Cette ville qui aurait pu, comme l’ont fait beaucoup de cités moins importantes, choisir son nom parmi ceux de soldats illustres de l’armée d’Afrique, s’est contentée de garder le nom arabe de Sidi-bel-Abbès, un seigneur religieux qui vécut au XIIe siècle de l’hégire. Sidi-bel-Abbès s’élève sur la rive droite de l’oued Mékerra, à peu près au centre de la vallée

Avant les Français, les Berbères, les Arabes, les Espagnols et les Turcs ont dominé la région. En 1840, dans la plaine qui environne le mausolée de Sidi-bel-Abbès, les premiers clairons et tambours français retentissent.

Ce sont des fantassins baptisés par les Bédouins « les grandes capotes » qui passent sans s’arrêter, pour aller occuper Mascara puis Tlemcen. Cependant, ils laissent un petit poste d’occupation à Daya.

Entre Oran, port de débarquement des renforts, et Daya, il faut un gîte d’étape et un magasin de vivres. En 1842, on élève donc quelques baraques en planches entourées d’un talus de terre. Pour l’état-major d’alors, c’est officiellement « la redoute » de Sidi-bel-Abbès. Mais pour le troupier, ce nom barbare est difficile à prononcer, si bien que le nouveau gîte d’étape prend rapidement le nom de Biscuitville[1].

C’est à cette époque, à la fin de novembre 1843, que le 3e bataillon du 1er RE vient s’établir à Sidi-Bel-Abbès, ouvrant ainsi le livre d’une longue et fructueuse histoire commune. De 1842 à 1845, la redoute, fut occupée par deux bataillons de Légion et quelques chasseurs d’Afrique.

La légion participe activement à la transformation de cette petite bourgade

Extrait du journal de marche du 1er RE année 1844

« Au mois d’octobre, une partie du régiment est employée à la construction des fortifications de Bel-Abbès qui n’est alors qu’une petite redoute servant de point de ravitaillement aux colonnes opérant dans la vallée de la Mekerra. »

Le 19 février 1847, Bugeaud arrête les grandes lignes de l’occupation militaire de Sidi-bel-Abbès : trois bataillons (deux du 1er régiment étranger et un du 44e régiment d’infanterie de ligne), quatre escadrons et une section de canons de montagne. Le maréchal complète cette décision par le choix d’une commission chargée de créer un centre de population civile. Une ordonnance royale de 1847 faisant suite aux conclusions de Bugeaud et du général Lamoricière, gouverneur de la province d’Oran, décide que le poste militaire de Sidi-bel-Abbès soit érigé en ville et devienne le chef-lieu de la province. Le capitaine Prudon, chef du génie militaire à Biscuitville, devient ainsi l’architecte fondateur de Sidi-bel-Abbès. Il dresse avec ses collaborateurs Signorino (chef du bureau arabe), Camis (inspecteur de la colonisation), Eichacker (chirurgien-major de la Légion étrangère) et Franc-Brégeat (agent du domaine), un projet qui a tout prévu : remparts, casernes, hôpital, rues, places, monuments publics, conduites d’eau, égouts, etc. Le 10 novembre 1847, le projet Prudon est approuvé, et les constructions débutent aussitôt. Sidi-bel-Abbès est née.

Le 1er janvier 1848, Sidi-Bel-Abbès est érigé en subdivision militaire, grâce à l’impulsion énergique et opportune du colonel Mellinet du 1er Étranger.

Sidi-bel-Abbès, à sa fondation, couvre une superficie de quarante-deux hectares formant un rectangle allongé dans le sens est-ouest et englobant la redoute située au nord-ouest. Son système de fortifications comprend des murs de cinq mètres de haut et seize bastions reliés par des courtines. Autour des murs, des fossés sont creusés sur une largeur de quatorze mètres et trois de profondeur. Sur les quarante-deux hectares, cinq sont réservés aux fortifications, seize aux établissements militaires, onze aux places et aux rues, et enfin dix aux installations civiles. Des portes fortifiées sont construites aux quatre points cardinaux. L’avenue reliant les portes de Daya et d’Oran prend le nom du chef du génie, Prudon, et constitue la ligne de démarcation entre les zones militaire à l’ouest et civile à l’est. Le projet prévoit que deux cents lots à bâtir seront suffisants pour assurer le logement de 2 000 habitants. Pour mettre ces lots tout de suite à l’abri, alors que les fortifications ne sont pas encore achevées, on les entoure d’une enceinte de terre de deux mètres cinquante de hauteur avec parapet et fossé. Un pont de bois enjambe la Mékerra à l’endroit où fut construit plus tard un pont de pierre. Les installations essentielles telles que remparts et rues sont réalisées dans la période comprise entre 1849 et 1857, en même temps que les casernes et l’hôpital militaire.

La ville est construite de toutes pièces. Les 1er et 3e bataillon créent le jardin de la ferme qui deviendra le jardin public de Bel-Abbès après le départ pour le Mexique.

Plan de la citadelle de Sidi-Bel-Abbès en 1887 © Wikipédia

À peine sortie de terre, Sidi-bel-Abbès est colonisée par des militaires libérés qui ont foi dans l’œuvre entreprise. C’est ainsi que beaucoup d’anciens légionnaires s’y installent. Ils font venir quelques parents ou amis, et le noyau de la population se forme progressivement malgré un taux élevé de mortalité dû aux conditions climatiques, aux marécages qui n’ont pas tous été encore asséchés, et aux épidémies de choléra. L’administration militaire s’applique à favoriser au mieux les initiatives et à utiliser les compétences des nouveaux. La main-d’œuvre militaire est largement prêtée à tous les cultivateurs en raison de la pénurie d’ouvriers agricoles résultant du départ des Beni Ahmer. En ce qui concerne les ouvriers d’art, il faut le concours de l’armée, et plus particulièrement celui de la Légion étrangère qui compte dans ses rangs bon nombre de légionnaires ayant exercé, avant leur engagement, tous les corps de métiers possibles du bâtiment. Ainsi, de nombreuses familles de Sidi-bel-Abbès doivent aux légionnaires d’avoir pu participer à l’œuvre colonisatrice et d’y avoir acquis une honnête aisance. Dans le cadre de la gestion et de l’administration de la cité, les commandants d’armes font office de magistrats municipaux. C’est un soldat qui remplit la charge de garde champêtre, et un sous-officier de Légion donne l’instruction aux enfants. Les colonels qui se succèdent à la tête du 1er régiment étranger (Mellinet, Lesueur de Grivy, Bazaine et Rousseau, en remplacement du colonel Viénot parti en Crimée) sont les premiers maires de Sidi-bel-Abbès. En 1855, la ville est parvenue à une certaine prospérité. De nombreuses maisons sont édifiées, et des commerces ouvrent leurs portes. L’industrie est représentée par une brasserie, une briqueterie et un certain nombre de moulins à farine.

C’est également à cette époque que d’anciens légionnaires se présentent aux premières élections municipales et que l’on voit, fait probablement unique dans les annales de la vie politique française, des conseillers municipaux élus « à titre étranger ». En cette fin du xixe siècle, la majorité de la population européenne est d’origine espagnole. C’est également à cette époque, au mois de décembre 1899, qu’un jeune officier est affecté à Sidi-bel-Abbès ; il s’agit du lieutenant Paul-Frédéric Rollet3, future grande figure de la Légion étrangère.

Les quartiers de la Légion

La Légion marque de son empreinte toute la ville. Le quartier Viénot ou le Grand Quartier, caserne du 1er régiment étranger, est construit à quelques centaines de mètres du cœur de la ville. Les trois corps de logis, étroits, hauts et longs sembleraient « bien tristes sans le soleil qui en dore la grisaille ». La vaste cour qu’ils délimitent est plantée d’arbres et coupée en son milieu par « l’allée du Colonel » qui devient, après la construction à son extrémité du monument aux morts, « la Voie sacrée »[2]. Longtemps appelé « quartier d’infanterie », cet ensemble était intégré dans les plans du projet du capitaine Prudon. Deux grands corps de bâtiments étaient prévus de part et d’autre de la place d’armes. À l’origine à deux étages, ces deux bâtiments sont surélevés en 1851. Celui destiné à l’état-major fermant le côté sud de la place d’armes ne fut construit qu’en 1865. L’architecture générale du quartier s’inscrit dans le style des casernes bâties à cette époque en métropole. « On ne peut rêver caserne qui soit plus caserne, qui dépasse celle-ci en correction, en rigidité, en convenu. Ces murs suent la discipline et la contrainte du règlement. Nous sommes à la Légion ! » écrit Georges Manue, en 1929, dans Têtes brûlées. L’infrastructure indispensable à la vie courante se compose, essentiellement, de logements pour la troupe, d’une salle de service, d’un parc à fourrage, de lavoirs et d’une cuisine. Les réfectoires n’existent pas à l’époque. La troupe perçoit aux cuisines les repas qui sont pris dans les chambres.

Les sous-officiers sont aussi bien dotés. Dès octobre 1929, un journaliste du Progrès de Sidi-Bel-Abbès qui visite les installations les décrit ainsi : Le mess des sous-officiers comprend une salle de bar magnifique, tenue dans une méticuleuse propreté. Sur la caisse enregistreuse, nous avons l’agréable surprise de lire l’avis suivant : [Deux collections de livres pour la préparation au certificat d’études et au brevet élémentaire sont déposées à la bibliothèque des sous-officiers. L’une de ces collections est à consulter sur place. La seconde peut sortir dans les mêmes conditions que les autres volumes.] Cet avis témoigne du désir des sous-officiers du 1er Étranger de se perfectionner dans la langue française. À consulter d’ailleurs la bibliothèque de ces derniers, on est immédiatement édifié sur le niveau intellectuel. Les œuvres de nos auteurs les plus en renom avoisinent bon nombre de revues, Illustration, Afrique du Nord illustrée, Je sais tout, Annales littéraires,… et de journaux, Excelsior, Le journal, Candide…

Dans le bâtiment de la manutention, situé de l’autre côté de la rue des Casernes bordant le côté est du quartier, on fabrique le pain. On y trouve également les magasins de vivres et d’habillement. Le quartier Viénot s’ouvre sur l’avenue de Tlemcen, qui prit le nom du général Rollet. Une large et haute grille au milieu de laquelle s’ouvre un grand portail et sur la gauche un portillon ferme le quartier. Cette grille est remplacée en 1937 par un portail en maçonnerie dans le style Art déco très en vogue à l’époque. De part et d’autre de l’entrée se trouvent le poste de garde et le service général.

Le ministre de la Guerre, le général Boulanger, ordonne de donner aux casernes des noms de personnalités militaires. Le quartier du 1er régiment étranger est alors baptisé « colonel Viénot », nom de son chef de corps tué en Crimée en 1855. À partir de 1887, un vaste programme d’amélioration du quartier est lancé. Il comprend, entre autres, la construction d’une salle d’honneur. Cette dernière est inaugurée en 1892. Dans ce lieu consacré à la gloire de la Légion étrangère sont exposés tous les souvenirs et trophées qu’elle a engrangés depuis sa création. Elle accueille de nombreux Bel-Abbésiens ainsi que des hôtes prestigieux de la cité, comme les présidents Loubet en 1903 et Millerand en 1922.

À l’occasion du centenaire de la Légion étrangère, la salle d’honneur est agrandie. Un temple des héros, à la mémoire de tous les légionnaires tués au combat, est réalisé dans le prolongement de la salle d’origine. Les murs de ces locaux sont revêtus de tables de marbre sur lesquelles sont gravés en lettres d’or les noms des officiers tués au combat ainsi que ceux des chefs de corps. En 1938, le musée du souvenir est inauguré dans un des deux grands bâtiments bordant la place d’armes. Aménagé dans l’ancienne bibliothèque des sous-officiers, ce musée est divisé en trois espaces : la salle des citations, la salle des batailles anciennes et la salle des batailles modernes. Après la guerre d’Indochine, la salle d’honneur est, à nouveau, agrandie et réaménagée afin de témoigner de la participation de la Légion à cette guerre qui vient de lui coûter les pertes les plus importantes de toute son histoire. En 1961, elle est entièrement transformée. Elle est prolongée d’une crypte dans laquelle sont conservés la main de bois du capitaine Danjou ainsi que les drapeaux et étendards réformés des régiments étrangers[3].

Vue du quartier Vienot de Sidi-Bel-Abbès nomenclaturée © wordpress.com

Destiné à l’origine aux unités de cavalerie de l’armée d’Afrique, le Petit Quartier, situé en face du quartier Viénot, a longtemps gardé son nom de quartier de la Remonte ou de Cavalerie. Les missions qui incombent au 1er régiment étranger après la Première Guerre mondiale : recrutement, immatriculation, instruction et administration de tous les légionnaires, transit des renforts partant ou rentrant des nombreux théâtres d’opérations, saturent les capacités d’accueil du quartier Viénot. La création à Sidi-bel- Abbès en 1933 du Dépôt commun des régiments étrangers d’infanterie (DCRE) afin de gérer les quelque 33 000 hommes qui, à cette époque, composent la Légion, oblige à trouver sur place de nouvelles infrastructures. Progressivement, le 1er régiment étranger grignote sur le quartier de Cavalerie. Après la Seconde Guerre mondiale, ce quartier est divisé en plusieurs annexes qui sont les quartiers Prudon, Amilakvari, Yusuf[4] et l’infirmerie vétérinaire.

Situé en plein centre-ville, le cercle militaire de Sidi-bel-Abbès[5] figurait déjà sur les plans du capitaine Prudon. C’est donc un des plus anciens bâtiments militaires de la cité. Ouvert à tous les officiers de la garnison, le cercle est à la fois un lieu de restauration, d’hébergement et une salle de bal.

Carte postale - pavillon du cercle des officiers de Sidi Bel Abbès © delacampe.net

Surnommé « la cage aux singes »

C’est le point de contact du monde civil et militaire. Remanié à plusieurs reprises, le cercle des officiers abrite également une magnifique bibliothèque. Le lieutenant-colonel Forey, neveu du maréchal ayant commandé l’armée française au Mexique, ancien chef de corps du DCRE et doyen des officiers de la Légion à Sidi-bel-Abbès, y a élu domicile jusqu’à son décès en 1946. Un kiosque avait été élevé dans les jardins du cercle militaire à l’angle du carrefour des Quatre-Horloges. Ce kiosque, qui servait à l’occasion de tribune officielle aux autorités lors des défilés, avait été vite baptisé de façon fort irrévérencieuse « la cage aux singes ».

Au numéro 3 de la rue Faurax, rue qui porte le nom d’un officier de la Légion tué au Dahomey en 1892, se situent les premiers bureaux de la rédaction du magazine Képi Blanc créé en 1947. En 1948, Képi Blanc s’installe dans les murs du quartier Viénot.

La maison de retraite du légionnaire est inaugurée le 7 avril 1957. Elle veut être, dans l’idée de ses deux promoteurs, Joly, président des anciens légionnaires de Sidi-bel-Abbès et M. Bellat, ancien maire de la ville qui a offert le terrain, le « véritable prolongement humain au contrat du légionnaire ». Elle a été bâtie avenue Sully, au sud de la ville.

En 1935, la municipalité avait décidé de démolir les anciennes fortifications qui étouffaient l’agglomération. C’est à la Légion que cette tâche est confiée. Les matériaux ainsi récupérés servent à la construction d’une vaste salle de spectacles baptisée le Foyer du légionnaire. Il est situé entre l’ancienne porte de Tlemcen et le quartier Prudon. Au sud-est de la ville, un vaste bâtiment resté inachevé depuis 1939 est repris par la Légion. Entre 1948 et 1950, les légionnaires pionniers le transforment en un immeuble moderne dans lequel sont aménagés des appartements destinés aux familles de légionnaires. Cette réalisation due à la débrouillardise des hommes fait partie d’un vaste plan d’action sociale mis en place par le colonel Gaultier, alors chef du Dépôt commun, afin de répondre à des besoins urgents en matière de logements et d’aide aux familles qui ne sont pas, à cette époque, financés par l’État.

Un grand terrain situé au nord de la ville bénéfice d’une infrastructure militaire moderne adaptée aux exigences de l’instruction : champs de tir pour armes légères et collectives, sites pour les lancers de grenades, parcours du combattant, piste d’instruction à la conduite automobile, bâtiments en dur et réfectoires. Toutes ces installations sont utilisées en permanence aussi bien par les engagés volontaires que par les pelotons d’élèves gradés. Au sud de la ville, près du champ de tir et de la soute à munitions, se trouve le terrain de Khamisis.

Une ferme dont le fonctionnement est assuré par des légionnaires est également installée sur la route entre Sidi-bel-Abbès et Khamisis. Son activité permet de répondre, du moins partiellement, aux besoins en viande et produits maraîchers des ordinaires du Grand et du Petit Quartier.

Carte de 1937 de la ville de Sidi-Bel-Abbès © Gallica - Bnf

 

Un attachement réciproque entre la ville et la Légion étrangère

« À Sidi-bel-Abbès, vous avez fait d’un camp une ville florissante, d’une solitude un canton fertile, image de la France. » Cette citation du général Pélissier commandant la division d’Oran faite aux légionnaires, en 1854, résume à elle seule tout ce que Sidi-bel-Abbès doit à la Légion étrangère.

Ce sont les légionnaires qui ont largement participé à sa construction. Ce sont encore les légionnaires qui ont insufflé aux premiers arrivants l’esprit d’entreprise en s’impliquant eux-mêmes dans la mise en valeur de vastes étendues fertiles, donnant ainsi aux colons les atouts nécessaires au développement économique de la région.

La population, qui n’avait que 431 habitants lors de la création de la ville, dépassait les 100 000 âmes en 1961. Devenue la troisième ville d’Oranie, Sidi-bel-Abbès était une cité débordante d’activités, à l’urbanisme moderne où rien ne manquait. Durant cent vingt années, la ville a vécu à l’heure légionnaire en devenant la plaque tournante de toute la Légion et en prenant l’appellation de « Maison Mère ». La symbiose entre Sidi-bel-Abbès et la Légion était si forte que la grenade à sept flammes de la Légion, avait été ajoutée aux armes de la ville.

Pour illustrer à quel point la légion et les légionnaires de tous grades étaient attachés à leur ville, revenons quelques années plus tôt, en 1925, lorsque la Légion se battait contre Abd-el-Krim sur les pentes du djebel Amseft. Au milieu du combat, un vieux sergent s’affaissa tout à coup, touché au ventre. Tandis qu’on le hissait péniblement sur un cacolet[6], le vaillant légionnaire, dans un sourire douloureux, trouva la force de parler, et ce fut pour dire : « Ah ! je le reverrai tout de même, mon Bel-Abbès. » Son Bel-Abbès !

Combien de braves depuis cent trente et une années, nés sous toutes les latitudes, parlant les langues les plus diverses, ont laissé échapper au moment de mourir ou en se remémorant leurs souvenirs de jeunesse avec un trémolo dans la voix le nom de cette ville tant aimée : Sid-Bel-Abbès ?

Représentation des armoiries de la ville de Sidi-Bel-Abbès

dans la parution du magazine képi blanc du mois de janvier 1962

Le départ

Quand finalement sonne le cessez-le-feu et que l’Algérie devient indépendante, le 1er régiment étranger doit quitter son berceau. Avec un serrement au cœur, le régiment prépare son départ. Tout est démonté afin d’être envoyé en France. Tandis que les dernières pierres du monument aux morts, soigneusement numérotées et étiquetées, sont embarquées, le 29 septembre 1962, les cercueils du général Rollet, du commandant Aage de Danemark et du légionnaire Zimmermann, précédés de la main de bois du capitaine Danjou et de l’urne funéraire du légionnaire Moll[7], et accompagnés des anciens emblèmes des régiments étrangers, quittent définitivement le quartier Viénot. Alors qu’à Sidi-bel-Abbès les derniers légionnaires finissent de fermer les caisses et de boucler leurs sacs, les premiers détachements prennent possession, à Aubagne, d’un camp vétuste, et commencent à s’y installer vaille que vaille.

En 1962, Sidi-bel-Abbès était une cité moderne à l’urbanisme complet, tirant sa richesse de l’agriculture. D’ambitieux travaux d’aménagement étaient à l’étude. Cette prospérité, elle la devait également à la Légion étrangère, cette Légion qui l’avait édifiée de ses mains et qui lui avait fourni une partie de ses premiers colons. Les casernes, le monument aux morts, les grandes figures de la Légion telles que le général Rollet, les colonels Maire, Nicolas et tant d’autres, faisaient partie du patrimoine culturel et historique de la ville, mais aussi du patrimoine national. Au-delà même de l’Algérie, cette simple sous-préfecture du département d’Oranie est encore universellement connue du fait de la diversité des nationalités représentées à la Légion. Des quatre coins du monde, les anciens légionnaires parlent encore de Sidi-bel-Abbès. Aujourd’hui, Aubagne est devenue la nouvelle « Maison Mère » de la Légion étrangère.

La devise de Sidi-bel-Abbès, à elle seule, résume toute son histoire et celle de la Légion étrangère. Elle tient en trois mots : « PAX ET LABOR », paix et travail…

Nota : une grande partie de cet article est issue des travaux du capitaine Jean Michon ancien chef du centre de documentation de la Légion étrangère parus en 2010 aux Presses Universitaires de France.

Carte postale de Sidi-Bel-Abbès – 1950 © geneanet.org

On voit bien sur cette carte postale que le Légion et la ville sont indissociables

Sources

-        Wikipédia ;

-        SIDI-BEL-ABBÈS : CAPITALE LÉGIONNAIRE - Jean Michon - Presses Universitaires de France | « Guerres mondiales et conflits contemporains » - 2010/1 n° 237 | pages 25 à 38 ;

-        https://monlegionnaire.files.wordpress.com;

-        Historique du 1er RE année 1843 ;

Le progrès de Sidi-bel-Abbè

[1] Ce nom était donné aux nombreux dépôts de vivres et lieux de bivouac répartis le long des

itinéraires des colonnes qui sillonnaient de vastes étendues.

[2] Axe central de la place d’armes du quartier Viénot, anciennement appelé « allée du Colonel ». Après la construction du monument aux morts en 1931, on l’appelle la « Voie sacrée », évoquant ainsi le souvenir de la route qui reliait Bar-le-Duc à Verdun pendant la Grande Guerre à laquelle bon nombre d’officiers de la Légion avaient pris part. 

[3] Conformément à une circulaire ministérielle, les régiments stationnés en Afrique du Nord avaient le droit de conserver, à titre de dépôt, leurs emblèmes réformés, alors que les unités de métropole devaient reverser ces derniers au musée de l’Armée à Paris. Conformément à cette circulaire, les régiments de la Légion étrangère stationnant en Algérie, au Maroc et en Tunisie déposaient leurs drapeaux et étendards dans la salle d’honneur à Sidi-bel-Abbès.

[4] Yusuf (Joseph Vantini, dit Yusuf ou Yousouf). Général français (1808-1866). Né à l’île d’Elbe, à l’époque française, le jeune Joseph Vantini est capturé par des corsaires barbaresques et vendu comme esclave à Tunis. Il y est fait musulman. En 1830, il parvient à s’échapper et à embarquer sur un brick français appartenant à la flotte destinée au débarquement de Sidi-Ferruch près d’Alger. Au début de la campagne d’Algérie, Yusuf est attaché au général en chef. Parlant l’arabe, l’espagnol et le turc, il sert d’interprète. Il s’acquitte avec succès de plusieurs missions périlleuses, ce qui lui ouvre la carrière des armes. C’est à cette époque que les anciennes troupes à cheval turques auxquelles sont venues se rattacher des formations disparates sont réunies ; leur commandement est confié à Yusuf. Il en fit un corps d’élite : celui des spahis. En mai 1831, il est nommé capitaine. Chef d’escadron puis lieutenant-colonel, il devient colonel de la cavalerie indigène d’Afrique, le 19 mai 1842. Un an plus tard, il s’illustre au cours de la prise de la smala d’Abd el-Kader et bat l’émir à Tenda en décembre 1845. Au cours des années qui suivent, Yusuf ne cesse de pourchasser son ennemi juré. Il abjure la religion musulmane, se fait catholique et se marie à une Française. En 1839, il reprend la nationalité française. Cet intrépide cavalier finit son extraordinaire carrière militaire en 1866 comme général commandant la division de Montpellier. Yusuf était grand-croix de la Légion d’honneur.

[5] Mess des officiers, également appelé « réunion des officiers »

[6] Le cacolet est une sorte de bât, constitué de deux sièges à dossier, en osier, fixés sur une armature adaptée au dos de l’animal porteur (cheval, mulet, âne, etc.), pour le transport de deux personnes de part et d’autre.

[7] Ancien légionnaire américain mort à Chicago en 1937. Peu de temps avant sa mort, William Moll avait exprimé le souhait d’être enterré « au plus près de la Légion, là où j’ai passé les plus belles années de ma vie », disait-il. Son voeu fut exaucé. L’urne contenant ses cendres fut envoyée à Sidi-bel-Abbès et scellée dans un mur de la salle d’honneur. À Aubagne, en 1966, après l’inauguration du musée de la Légion, cette urne a été placée dans la nouvelle crypte.

Major (er) Jean-Michel Houssin, chargé de la mémoire légionnaire auprès de la FSALE