Isabelle Maury pour la Maison du légionnaire.

 

La guerre d’Indochine fut une guerre fascinante, lointaine, celle des lieutenants et des capitaines abandonnés à eux-mêmes, chargés de mener leurs hommes à la vie comme à la mort, de bricoler des solutions de fortune dans un nouveau type d’affrontement dont les populations, plus que les territoires, constituaient le véritable enjeu. Pour des dizaines de milliers de soldats professionnels isolés de tout, le quotidien voyait se succéder des combats épisodiques avec un adversaire insaisissable.

Mais pourquoi donc se battre aussi loin? Par goût de l’aventure? appât du gain? promotion de carrière? fuir un quotidien raté ou trop banal ? lutter contre le communisme ? Un peu tout cela en même temps, sans doute!

Tombeau, entre 1945 et 1954, de plusieurs centaines de milliers de militaires et civils vietnamiens et de plus de 90 000 soldats du Corps expéditionnaire soit 25 000 français et 2 000 officiers. La moitié des morts français appartenant à la Légion étrangère, cette guerre aura marqué l’Armée française, sonné le glas de l’empire colonial, précipité l’engagement militaire des Etats-Unis dans la péninsule indochinoise.

Cette guerre en réalité franco-vietnamienne résulte du divorce progressif entre les aspirations indépendantistes des élites vietnaminnes accaparés par le parti communiste et la montée en puissance des élites françaises pour un nationalisme affiché, compensation aux humiliations de la Seconde Guerre mondiale. L’année 1945, fut le début de la guerre d’Indochine.

La défaite de la France en juin 1940 face aux nazis, avait renforcé le Japon d’une mainmise sur l’Indochine. Les plus déterminés des nationalistes vietnamiens regroupés en 1941 par Hô Chi Minh, anticipait déjà les profonds bouleversements qu’allait entraîner la fin de la Seconde Guerre mondiale.

La terrible famine de l’hiver 1944-45, qui enclencha la mort de centaines de milliers de vietnamiens puis le coup de force japonais du 9 mars 1945 créèrent les conditions du changement attendu. Hô Chi Minh profitant de la capitulation nippone provoqua le renversement de la “domination coloniale”. Une détermination qui prit de court les Français. Elle signa le début d’une longue et impitoyable lutte non seulement entre Vietnamien mais aussi contre la France. Le général De Gaulle, président du Conseil, à l’unisson des autres partis politiques, affirma sa volonté de restaurer la souveraineté française sur l’Indochine, fût-ce par la force avant d’accepter toute négociation. Le général Leclerc releva ce défi par la force des armes au Sud et par la négociation au Nord. Leclerc compris à l’épreuve des difficultés rencontrées sur le terrain face à la vigueur de la résistance, que la France ne pourrait juguler militairement le réveil d’un authentique nationaliste vietnamien et que la force serait inutile.

Privé du soutien du général de Gaulle, l’amiral Thierry d’Argenlieu, auquel il avait confié la mission de restaurer la souveraineté française, préféra s’effacer et quitter l’Indochine en 1946. Il ne devait plus y revenir.

Dès lors, toutes les négociations échouent et prend place une forme de guerre à laquelle la culture stratégique des Vietnamiens les prédéterminait plus qu’aucun autre peuple.

1949-1952: Comme Leclerc l’avait redouté, la guerre civile accéléra l’internationalisation du conflit.

Avant, il n’y avait que des opérations de police ou de pacification et même si c’était déjà une “sale guerre”. En France, un mouvement d’opposition se structurait à partir de 1949 sous l’égide du PCF qui alternait campagnes de presse, manifestations, grèves et même sabotages. Les militaires français sur place au Vietnam en garderont une rancune tenace. Le mécontentement toucha aussi les milieux intellectuels et les chrétiens progressistes. Les dirigeants français affectaient un optimisme de façade.

En Chine, les troupes communistes de Mao Zedong multipliaient les succès contre le parti nationaliste chinois de Tchang Kaï-Chek. L’arrivée des troupes communistes chinois aux frontières du Tonkin et la proclamation de la République Populaire de Chine par Mao Zedong le 1er octobre 1949, précipita le conflit vietnamien dans une mobilisation générale.

L’Asie s’enfonçait inexorablement dans une guerre froide dont l’Indochine était l’un des fronts les plus chauds. Les aides chinoises et russes se révèlent déterminantes pour la marche en avant d’un régime vietnamien isolé depuis 1945. Pékin apporta un soutien politique, militaire, économique et médical, perçu comme un salutaire bol d’air pour la République Démocratique du Vietnam. La stratégie vietnamienne pouvait, dès lors, se développer à l’échelle du pays. Inspirée et même encouragée par son allié chinois, le bureau politique vietnamien, décida au printemps 1952, une contre-offensive générale lancée vers la haute région du nord-ouest.

En réaction à cette situation préoccupante de renforcement de la puissance de feu vietnamienne, en 1954, les Américains décident une augmentation de leur aide à la hauteur de financer 78% du coût de la guerre.

Pour stopper l’avancée soudaine de plusieurs divisions vietnamiennes, les Français décident d’implanter une importante base aéroterrestre dans la plaine de Diën Biën Phu, aux confins du Laos. Avec 4 500 parachutistes, l’opération “Castor”, la plus importante des opérations aéroportées, permit de faire surgir au sol, le plus puissant des camps retranchés jamais bâti. La confiance dans la puissance de feu et le soutien aérien permettaient un optimisme réconfortant bien vite démenti.

Lorsque l’offensive vietnamienne éclata, le 13 mars 1954, les 12 000 hommes du colonel de Castries (promu général en pleine bataille), découvrirent avec stupeur la terrifiante efficacité des actions ennemies.

En trois puissantes offensives rythmées par une succession d’actes héroïques, les 50 000 soldats vietnamiens aidés d’environ 300 000 travailleurs civils s’emparèrent, l’un après l’autre, des pitons insuffisamment fortifiés qui resteront dans la légende par leurs prénoms féminins.

Diën Biën Phu, la bataille principale d’une offensive généralisée sombrait le 7 mai 1954, après 57 jours de siège ininterrompu, de combats acharnés et de sacrifices inouïs, les Vietnamiens s’emparèrent du QG du général de Castries, le font prisonnier avec tout son état-major ainsi que plus de 10 000 soldats.

Le cessez le feu sonnait cependant le début de nouvelles préoccupations, les nationalistes de plusieurs autres pays sous domination française comme le territoire algérien, célébraient la fin de la guerre franco-vietnamienne et saluaient la victoire des Vietnamiens.

La guerre d’Indochine accouchait d’une paix ambiguë et fragile. La France était à nouveau confrontée à de nouveaux tourments et particulièrement en Algérie. Elle devait disparaître de la péninsule indochinoise… au profit des Etats-Unis qui s’engageaient dans une longue guerre.

Aujourd’hui, bon nombre de ceux qui ont fait la guerre d’Indochine disent qu’on n’en parle plus, qu’elle n’est plus enseignée au collège, au lycée et même à l’université, l’histoire ne lui laisse aucune place. Il est vrai que cette guerre lointaine et mal aimée a été rapidement balayée dans la mémoire collective par la déchirure algérienne. Notre mémoire est sélective, elle s’adapte et se réfugie dans de condamnables amnésies, les survivants de la Grande Guerre n’avaient-ils pas souhaiter: “plus jamais ça!”, le malheur a été de constater que l’histoire vécue se renouvelle sans cesse avec une escalade d’horreurs dans des conflits économiques, idéologiques ou religieux aussi vieux que notre civilisation, où la haine est le moteur principal qui anime des mondes différents qui sont prêts à s’affronter jusqu’à l’élimination physique. Nous vivons dans un monde dangereux où la paix n’a jamais été qu’un leurre pour des gens bien pensants qui naîvement espérent encore que l’homme pourrait changer et ne plus laisser ses instincts les plus abjectes le dominer, une vie paisible manquerait-elle d’intérêt?

Vaste programme qui ne pourrait être entendu que par des extraterrestres…

Pour les Américains, la fin de "leur guerre du vietnam" inaugurait l’une des décennies les plus sombres de l’histoire contemporains pour ces peuples d’Indochine en proie au “chagrin de la guerre” décrit par Bao Ninh, une tristesse immémoriale, qu’on se passe de génération en génération, immense épreuve de la guerre au-delà de tout bonheur, au-delà de toute souffrance.   

CM  

 

Références:

-       “la Guerre d’Indochine. L’enlissement, l’humiliation” lucien Bodard.

-       “La France et ses soldats, Indochine 1945-1954” Michel Bodin.

-       “Vietnam. Un état né de la guerre 1945-1954” Christopher Goscha.

-       “Les chemns de Diên-Biên-Phu” Frank Mirmont.

-       “Mémorial Indochine 1945 – 1954” Guy Leonetti.

-       “De Gaulle et le Vietnam” Pierre Journoud.

Le général d’Armée (2s) Jean-Claude COULLON,  après lecture nous propose, par amitié et souci de vérité historique, au cas où cet article susciterait des observations quant à son titre, un passage du rapport du général LECLERC de juillet 1946:

“En juillet 1946, Leclerc rentre en France, après avoir, dans son rapport, posé un diagnostic lucide sur la situation, dont la solution est pour lui uniquement politique. “L’incendiaire” de cette situation sera l’amiral Thierry d’Argenlieu.”

J’ai recommandé au gouvernement la reconnaissance de l’Etat du Viêt Nam, il n’y avait pas d’autre solution. Il ne pouvait être question de reconquérir le Nord par les armes, nous n’en avions pas, et nous n’en aurions jamais les moyens.

Rappelez-vous le Sud. Ici l’insuccès est certain… il faut garder le Viët Nam dans l’Union française, voilà le but, même s’il faut parler d’indépendance. A Fontainebleau (avec présence d’Ho Chi Minh) doit être trouvée une solution garantissant à la France au moins le maintien de ses intérêts économiques et culturels… étant entendu que Hô Chi Ming persistera à vouloir se débarrasser de nous… Pour cela, tendez la corde, tirez dessus… mais surtout qu’elle ne casse jamais !... il nous faut la paix !”