEY: « On n’évacue pas, si on évacue, nous sommes fichus » (Lyautey, Paroles d’action, Paris, Armand Colin, 1927, p. 255)

Dans le Sahara occidental, de graves événements se produisirent au Tafilelt en 1918. Le chérif Mohammed-Semlali fit assassiner la mission française établie à Tighmart et souleva les Ait-Atta. Le 9 août 1918, un combat malheureux eut lieu à Gaouz dans une des palmeraies du Tafilelt ; l'insurrection menaçait de s'étendre; on fit appel à des forces empruntées à l'Algérie, mais c'est seulement en janvier 1919 que les harkas se dispersèrent et que la résistance fut brisée

Après le combat finalement victorieux de Gaouz, qui a néanmoins provoqué des pertes importantes, LYAUTEY accuse les populations d’avoir trahi les Français en faisant cause commune avec les harkas.

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Le 6 aout 1918, la Compagnie Montée quitte la région d’Aoufouz, où elle établissait une piste, pour se porter à la rencontre d’une harka marocaine, commandée par le Caïd Nif’Routen et signalée dans le Sefalat.

               Le 8 au soir, la Compagnie Montée campe à 12 kms environ au Nord-Ouest de Gaouz, sur la lisière Ouest de la palmeraie, au pied du Ksar de Sefalat.

Le 9, le Groupe Mobile DOURY attaque la harka. De 6 à 9 heures, la Compagnie Montée et sa section de mitrailleuses, soutiennent par leurs feux la colonne principale. Les marocains s’enfuient dans la palmeraie. A midi, le colonel DOURY prend ses dispositions pour commencer la poursuite. Il forme 2 colonnes :

-la colonne « Nord » aux ordres du commandant POCHELU, composée de la Compagnie Montée Légion, d’un bataillon mixte Tunisien-Sénégalais, et une section de canons de 65.

-La colonne « Sud » commandée par le colonel DOURY et le reste des troupes.

               Peu après l’entrée dans la palmeraie à l’Ouest du Ksar de Gaouz, de nombreux coups de feu sont tirés par les Marocains, embusqués dans les séguias. Plusieurs hommes sont atteints. Le sergent PICARD met les animaux à l’abri. L’ennemi disparait, le combat cesse à 11 heures. Après quelques instants de repos, la poursuite est reprise. La Compagnie Montée se trouve en arrière, en réserve. La section de 65 rejoint la colonne vers l’avant. Celle-ci dépasse le ksar de Timgheras à 5 kms à l’Est, et essuie quelques coups de feu des habitants.

               A 14 heures 30, le groupe POCHELU se heurte à une fraction importante de la harka. La lutte s’engage, violente, avant que les unités puissent se déployer. A droite les Sénégalais se replient. La Compagnie Montée rétablit la situation par une charge à la baïonnette. Les Marocains redoublent leurs efforts et réussissent à s’infiltrer dans les rangs des Sénégalais. La Compagnie Montée Légion, par une nouvelle charge, refoule encore l’ennemi. Les autres unités, clouées au sol par un feu terrible, ne peuvent pas suivre l’exemple de la Légion.

               Les mitrailleuses de la Compagnie Montée sont toutes enrayées. Les tromblons lancent 10 projectiles. Les charges des légionnaires ont rétablit la situation. La section de mitrailleuses du lieutenant JOREL se porte vers l’avant. Une seule pièce peut encore fonctionner, mais le tireur est blessé. C’est le lieutenant qui devient tireur. La pièce s’enraye à son tour, de même que les fusils- mitrailleurs. La situation s’aggrave. Sénégalais et Tunisiens reculent. La Compagnie Montée charge une troisième fois.

               Vers 15 heures, le capitaine TIMM reçoit une balle qui lui brise le bras gauche. Les mitrailleuses ne pouvant être réparées, le lieutenant JOREL revient sur la ligne de feu et prend le commandement de la compagnie Légion. Blessé à son tour, il tombe. Les Marocains l’achèvent à coups de poignards.

               De son côté, le sous-lieutenant FREYCON tient tête à un groupe de Marocains. D’une force peu commune, armé d’un mousqueton, il fait de terribles moulinets, tenant à distance l’ennemi. Atteint d’une balle au front, il tombe mort. Le sergent LEINS (tué ensuite) emporte son corps, aidé par le légionnaire FORSETER. Cernés, ces 2 braves doivent abandonner le cadavre qui est mutilé aussitôt.

               Il ne reste plus que l’adjudant-chef ROQUEPLAN, le sergent FORNY et 3 caporaux. Tous les autres gradés sont tués ou blessés : l‘adjudant-chef REGNIER, le sergent-major KABE, les sergents PICARD, POMMEROULIE, LANDERS, le caporal-fourrier ECKHARD et 5 caporaux.                                           A cet instant, la lutte présente un caractère d’extrême sauvagerie. Sénégalais, Tunisiens et Marocains sont mélangés. Ce n’est plus qu’un féroce corps à corps.

               La Compagnie Montée de la Légion, seule, tient encore galvanisée par l’exemple d’héroïque courage que lui donne son chef. Epuisé par sa blessure, le capitaine TIMM se fait attacher sur un mulet. Malgré une deuxième balle reçut au visage, il continue à diriger la retraite.

               Le commandant POCHELU, le poignet brisé par une balle, succombe à son tour. Les Marocains cessent leur poursuite à la sortie de la palmeraie.

               Les pertes de la Compagnie Montée sont sévères : 47 tués et 7 blessés. Il faut encore ajouter 2 caporaux morts des suites de leurs blessures. Les survivants regagnent l’emplacement du premier combat, et s’organisent défensivement. Une tempête de sable vers 17 heures et qui dure toute la soirée, permet à cette poignée de braves de se mettre en marche sans être inquiétés, et arrivent au poste de Tighmart complètement exténués.

 

               CITATION A L’ORDRE DE L’ARMEE. (ordre général N° 103)

« La 2ème Compagnie Montée du 1er Etranger, unité d’élite ayant l’esprit de dévouement et de sacrifice porté au point le plus élevé, qui a toujours donné de beaux exemples d’énergie et de courage. Au combat de Gaouz le 9 aout 1918, sous la vigoureuse impulsion du capitaine TIMM, s’est élancée par de nombreuses charges, au secours d’unités aux prises avec un ennemi dix fois supérieur en nombre et fanatisé. A tenté par d’héroïques efforts, la reprise du mouvement en avant. A été le noyau où sont venus se regrouper tous les éléments épars des autres unités, perdant 2 officiers et 50 sous-officiers et légionnaires, et ramenant  son capitaine grièvement blessé. »

 

               LEGIONNAIRES  TUES  AU  COMBAT  DE  GAOUZ :

Lieutenant  FREYCON-   

Sous/lieutenant JOREL  Arthur- - né 11-08-1888 – Paris 6-

Adjudant/Chef REGNIER  Jean  Fernand-né 07-04-1879 à Givet (08)-

Sergent/Major  RABE  Georg  Erich- né 12-08-1882 à Königsberg (Allemagne)-

Sergent LANDRES  Joseph  Louis- né  13-02-1891 à Isola (06)-

Sergent  LEINS  Johan – né 17-01-1884 à Maiserstetten (Allemagne)-

Sergent  POUMEROULIE  Joseph – né le 08-01-1877 à Oradour sur Vayres  (87)

Caporal-fourrier  ECKARDT  Paul – né le 08-11-1889 à Apolda (Allemagne)

Caporal MINOGGIO  Pierre – né 11-04-1883 à Cursolo (Italie)-

Caporal ROSENZAFT  Abraham- né 01-01-1894 en Russie-

Caporal RUDLOFF  Charles- né 20-01-1882 à Schomberg (Allemagne)-

Caporal SCHNEIDENRACH  Paul- né 23-05-1886 à Glanen (Allemagne)-     

Légionnaire BAENWANGER  Marc- né le 02-03-1882 à Dinglingen (Allemagne)-

Légionnaire  CHAIX  Johannes- né 29-03-1887 à Dresde (Allemagne)-

Légionnaire  DENK  Jean  Baptiste – né 12-06-1886 à Landsbud (Allemagne)-

Légionnaire  FRANCKE  Charles – né le 21-05-1880 à Allendorf (Allemagne)-

Légionnaire  GUNTHER  Ernest – né 14-10-1895 à Westhaden (Allemagne)-

Légionnaire  GUYONVARCH  Mathurin- né le 14-01-1883 à Languidic (56)

Légionnaire  KALUZA  Joseph- né le 10-01-1875 à Beueschan (Allemagne)-

Légionnaire  KARPOVITZ  Jean- né le 26-06-18888 à Krowicka (Pologne)-

Légionnaire  KRAMER  Charles – né le 24-01-1882 à Magdebourg (Allemagne)-

Légionnaire  LEUCHT  Ernest- né le 07-11-1889 à Lucka (Allemagne)-

Légionnaire  MOUFLARD  Fernand- né le 24-02-1883 à Betheny (51)-

Légionnaire  MUTTER  Charles – né le 11-02-1886 à Afingen (Allemagne)-

Légionnaire  ORTLIEB  Clément- né le 09-11-1881 à Gretz (Allemagne)-

Légionnaire  PRAGER  Charles – né le 08-12-1885 à Vievel (Autriche)-

Légionnaire  SCHAMPERMEIR  Englebert – né le 08-10-1886 à Ottmarring (Allemagne)

Légionnaire  SCHARPF  Wendelin – né le 01-01-1883 à Ziensthausen (Allemagne)-

Légionnaire  SCHEIBLE  Eugène – né le 09-12-1884 à Ochsenbach (Allemagne)-

Légionnaire  SCHWALD  Louis – né le 30-07-1870 à Wies (Allemagne)-

Légionnaire  SWOBODA  François – 29-11-1879 à Iglan (Hongrie)

Légionnaire WEIDKICK  Frédéric –né le 18-02-1883 à Rawisch (Allemagne)-

Légionnaire  WELDIG  Ernest- né le 22-12-1878 à Feuerbach (Allemagne)-

Légionnaire  WILDHALM  Léopold –né le 28-10-1877 à Zelendorf (Autriche)-

Légionnaire  ZANON  Albert –né le 12-05-1885 à Budapest (Hongrie)-

 

               NB : A l’issue de la Grande Guerre, 1914/1918, La Légion est exsangue, de par les pertes subies au Front, mais aussi par le départ des engagés volontaires pour la durée de la guerre (EVDG).Le recrutement est indispensable pour sa survie, et pouvoir accomplir ses missions au Maroc. Lyautey réussit à persuader le Gouvernement de faire un large appel aux Allemands et Autrichiens, parce qu’il lui semble que la situation intérieure dans ces Pays et la démobilisation de leur Armée devrait faciliter le recrutement.

               Ainsi, notons que les 2/3 des légionnaires tués au combat de Gaouz, sont d’origine allemande.

CITATION  A  L’ORDRE  DU  TERRITOIRE  DE  BOU  DENIB :

               « Au moment où la deuxième compagnie du 1 er Etranger va quitter le territoire de Bou Denib pour se rendre à Taza, le lieutenant-colonel tient à lui exprimer ses vifs regrets de la voir partir. Dans le territoire de Bou Denib, depuis sa fondation, elle laisse en le quittant des souvenirs nombreux de sa vaillance, son travail et son énergie. Il n’est pas un combat où elle n’ait prise une part glorieuse, et le sang de ses officiers, ses sous-officiers et de ses légionnaires a marqué chaque étape de l’histoire du Territoire. Il n’est pas une piste qui ne soit en grande partie son œuvre,  comme la magnifique route du col de Tazzouguert, taillée en plein roc. »                                                                    

 

                                                                          Hubert MIDY – Wilfried SCHONE-