Je souhaitais il y a quelques temps vous faire part des auteurs qui ont marqué mes lectures. Antoine disait, je t’attends avec “Céline”, le résultat ne se fait pas attendre, d’une manière tout à fait "imbécile", je suis confronté à un sentiment impur, celui du joueur qui accepte un défit lancé amicalement par mon ami. Voici donc en mots succincts l’expression forte et contrariée de mon dérangement intellectuel:

Je dois bien avoué que le personnage me dérange à souhait, tant il y a chez lui un rapport très étroit entre la peur, la honte et la littérature. “On est puceau de l’horreur comme on l’est de la volupté”, voilà bien le cri de Céline dans “voyage au bout de la nuit”, ce jeune écrivain surgissait des douleurs de “l’enfer humain”, il faisait sien le corps blessés du héro dérisoire de son livre et s’attribuait même sa médaille militaire…

Dégoûté plus que révolté, il a lâché les mots comme on lâche les chiens. Il est vrai que le monde de Céline est à bout de souffle.

Céline m’apportait une “vision” nouvelle, un chant désespéré sur une musique inconnue: “l’obscénité du dégoût”.

Sartre n’aurait pas été lui-même sans cet ennemi intime.

Céline pour mon esprit curieux de jeune homme était fait pour l’abjection comme d’autres pour les honneurs. Le vrai talent n’a pas d’excuse, il n’en a pas besoin.

Roger Nimier présente dans un portrait l’écrivain qu’il admirait le plus: “Un traitre, ennemi de l’humanité, dont la conscience pue. Un loup délabré”.

Comment comprendre que la puissance créatrice puisse s’accomoder de la monstruosité.

La défécation considéré comme un des beaux-arts n’est que la conséquence de cet enseignement de l’horreur: Céline est nait pour blasphémer, il y a chez lui un art du mot “déplacé”, c’est le plaisir de bousculer le bon usage: “ça s’appelle inventer. Prenez les impressionnistes: ils ont sorti leur peinture au grand jour. Ils ont fait bouger les couleurs. Moi, c’est les mots, la place des mots”.

Pour Céline, l’essentiel consiste à rester ambigü, la vérité est le plus subtile des masques: “le mépris total de l’humanité m’est extrêmement agréable”. J’apprenais à la lecture de ses livres l’exigence et la règle de la plus sévère mise à feu des mots: “Forcer les phrases à sortir de leurs gonds”.

Dérapage contrôlé ? Tout créateur choisit sa voie pour s’imposer. Céline avilit, estropie et souillera l’univers  entier; il hurle son délire. La réalité de la bétise humaine rejoignit Céline, le monde devenu fou criminel répondait à la perfection à ses livres. C’était pour Céline, prophète impudent, une opportunité, en attendant les charniers, les fleuves de sang, l’extermination raciale, l’avilissement et la torture, la vilaine farce bat son plein.

Il n’ignorait cependant pas le danger: “ils ont l’air de rien les mots…On ne se méfie pas d’eux et le malheur arrive”.

Pour moi, brusquement, après lecture, il n’est pas sûr que Céline ait jamais existé, tant il m’apparaissait fantôme, toujours il se cachait et ceci dès le début de sa vie d’écrivain en prenant pour pseudonyme le prénom de sa mère pour ne pas être repéré: auteur nait honteux, il meurt proscrit.

Sartre écrivait dans un portrait sur: “ cet homme qui a peur devant la condition humaine”! Voilà bien le génie qui fait dans sa culotte.

“Je suis encore plus mal que j’ai commencé dira ce personnage, aussi composé que décomposé”.

En 1961, le rideau venait à peine de tomber que l’on entendait encore le refrain: “une haine immense me tient en vie, je vivrais mille ans si j’étais sûr de voir crever le monde”.

Céline, une erreur dont l’humanité à le secret, une antimatière, une vision de l’univers catastrophique. Pour lui, le juif est partout, la terre est perdue, il s’agit pour l’Aryen de ne pas se compromettre, de ne jamais pactiser.

Ce que je retenais de ce personnage haut en couleurs, c’est son soutient inconditionnel aux thèses socialistes des Nazis, pour lui, il n’y a d’autre solution que le suicide collectif, la non-procréation, la mort…

On peut ne pas aimer le personnage, l’écrivain reste exceptionnel, le monde serait-il différent si Céline n’avait pas exister ? Je préfère rester sur ma version précédente: pour moi, c’est un fantôme, nait honteux et mort proscrit.

CM