Il fut un temps pas très lointain, où le légionnaire pouvait encore figurer parmi les grands voyageurs. Il consacrait beaucoup de son temps à parcourir la Terre,  menant, parfois malgré lui, une vie en forme d’aventure  qui pouvait le mener au bout du monde. En fait, en dehors de toute aventure passionnante, le suprême bien-être consistait à oublier le temps, à vivre pleinement le moment présent et à fuir un monde moderne trop envahissant et décevant. Malheureusement, ce souhait utopique ne tenait guère longtemps, la société continuait sans relâche d’exercer sa pression  et, telle une ombre collée au corps de l’horloge   du temps perdu, elle claironnait le rappel qui nous   ramenait brutalement à la réalité d’un quotidien imposé.

 

Hors Métropole, nous avions la satisfaction de ne plus avoir besoin de  montre, c’était un vrai mystère ! Souvent, j’espérais arriver en retard à certains rendez-vous incontournables mais il n’y avait rien à faire, j’étais conditionné, j’arrivais toujours à l’heure, une vraie précision que même mes camarades suisses m’enviaient…

Quand j’avais un moment devant moi, je m’imposais de compter les instants qui inlassablement passaient, j’observais les manœuvres du temps qui s’envolait en coups sourds que diffusait une comtoise d’une autre époque. Ernst Jünger expliquait cela à sa manière: “Sur les bords de notre espace, les aiguilles du temps modèrent souvent leur marche et les ustensiles, les modes et les coutumes s’usent plus lentement.”

La Légion, m’a offert plusieurs de ces beaux voyages, mais le temps   passant, de nombreuses anecdotes se sont échappées de ma mémoire qui me reviennent à l’esprit lorsque je parle à un vieil ami du « bon vieux temps »  quand notre jeunesse nous faisait beaux et notre innocence curieux de tout.

Je conserve néanmoins  un souvenir symbolique qui me rattache aux pays visités : de la Guyane mon esprit retient surtout   cet oiseau-mouche vert satin qui vibrait devant une fleur d’hibiscus. J’ai ainsi retenu une image par coin de terre visité.

D’autres souvenirs demeurent embrouillés, flous, en désordre mais présents et, prêts à resurgir à la moindre occasion.

Je me suis aperçu que je pensais avoir emmagasiné de quoi écrire un livre, mais pour ce faire, il faudrait que je conduise mes voyages dans ma chambre à l’image de Jean Giono et Jules Verne qui n’ont jamais quitté  leur ville, Manosque pour l’un et Amiens pour l’autre.

Jean Giono a croisé tous les océans, essuyé vingt et un cyclones et conduit des caravanes dans le désert.

Pour l’heure, je décide de me séparer de mes souvenirs à l’amiable, je me contente, le temps que ma crise de départ à la retraite passe, de suivre les conseils de Giono en lisant les livres que je n'avais pas le temps de lire, de quoi m’ioder et  de redémarrer calmement  la marche du temps qui passe… et de m'hypnotiser à regarder pousser les poireaux de mon jardin…

Vaste programme s’il en est…

CM

 

PS: J'ai dessiné ce cocotier profitant... d'une lacune dans mon ignorance... aidé du dessin d'un légionnaire par PyC !