Les légionnaires oubliés:

La camarde ne pardonne rien, n’oublie personne; plus tôt ou plus tard elle nous saisit sous son manteau sombre et nous accompagne de son haleine fétide jusque dans les profondeurs du Styx ou nous pousse, nimbés de gloire, vers les hauteurs éthérées.

Certaines morts sont héroïques et inscrivent sur le marbre de la postérité des noms qui deviendront néanmoins, très vite, inconnus des générations qui éclosent. Il faut s’appeler Napoléon, Clémenceau, de Gaulle, Danjou, Rollet… pour que leur souvenir demeure. Que dire alors des morts plus modestes, plus anonymes, de ces héros du quotidien qui nous ont quittés hier, qui disparaîtront demain ?

Les légionnaires, peut-être plus que d’autres, n’échappent pas à cette humaine logique : naître, vivre, puis disparaître dans l’oubli, après avoir servi avec dévouement, courage, abnégation - voire en donnant leur vie - la France qui les a si bien accueillis.

Morts, ils sont rendus à leurs familles, quand c’est possible et voulu, sinon, ils sont ensevelis dans les carrés militaires des villes de garnison.

Mais que deviennent les sépultures de ces soldats oubliés ?

1ère section de la 4 du 2ème REG: section adjudant Grégory Ponce y Navarro.

 

Le Souvenir Français tente, comme il le peut, de faire entretenir ces tombes quand elles sont connues, identifiées et situées à l’étranger… parfois ce sont quelques volontaires dévoués qui tentent de faire perpétuer le souvenir de ces camarades disparus.

 

Je me souviens du sergent-chef (er) Rolf Rodel et son monument en Indochine. Mais tout ceci n’est vrai qu’au-delà des mers et dans les cimetières militaires nationaux des deux guerres, ou bien dans les villes où nos régiments tiennent encore garnison…

Et les autres ? Que deviennent ces carrés où reposent nos légionnaires oubliés?

Celui de Bonifacio tombe en ruines, celui de Montferrat près du Camp de Canjuers où certains des nôtres sont tombés au service de la France est délabré… et tant d’autres.

L’un des cas les plus flagrants, alors que souvent nous nous gargarisons du respect des anciens, est celui du colonel de Chabrières.

Marie Louis Henry de Granet-Lacroix de Chabrières était un officier français mort pour la France à Magenta le 4 juin 1859. Natif de Bollène, dans le Vaucluse, il est, à un siècle et demi d’intervalle, mon voisin. Du château familial il ne reste qu’une ruine à quelques encablures, elle surplombe la petite chapelle de Saint-Ferréol qui jouxte le minuscule carré dans lequel est enseveli le héros de Sébastopol, d’Ischeriden, de Magenta… ainsi que quelques membres de sa famille.

Un peu d’entretien fut dispensé à la hâte par une équipe venue passer quelques heures sur les lieux. Grâce à notre regretté camarade Hans Eberle, une nouvelle action d’entretien s’est déroulée quelques mois avant sa disparition. L’ancien Major (er) Christian Remy est venu sur les lieux et des améliorations ont été constatées. Et de nouveau de Chabrières est tombé dans les oubliettes, alors même que le 2ème REI a rebaptisé le Quartier Vallongues, à Nîmes, du nom de l’illustre chef de corps qui a servi un temps, lui aussi, à titre étranger.

Quelques amicales, rares, s’occupent très bien de ces carrés : Puyloubier, Marseille, Polynésie Française… et d’autres sans doute que j’ignore. Il est certain aussi que le commandement de la Légion ne peut s’occuper de tous ces lieux de mémoire. Néanmoins, ne serait-ce pas possible de sensibiliser les chefs de corps afin que ceux-ci fassent procéder à un peu d’entretien lors des passages de leurs unités à l’occasion de manœuvres, de séjours en camp ?

Les villes de garnison légionnaire sur le territoire métropolitain ne sont pas si nombreuses qui interdiraient un entretien ponctuel, sans périodicité définie, au gré des passages. Cela a un côté utopique, je le reconnais volontiers, mais de Borelli n’écrivait-il pas en 1885 :

« Nus, affamés, sans feu, ni lieu, sans espérance,

Aux maîtres  comme  aux lois ayant répondu : Non,

Traînant leur passé lourd comme on traîne un chaînon,

Des hommes,  Dieu sait d’où,  s’en  viennent  à la France.

Nous sommes las. Mourir est une délivrance ; Veux-tu faire

de  nous  de  la  chair à canon ? Elle répond : c’est bien, je sais

votre souffrance, Et je n’ai pas besoin de savoir votre nom Prenez,

mangez. Dormez, sans rêve, sous la tente. Ce pain dur, ce lit dur, qui

font  l’âme  contente. Sont ceux  de  nos soldats : méritez leur tombeau.

Vous  êtes  en  lieu  sûr, et  de  vous  je me charge, Entrez – Et derrière eux,

d’un  geste  simple et  large, Elle  fait  retomber un  pli  de son  drapeau.

Faisons nôtres aussi ces vers du même capitaine. Lorsque l’oubli

se  creuse  au  long  des  tombes closes, Je veillerai du moins

et n’oublierai jamais. ».

 

Sans cela, le culte et le respect des anciens, ne seront que vaines paroles qui embellissent les discours de circonstance et qui n’offriront comme réalité tangible, que le défilé sur la Voie sacrée chaque 30 avril.

Qui sait que le dernier survivant de Camerone est enseveli à Lille ?

Je l’ai écrit dans une précédente lettre : un officier américain visitant le musée d’Aubagne et voyant les noms des officiers morts au service de la France sur les murs de la crypte, avait ingénument demandé où étaient inscrits les noms des légionnaires…

Parfois, même pas sur leur tombe.

AM

 

Une précision s’impose, nous n’avons pas la vocation sur ce site d’ouvrir une rubrique qui prendrait une orientation d’une tournure polémique et de ce fait même, il nous faut garder de mettre en ligne certains articles que serait propices à de vilaines discussions souvent inutiles.

Cependant, parfois sans jouer les donneurs de leçons sachant : « que réfléchir est difficile au point que souvent nous jugeons… ».  Nous mettons en place des articles qui interpellent notre communauté dans la mesure où il est compris que ces écrits restent inscrits sous la responsabilité propre de leur auteur.

On peut toujours « discutailler », mais il est tellement vrai que : « sur les tombes des légionnaires, le soleil ne se couche jamais… » et que l’une des missions de notre Légion d’active n’est pas l’entretien des tombes…

Merci à tous ceux qui donnent de leur temps aux quatre coins du monde pour entretenir le devoir de mémoire qui nous est cher et indispensable pour que « More Majorum ».

CM