Rien ne me prédisposait à servir dans une carrière militaire et, maintenant que, l'âge aidant, je peux juger avec un peu de recul, je sais que ce choix était le bon et que le métier des armes était celui qui convenait le mieux à mon caractère. Je lui dois le privilège d’avoir passé ma jeunesse dans une atmosphère limpide et d’avoir senti vibrer à l’unisson du mien, des coeurs exaltés par l’école d’énergie, de courage et d’humanité.

 
 

Le souvenir de ces années s’est gravé profondément en moi et le temps n’a pu l’affaiblir. Si un fardeau, une déception, aurait pu étouffer un moment mon enthousiasme à devenir légionnaire, c'est Dien Bien Phû et la guerre d'Algérie, mais les légionnaires ont été à la hauteur de l’impossible face aux décisions politiques, conservant intact le trésor de leurs souvenirs et le germe de leurs espérances.

Des diverses phases de ma vie de légionnaires, ce sont celles passées de 1976 à 1978 à Djibouti qui ont laissé en moi l’impression la plus forte et j’ai souvent tenté maladroitement d’évoquer l’extraordinaire ambiance de cette période d’avant, pendant et après l’indépendance de ce confetti de la corne de l’Afrique. Sans doute, ma peinture de la Légion est-elle assez différente de celle que la légende a popularisée, semblera-t-elle aussi décevante à certains beaux penseurs… et fortes têtes. En dépouillant le modèle des oripaux dont on le revêt habituellement, cela me permet de mieux montrer sa grandeur, dans la nudité de sa farouche mystique.

  

La Légion ne nous lâche plus quand nous avons goûté ses philtres, quelle passion nous avons pour elle et quelle dévotion profonde cachaient les masques de septicisme ou de moquerie, derrière lesquels s’abritait notre pudeur.

L’épanchement sentimental ne saurait être un fil conducteur, les problèmes de la vie quotidienne, les contingences du métier, tout s’estompe et paraît méprisable, tandis que s’impose une hallucinante réalité, celle d'une extraordinaire destinée humaine.

Simple pion sur l’échiquier du Roi, le légionnaire doit conserver ses forces intactes pour le service d’un pays qui n’est pas le sien et sa devise de fidélité dans l’honneur est celle de maîtres mots trop exigeants pour lui permettre de s’enivrer de liberté. A lui les âpres besognes chaque jour répétées…

 

Je lisais dernièrement quelques lettres écritent au lendemain de la Grande Guerre et l’une d’elles exprimait l’esprit des “anciens combattants” exprimé lors d’une conférence retentissante  à Clermont-Ferrand. L’auteur concluait par un code d’honneur de l'ancien combattant un peu comme notre code d'honneur de l'ancien légionnaire, une oeuvre de clarté écrite d’une plume intuitive qui pourrait être, encore aujourd'hui, d’actualité:

-       1: L’ancien combattant est attaché au pays qu’il a sauvé parce qu’il a souffert pour lui,

-       2: Il est pacifique parce qu’il connaît bien la guerre,

-       3: Il a le sens de l’action et se méfie des rhéteurs.

-       4: Réaliste dans l’idéalisme, il n’admet pas de dangereuses idéologies,

-       5: Il est ordonné par haine du désordre,

-       6: Il est constructeur, par haine de la destruction guerrière,

-       7: Il est ennemi du mensonge et a horreur du bourrage de crâne,

-       8: Il a le sens de l’intérêt général auquel il a plié le sien,

-       9: Il a un appétit d’autorité et de discipline consentie,

-       10: Ayant connaissance de la solidarité il a l’esprit d’équipe,

-       11: Grand partisan de la tolérance politique et religieuse il ne connaît pas de haines sociales,

-       12: Il sait assumer des responsabilités.

Les guerres ont réalisé le miracle de briser l’égoïsme. Certains de mes grands anciens me confiaient qu’au début de leur contrat, ils se sentaient si petits, si abandonnés, si anonymes qu’ils recherchaient le soutien de leurs camarades. "En temps de guerre, disaient-ils, tout ce qui faisait hier la raison d’agir ne comptait plus. A quoi bon, former des projets, puisque l’on ne savaient pas si l’on vivraient le lendemain ? La hantise de la mort poursuivait les cerveaux et la menace constante du danger maintenait dans les âmes le sentiment de la nécessaire solidarité, la guerre rapproche les esprits et le coeur plus que la paix…"

N'est-il point vrai que la guerre tue moins d'âmes que la paix ?

CM