Il se nommait Montoya. Anciens combattants de l’armée espagnol, il avait échoué, comme bien d’autres, après la défaite et la victoire de Franco, au 3ème Etranger. Souvent, lui qui avait sur la conscience quelques religieuses et prêtres espagnols, il me disait, avec un bon accent qui sentait le terroir : « Couré, yé vais te dire pourquoi ton Eglise, elle fout le camp. »

Or, ce jour-là, à la Légion, il y avait un grand festin. Quelques généraux, dont les noms ont illustré la guerre d’Indochine, des colonels en qualité, des officiers étrangers, des américains en particulier, garnissaient une grande table de quelque 70 personnes. Je me trouvais, pour ma part, à côté du capitaine Montoya et en face du père Haag, un dominicain français adorable et comptant derrière lui plus de 15 ans d’Indochine. Il me posa cette question : « Arrives-tu à faire vivre ton bulletin de l’aumônerie ? » C’est vrai que, depuis six mois, j’avais osé me lancer dans la rédaction, l’impression et la diffusion d’un bulletin mensuel illustré de 15 à 20 pages, qui était dispersé à travers toutes les positions d’unités que je visitais trop rarement. Le tirage était de 4 000. Quant à l’argent nécessaire, je le prenais souvent de ma propre solde ou je recevais des dons imprévus qui venaient combler les vides. J’expliquai donc devant mon public où j’en étais. Tout d’un coup, je vis Montoya se lever de table, prendre une assiette propre, y placer un billet de 1 000 piastres et se déplacer tout au long de la table, n’hésitant pas à provoquer ces brillants officiels qui, en public, n’osaient pas refuser de participer. Et Montoya accompagnait sa démarche de tonitruants « C’est pour le bulletin du curé ». L’assiette revint pleine à craquer, me laissant entre les mains de quoi assurer largement le paiement des deux numéros à venir.

 

Ce bulletin, ‘L’Antenne », après avoir été le bulletin de l’aumônerie du 3ème Etranger, devint par la suite, jusqu’à la fin de la guerre, le bulletin de l’aumônerie catholique de toutes les troupes du Viet-Nam.

Just de Vesvrotte.

 

Demain : « Les hurlements de la Mamie »…