Le lieutenant roumain Ursuleanu, avec deux camarades, traversa à pied toute la Russie. Il s'est engagé dans la légion étrangère.

La venue vers la France des jeunes officiers roumains originaires de Transylvanie, qui, à pied, au péril de leur vie, traversèrent toute la Russie pour combattre dans les rangs français doit être considérés comme une manifestation d'une, haute signification. Car ils furent conduits vers nous par une sorte de force mystique, par des sentiments ataviques el profonds qui prévalurent sur les influences ennemies.

Nous avons rencontré le lieutenant Sempronius Ursuleanu à l'heure et dans la joie d'un nouveau départ. Dès son arrivée à Paris, il avait adressé, avec ses camarades, une demande aux autorités militaires françaises pour servir sur le front occidental. Satisfaction vient de leur être donnée :

Vous me voyez heureux, très heureux, nous dit le lieutenant Ursuleanu. J'ai mon ordre de départ dans mon portefeuille, et mon grand désir se réalise enfin !

Le lieutenant nous parle avec un tel enthousiasme que sa voix tremble un peu. Il est jeune, il a vingt-deux ans, et c'est un beau soldat, un admirable spécimen du type latin. Les traits sont fins dans un visage large et noblement dessiné. Ses yeux expriment une foi ardente. Il aime la France d'un amour passionné.

Racontez-moi votre randonnée, mon lieutenant.

Avec plaisir. Mais excusez mon... français !

Il parle le français très purement, avec un accent caressant, plein de charme :

Nous sommes partis le 1er juin dernier. Nous étions quatre officiers : deux se sont engagés dans la Légion étrangère, le capitaine Constanti. Popesco et moi. Le troisième, notre aviateur Dragushanu, qui bombarda Sofia et descendit nombre d'Allemands, fera, avant longtemps, parler de lui. Le quatrième, nous l'avons, malheureusement, perdu au cours de notre voyage.

Donc, nous partimes de Galatz, par Jassy, sans papiers, et nous atteignîmes la rivière de Dniester, gardée par des soldats roumains et autrichiens. Nous frétâmes un radeau et nous naviguâmes pendant douze heures pour traverser le fleuve. Sur l'autre rive, en Ukraine, nous nous sommes cachés dans un bois. Nous entendîmes le canon à une vingtaine de kilomètres. Nous apprîmes, par la suite, que ce n'était rien, ou presque les Allemands perquisitionnaient à coups de mitrailleuses. C'est leur manière. Nous fîmes, à pied, la route jusqu'à Kodeyma. Un officier autrichien haranguait ses hommes. A chaque fin de phrase revenait ce leit-motiv: « Si vous ne faites pas ceci, ou cela, vous serez fusillés ! »

Nous passâmes inaperçus. Nous allâmes à Jonerynka. Dans le district d'Odessa, il y avait 50.000 Autrichiens. Dans la direction de Kief, la région était occupée par deux divisions allemandes. On nous demanda nos papiers. Aux Russes, nous répondions : « Nous sommes des Allemands » et vice- versa. Nous ne fûmes pas inquiétés. A Kief, où seulement nous aperçûmes des soldats ukrainiens, nous avons pris le train dans la direction de Bachmatch-Gomel. Le contrôle y était sévère. Aussi nous cachâmes- nous chez un paysan qui, bien payé, consentit à nous garder jusqu'au coucher du soleil. La nuit venue, nous partîmes à travers bois, nous fiant à notre boussole. Nous traversâmes des villages, nous cachant le jour et marchant la nuit, tantôt rencontrant des paysans révoltés contre la tyrannie allemande et, appelant au secours, tantôt, le plus souvent, n'ayant affaire qu'à des paysans ignorants de tout ce qui se passe en Russie et ailleurs.

Dans un village on nous prit pour des Allemands. Les paysans nous poursuivirent à coups de fusil, et c'est là que nous perdîmes notre malheureux camarade.

A Popovogorod, nous avons été reçus par le commandant en chef des troupes bolcheviks, un matelot, totalement étranger, d'ailleurs, à toute chose militaire. Nous obtînmes une voiture et poursuivîmes jusqu'à Novosikof, où nous arrivions le 25 juin. A Moscou, le consulat français nous fit partir, par le train, jusqu'à Vologda et, de là, jusqu'à Zwanka, où nous n'arrivâmes qu'après la cessation d'une grève réprimée à grands coups de fusil tirés, d'ailleurs, au hasard. Après cinq jours, nous arrivâmes à Mourmansk.

C'était fini. Le navire nous transporta en Angleterre. Nous gagnâmes Le Havre, et nous étions à Paris le 16 juillet. C'était le but de notre voyage. Le reste ne compte pas et nous l'avons oublié. Nous avons voulu venir ici pour combattre avec la France. Nous y sommes nous sommes contents.

Et, comme nous lui présentons nos félicitations et nos vœux, le jeune lieutenant nous serre la main avec force, et nous dit en manière d'adieu

J'ai toujours aimé la France, et j’ai toujours rêvé de la servir.

Henri SIMONI

Journal l’Excelsior paru le mercredi 21 août 1918© BNF.fr

parcours 2

Focus - UN ENGAGEMENT POUR LA DURÉE DE LA GUERRE

Pour la première fois en 1870, la Légion intervient sur le sol métropolitain. Deux bataillons de la Légion sont envoyés en France, les légionnaires d’origine allemande demeurant à Sidi-Bel-Abbès, afin qu’ils n’aient pas à combattre les leurs. Le 26 juillet 1870, un rapport signalait à l’empereur Napoléon III : « qu’il se présentait chaque jour aux frontières un nombre considérable d’étrangers demandant à servir sous le drapeau de la France dans la guerre actuelle ».

Il est créé en métropole le 5e bataillon de la Légion (à cinq ou six compagnies) au Régiment étranger, le 22 août par l’impératrice régente. Celui-ci est destiné à incorporer les étrangers résidant en France et souhaitant combattre aux côtés des Français pour la durée de la guerre. C’est un fait nouveau fort important pour la Légion, car le décret signé par l’Impératrice reconnaissait implicitement l’emploi de la Légion sur le sol de France[1]. Second fait nouveau, pour ces volontaires étrangers, le contrat d’engagement était limité dans le temps à la durée de la guerre, et non plus aux cinq ans réglementaires.

Pour la première fois, la notion d’Engagés Volontaires pour la Durée de la Guerre (EVDG) apparaît alors.

Des particularités liées à ce type d’engagement voient alors le jour :

– d’une part, de nombreux EVDG étrangers n’ont pas souhaité servir dans les rangs de la Légion : ce vœu a parfois été respecté et ils ont été affectés dans des corps français surtout en 1914-1918.

– d’autre part, les ressortissants des nations alliées de la France doivent rejoindre l’armée de leur pays si celui-ci les demande.

Suite à la promulgation par l’impératrice du décret permettant ce nouveau type d’engagement, ce ne sont pas moins de 1 600 engagés volontaires pour la durée de la guerre et 5 000 volontaires[2], qui rejoignent le 5e bataillon du Régiment étranger, unité nouvellement créée à Tours. Ce bataillon est alors composé d’Espagnols, d’Autrichiens, de Polonais, de Valaques, d’Italiens, de Serbes, de Suisses et d’Irlandais. De nombreux Belges se présentent à la sous-intendance de Lille, mais, afin de respecter la neutralité de leur pays et à la demande de leur souverain le roi Léopold II, ils ne peuvent prendre les armes contre les Allemands.

Certains volontaires, officiers dans leur armée d’origine, sont engagés avec leur grade, à titre étranger. C’est le cas, en particulier, du prince Karageorges, futur roi Pierre 1er de Serbie. En décembre 1870, il ne reste plus de ce régiment que 1 000 hommes en état de combattre. 2 000 Vendéens et Bretons s’engagent alors pour combler les vides. Ces engagements cessent dès la fin des hostilités en mars 1871 à la signature du traité de Francfort et les légionnaires sous ce statut sont versés dans la vie civile ou bien souscrivent un contrat à durée déterminée pour pouvoir continuer leurs services.

LA GRANDE GUERRE

Lorsque la conflagration survient à la fin du mois de juillet 1914, un double phénomène se manifeste immédiatement. En premier lieu, l’établissement brusque et unanime d’une trêve des oppositions entre partis politiques, dans la certitude absolue que la France est victime d’une agression odieuse et préméditée qu’il faut repousser ensemble pour vaincre à tout prix. Cela justifie l’immense élan du pays tout entier dressé contre l’ennemi.

Ensuite, la manifestation soudaine et touchante de la sympathie d’une foule d’étrangers en faveur de la cause française qu’ils devinent, d’emblée, être celle de la justice. Ce que tout le monde attend, c’est plus que la défense de la France ; c’est l’idée moderne du progrès dans ce qu’il a de plus généreux et de moins contestable. C’est le droit des neutres, le droit des pacifistes et, enfin, le droit des âmes fières à ne pas être asservies. Pour tous ces étrangers, c’est se défendre contre une domination injurieuse. Il en découle immanquablement une affection magnifique et réconfortante pour la France, dès les derniers jours de juillet 1914.

L’appel lancé par Blaise Cendrars et d’autres intellectuels résume bien leur motivation :

L’heure est grave. Tout homme digne de ce nom doit aujourd’hui agir, doit se défendre de rester inactif au milieu de la plus formidable conflagration que l’Histoire n’ait jamais connue. Toute hésitation serait un crime. Point de paroles, donc des actes. (…) Des étrangers, amis de la France, qui pendant leur séjour sur le territoire ont appris à l’aimer et à la chérir comme une seconde patrie, sentent le besoin impérieux de lui offrir leur bras.

D’autres appels suivent : celui d’Américains mené par Georges Casmèze, celui des Juifs, des Suisses, des Anglais, des Italiens, des Arméniens, des Syriens ou encore des Grecs.

À la suite de ces appels, plus de 8 000 candidats à l’engagement pour la durée de la guerre se présentent à partir du 3 août dans les permanences que l’association Les Amitiés françaises[3] a ouvertes. Les demandes d’engagement sont adressées au ministère de la Guerre.

Le ministère de la Guerre ne décide d’ouvrir les recrutements qu’à partir du 21 août (soit le 20e jour de mobilisation) pour éviter l’enthousiasme des premiers jours. Les bureaux de recrutement des Invalides sont pourtant débordés à cette date et des bureaux permanents pour les engagements au titre de la Légion doivent être ouverts à Paris. Les contrats signés auprès des comités et bureaux des Amitiés françaises n’étant pas reconnus valables, la seule solution qui subsiste pour des étrangers souhaitant combattre aux côtés de la France est de souscrire un engagement dans la Légion étrangère.

Ces étrangers ont été recrutés à partir d’août 1914 sous l’appellation d’engagés volontaires pour la durée de la guerre au titre de la Légion étrangère. Ce sont essentiellement des intellectuels, amoureux de la France ou vivant en France depuis longtemps.

Les raisons de leur engagement sont bien différentes de celles des légionnaires. Leur réversion dans les régiments de la Légion étrangère à partir de 1915 est d’ailleurs l’occasion pour Blaise Cendrars – lui-même engagé volontaire pour la durée de la guerre – de narrer ce choc des cultures :

L’arrivée de ces têtes brûlées de retour d’Afrique, de ces survivants de je ne sais quelles infernales campagnes coloniales, de je ne sais quelles criminelles expéditions punitives dans l’extrême Sud, qui étaient montés en ligne comme nous commencions à crever de misère et de honte dans les tranchées, nous fit un bien à tous, car chacun de ces damnés, ça se voyait, était moralement dépouillé de tout, orgueilleux et solitaire ; et c’est cet abominable moral d’hommes d’action, pour ne pas dire d’hommes de main, ou encore de héros désenchantés et revenus de tout, beaucoup plus que leur esprit de corps, auquel ils semblaient si manifestement, si exagérément tenir, qui nous servit d’exemple, à nous, jeunes écervelés,

enthousiastes ou je m’en-fichistes (…) dont se composait notre IIIe Régiment de marche de la Légion étrangère, le régiment le plus parisien de tous les régiments de l’armée française, et le plus intellectuel de tous (…).

Au total, plus de 42 883 volontaires étrangers, représentant plus de cinquante-deux nationalités, s’engagent comme volontaires étrangers pour la durée de la guerre durant ce premier conflit mondial, même si, comme on le verra, ils ne servent pas tous dans la Légion.

Fait remarquable, l’ouverture le 15 août 1918, d’un centre de recrutement à Arkhangelsk par la mission militaire française en Russie. Ce centre dédié au bataillon de Légion de Russie recrute essentiellement parmi les nombreux réfugiés qui encombrent la région et la population locale avec un contrat pour la durée de la guerre d’autant plus étonnant que les armistices ont été signés avec les puissances centrales et que la France n’est pas officiellement en guerre contre la Russie bolchevique.

LE SECOND CONFLIT MONDIAL

Avec les menaces de guerre, le Gouvernement change de politique en 1938 et recommence à encourager les engagements. On insère des encarts dans la presse étrangère, on envoie de l’argent aux associations de vétérans à l’étranger, on met les postes-frontières à l’affût, avec des primes de recrutement. Cependant, Franco, Hitler et dans une moindre mesure, Mussolini, se révèlent être de meilleurs agents de recrutement que la police française elle-même. La mobilisation générale en septembre 1939, qui prévoit la création de nouvelles unités, va porter l’effectif total de la Légion étrangère à 48 900 hommes. Pour atteindre ce chiffre, jamais égalé, l’effort de recrutement est considérable. On retrouve alors les mêmes procédures d’EVDG utilisées en 1914, au moment de la déclaration de la seconde guerre mondiale. Le 12 avril, une mesure est adoptée par le Gouvernement autorisant les résidents étrangers 19 âgés de 18 à 40 ans, à contracter un engagement dès le temps de paix dans l’armée française régulière sous l’impulsion d’Édouard Daladier, ministre de la Défense nationale du Front populaire qui n’oublie pas les sacrifices consentis par les volontaires étrangers en 14-18. Ce décret ouvre donc la voie aux étrangers pour servir soit à la Légion, soit dans les troupes[4] dites régulières. À Paris, de nombreux bureaux de recrutement sont ouverts pour accueillir les flux des engagés, au 71, rue Saint-Dominique bien sûr, mais aussi à la rue de Reuilly, à Vincennes et à la caserne de Clignancourt. On se souvient de la réticence de nombreux EVDG issus de milieux plus parisiens ou intellectuels à servir dans la Légion lors de la mobilisation de 1914, considérant les hommes qui la composait comme de la piétaille mal éduquée ou des rustres de basse compagnie. Néanmoins, de nombreux réfugiés ne pouvaient en bénéficier, et l’administration militaire choisit d’appliquer les textes d’une façon incohérente et arbitraire.

Le 27 mai 1939, le décret d’application ramène la limite d’âge à 17 ans, et le 7 septembre de la même année, un nouveau décret est promulgué, abrogeant le premier et n’autorisant les engagements qu’au titre de la Légion étrangère. Enfin le 29 décembre 1939, un autre décret autorisa les citoyens de pays neutres à s’engager en nombre limité dans les formations régulières françaises.

Le même afflux qu’en 1914 se renouvela en 1939, quand près de 20 000 étrangers répondirent encore à l’appel du tocsin dès le mois de septembre. Le 15 octobre, ils étaient près de 64 000[5]. Si de nombreuses nationalités sont représentées, dont des Afghans, des Chinois et de nombreux Sud-Américains, les officiers de Légion se méfient particulièrement de deux groupes d’engagés, les Républicains espagnols et les juifs d’Europe de l’Est. Beaucoup, installés en France depuis longtemps, considèrent que leur devoir était de défendre le pays qui les abritait. Les autres étaient des Républicains espagnols, des réfugiés de l’Est, des israélites de toutes nationalités, mais venus surtout de Pologne et de Roumanie : pour ceux-là, l’Allemagne de Hitler était l’ennemi à combattre et à abattre. Le rejet des candidatures pour un engagement au sein de la Légion des ressortissants allemands et autrichiens sera levé en décembre après avoir été institué en septembre 1939 avec celui des sujets italiens. Contrairement à ce qui s’est passé en 1870 et en 1914, la mobilisation des volontaires étrangers et, pour la première fois, des réservistes de la Légion est organisée.

La particularité essentielle de cette époque est que le dispositif de recrutement doit, non plus livrer des candidats triés, sélectionnés et formés aux régiments de Légion, mais fournir des unités constituées ce qui alourdit sensiblement le dernier volet de sa mission portant sur l’instruction. Ces régiments devaient être créés à partir de noyaux actifs venus d’Afrique du Nord, d’EVDG et de réservistes français de la Légion dans des proportions qui seraient à déterminer en fonction du volume de leurs effectifs.

Aujourd’hui, dans le code de recrutement des personnels de l’armée, il est encore prévu le cas de ressortissants étrangers servant dans les armées pour tout ou partie de la durée de la guerre (article 26 du chapitre II, « Recrutement »).

Le conflit indochinois et celui d’Algérie plus tard ne verront pas ce type de recrutement utilisé.

D’autres modes furent utilisés comme l’enrôlement de volontaires autochtones, notamment en Indochine ce qui donnera naissance au terme de jaunissement que nous aborderons dans un prochain article. En Algérie ce fut l’envoi d’appelés du contingent en renforcement des troupes de métier qui fut employé.

 

Sources :

Le recrutement à la légion étrangère histoire et évolutions 1831-2019 – Jean-Michel HOUSSIN – éditions d’une autre ailleurs - 2020

[1] Il s’appuyait en fait sur les attendus de la loi du 9 mars 1831 qui, nous le savons, limitait au temps de paix la restriction d’emploi hors des limites continentales du royaume.

[2] Engagés Volontaires pour la Durée de la Guerre et ayant souscrit un contrat de cinq ans au titre de la Légion étrangère durant la même période.

[3] Organisation fondée en 1909, à Liège par l’avocat Émile Jenissen.

[4] Résidant en France depuis plus de dix ans.

[5] En février 1940, ce sont 83 000 étrangers qui ont demandé à s’engager soit deux fois plus que pendant la Grande Guerre.