Un grand merci au colonel (er) Jean-Claude BERTOUT qui offre à notre curiosité cette "tranche de vie" du temps où il était en affectation dans le poste isolé d'Holl-Holl à Djibouti. Un vrai régal !

 "Nous sommes à l’été 1975, sur le Territoire Français des Afars et des Issas. Je suis le chef de la 1re section de la 4e compagnie de la 13e DBLE à Holl Holl, poste situé à environ une heure et demi de piste de Djibouti.

La 4 sapprête à vivre la passation de commandement entre le capitaine K. de la Vercors et le capitaine T. de la Driant. Evènement d’autant plus important que la cérémonie sera naturellement présidée par le chef de corps « à qui on ne la fait pas », en présence des autres commandants d’unité avec leurs fanions et de délégations d’officiers, sous-officiers et légionnaires, tous enclins à trouver très facilement « la paille dans l’œil » de leurs concurrents…

La 4, comme les autres unités de combat de la 13, vit en poste isolé. Cest-à-dire qu’elle dispose de toutes les annexes des services du corps pour vivre en quasi autarcie, produit elle-même son électricité par groupes électrogènes et son eau grâce à une station de pompage d’eau douce. Elle détient ses dotations « guerre » (vivres, carburants, munitions etc.). Elle possède même son propre « centre d’accueil ». Rançon de sa « liberté », elle subit périodiquement les contrôles réservés à un corps de troupe dans toutes ses responsabilités administratives et techniques.

Mais la 4, c’est aussi la compagnie des « célibataires », son implantation n’offrant aucune infrastructure pour recevoir des familles. Cette caractéristique originale lui donne une personnalité très forte, une réputation austère et fière de « moines-soldats », une cohésion sans faille, une disponibilité totale, toujours prête à tout, tant dans ses missions que dans les dégagements. D’ailleurs, dans les quartiers de Djibouti, elle est surnommée « compagnie diguidaou», la compagnie des fous.

Pour l’heure, la 4 est satellisée autour de la cour dans un exercice d’ordre serré aux ordres de l’officier adjoint, le lieutenant B. de la Brunet de Sairigné, sous les yeux vigilants et exigeants des deux capitaines. Détail qui a son importance, tout le monde est sous les armes, aucun cosaque éventuel ne doit par manque d’entraînement pouvoir ternir l’image de marque de la « meilleure » des compagnies de la 13. Les quelques exempts assurent les gardes et permanences.

L’heure est donc à la rigueur légionnaire, demain il faudra faire honneur à notre capitaine descendant et, si possible, impressionner favorablement le montant. La prestation devant nos chefs et nos camarades - sans pitié - devra être parfaite

Les sections ont pris leur formation de défilé, rangs ouverts, la cadence est bonne, les armes bien calées, les têtes droites, les bras tendus, l’allure est martiale : « Jamais garde de rois… nalla d’un air plus mâle et plus superbement. » (Capitaine de Borelli)

 

C’est là que Gertrude entre en scène

 Gertrude est une autruche d’environ deux ans ramenée d’une tournée de brousse par l’une des sections alors qu’elle n’était qu’un vilain volatile pas plus gros qu’un poulet avec de longues pattes. Elle vit depuis en liberté dans le poste, errant dans la cour au milieu de nous. De temps à autre, elle se rue sur l’insigne de béret rutilant dun légionnaire, parfois elle se lance dans une course folle, sorte de danse de Saint-Guy sans but ni raison. C’est l’une des mascottes de l’unité.

En effet, le poste d’Holl Holl abrite aussi toute une ménagerie, en cage ou en liberté, dans laquelle on peut voir un couple de lions, des guépards, deux caracals (lynx), des gazelles, deux genettes, une mangouste, trois ou quatre singes (cynocéphales et grivet), deux énormes tortues, une volière d’oiseaux tisserins, sans oublier une porcherie de quatre-vingts pensionnaires. Chaque section possède, en outre, un chien qui ne se trompe jamais de chambre ou de VLRA (véhicule léger de reconnaissance ou d’appui) pour accompagner ses maîtres.

Pour le moment, altière et curieuse, Gertrude déambule en observant les manœuvres de « ses » légionnaires. Soudain, surprise et dérangée par le mouvement de l’unité passant de la formation par sections successives à celle de pelotons successifs, elle se retrouve devant, à la place normale du capitaine… Alors, sans se départir de sa morgue, au pas lent des képis blancs (88 pas minute), elle effectue quasiment deux tours de la place d’armes en tête de la 4e compagnie.

L’image est saisissante, l’effet incongru et cocasse. Au pied du mât des couleurs, les capitaines pliés de rire essayent de conserver la dignité qui convient à leur statut. Sur les rangs, nous tentons de garder, peine perdue, le sérieux et la concentration qui siéent à lexercice.

Hélas, trois fois hélas, il n’y a personne pour immortaliser sur la pellicule cet épisode inimaginable

 

Mais demain, la passation de commandement se déroulera dans des conditions parfaitement maîtrisées, les facéties de Gertrude ne viendront pas perturber la prise d’armes car le stupide ratite struthioniforme sera neutralisé, soigneusement encagé sur le terrain de tennis.