Malgré sa volonté farouche d’aller toujours plus loin sur « le glorieux chemin », comme le clame le refrain de notre cher « Régiment du Tonkin », le Colonel Jean-Paul BLANCHARD nous a quittés le 28 juillet après la longue et douloureuse épreuve de la maladie. Son départ nous laisse dans le désarroi mais nous trouvons une forme de consolation dans le fait qu’il ne souffre plus, que son existence a été bien remplie et qu’il a, jusqu’au bout, remarquablement accompli sa mission.

Il avait 80 ans, et nous sommes réunis aujourd’hui pour l’accompagner vers son dernier bivouac.
Qu’il est difficile de résumer une vie d’homme et plus d’un demi-siècle d’amitié fraternelle…

Jean-Paul, c’est d’abord une haute silhouette, une démarche, une prestance élégante, une présence indéniable. C’est ensuite une personnalité courtoise, à l’humeur égale, sereine et souriante, une disponibilité généreuse. Homme de cœur et d’engagement, son amour pour la France, son idéal élevé, son sens du devoir et de l’intérêt général, ainsi que son aptitude innée à l’exercice des responsabilités se retrouvent dans toutes ses activités, militaires, professionnelles, associatives ou amicales.

C’est enfin un homme extrêmement pudique, voire secret sur sa vie privée, domaine strictement limité à ses très rares intimes. Cette facette de la personnalité du « Beau Paulo » provoquant parfois l’incompréhension de ses proches.

Jean-Paul, tu es mon ancien de quelques années au Prytanée et à Saint-Cyr mais la foi dans notre métier et notre attachement inconditionnel à la Légion étrangère nous ont rapproché comme des frères. Nous avons partagé la volonté de la servir, les mêmes affectations et responsabilités, les mêmes chefs, camarades et subordonnés sous-officiers et légionnaires.

Tu es né le 30 mai 1945 à Philippeville en Algérie que tu as toujours refusé d’appeler Skikda. Ton enfance et ton adolescence se déroulent au hasard des affectations en métropole ou outremer de ton père officier d’active. Tu prépares Saint-Cyr au Prytanée Militaire de La Flèche où tu rencontres notamment Yves DERVILLE, Arnaud LATAPIE et Jean-Louis GEORGELIN.

Saint-Cyrien de la promotion « Brunet de Sairigné » (1967-1969), sous-lieutenant, tu choisis l’infanterie et rejoins son Ecole d’application à Montpellier. A l’issue en 1970, le choix direct de la Légion étrangère n’étant pas ouvert, tu fais tes premières armes de lieutenant chef de section au 74ème Régiment d’Infanterie à Rouen. Tu y développes tes qualités humaines et professionnelles et cette « rigoureuse décontraction », oxymore qui résume si bien ton style de commandement.

A l’été 1973, tu rejoins enfin la Légion au 2ème Régiment étranger, comme chef de section à Bonifacio. Tu vas désormais la servir presque sans interruption pendant une vingtaine d’années.

Nous nous rencontrons à Corte à Noël 1973, à quelques pas du Commandant FORCIN qui sera ton chef respecté et auquel tu resteras fidèle jusqu’à sa disparition en décembre 2023.

En avril 1974, tu sers à la 4ème compagnie de la 13ème DBLE à Holl Holl sur le Territoire français des Afars et des Issas. Je t’y rejoins en juin. Nous passons deux ans dans ce poste isolé de célibataires à quarante-cinq kilomètres de Djibouti. Les conditions de vie, la proximité entre cadres et légionnaires, les missions exécutées dans un contexte opérationnel permanent, la fière cohésion de notre unité, nous marquent profondément. Pour toujours nous serons des « officiers d’Holl Holl ».

Capitaine, à ton retour en 1976, tu vas brillamment commander trois compagnies. D’abord la 2ème compagnie du RILE déménagée de Corte vers Castelnaudary après le drame de Bustanico. Ensuite en 1980, la compagnie de travaux du 5ème Régiment Mixte du Pacifique à Mururoa où tu tombes amoureux de la Polynésie française.
Enfin en 1981, la 11ème compagnie d’élèves officiers de réserve à Coëtquidan, dans la « régulière », comme nous l’appelons. Là, tu décides de ne pas concourir à l’école de guerre pour revenir au plus vite au sein de la Légion étrangère. Tu es promu au grade de chef de bataillon le 1er juillet 1983.
Officier supérieur, diplômé d’état-major, tu enchaines avec brio les postes de responsabilités. D’abord au 6ème Régiment étranger de Génie à sa création le 1er juillet 1984, où tu apportes ton savoir-faire et ta riche expérience d’officier de Légion.

En 1985, tu es volontaire pour la difficile et délicate mission de « Casques blancs » de l’ONU au Liban. Là, ta brillante conduite te vaut l’attribution de la croix de la valeur militaire avec une élogieuse citation à l’ordre du corps d’armée.
Revenu au 6ème REG, tu ne tardes pas à t’envoler vers le 5ème Régiment étranger à Mururoa à l’été 1986 pour diriger le bureau « emploi-instruction ». Tes remarquables résultats te permettent, à titre exceptionnel, d’effectuer une seconde année de séjour comme « officier supérieur adjoint ». Tu es promu au grade de lieutenant-colonel le 1er juillet 1987.
En septembre 1988, tu sers au 1er Etranger à Aubagne d’abord comme chef des services administratifs puis en qualité de commandant en second. Comme une évidence, tes brillants états de services te désignent tout naturellement pour prendre le commandement du 5ème Régiment étranger.
Chef de corps du « Régiment du Tonkin » ta réussite est totale. C’est aussi à Mururoa que ton existence va être bouleversée par ta rencontre avec Haude alors affectée au Service Mixte de Contrôle Biologique. Bientôt, en toute discrétion, elle va partager ta vie.
A l’été 1992, tu rejoins le Commandement de la Légion étrangère à Aubagne et prends la direction du « Service du Moral et du Foyer d’Entraide ». Ta connaissance du milieu légionnaire et ton expertise administrative vont y impulser un salutaire nouveau souffle au moment où son existence était remise en cause. Tu es promu colonel le 1er juillet 1994.
Votre fils TANGUY nait à Aubagne le 3 avril 1994.
Devant être muté hors Légion en 1996, tu choisis de quitter l’Institution militaire et fais valoir tes droits à la retraite après un stage de formation auprès du Centre National de Prévention et de Protection, acteur international majeur de la maîtrise des risques.
Après ta certification, tu œuvres à la sécurité générale d’une entreprise spécialisée dans l’aquaculture, la pêche et la commercialisation de crevettes à Madagascar. Tu t’imposes rapidement dans cet environnement civil où tes actions déterminées et efficaces te créent une flatteuse réputation. Tu fais même créer un poste permanent d’organisation et de gestion que par fidélité tu feras confier à des camarades officiers de Légion.
A ta retraite définitive, tu décides de servir autrement l’Institution légionnaire et prends la fonction de trésorier de la Fédération des Sociétés de nos Anciens à partir de 2013. Pendant douze années, aux côtés des généraux GAUSSERES et MAURIN, tu en gères les finances avec autorité et compétence à la satisfaction et la reconnaissance unanimes du monde des Anciens.
Par amitié, tu m’incites à devenir délégué de la FSALE en octobre 2013, fonction qui nous permet de nous retrouver « ès qualité » une ou deux fois par an.
Il y a quelques jours, ton état de santé t’a privé de deux évènements que tu attendais impatiemment. D’abord la prise de commandement d’unité élémentaire de TANGUY, ton fils, Saint-Cyrien, qui suit tes traces et fait ta fierté. Ensuite mi-juin, le congrès des anciens à Castelnaudary où tu souhaitais quitter officiellement tes fonctions de trésorier et surtout où tu te réjouissais de retrouver nos camarades légionnaires dans la ville qui nous a si bien accueillis en 1976.
Animé par le « feu sacré », militaire par vocation et officier de Légion par choix, homme de réflexion et d’action engagé dans la réussite parfaite de tes missions, désintéressé et modeste par élégance, pudique par tempérament, particulièrement fidèle dans tes amitiés, tu nous a quittés juste après avoir passé tes consignes de trésorier, le devoir pleinement accompli.
Tes décorations résument l’excellence de tes services et tes remarquables qualités humaines et militaires. La Légion d’honneur y côtoie la rosette d’officier du Mérite national, la croix de la valeur militaire avec étoile de vermeil et la médaille du Mérite libanais.
Pour conclure, j’emprunte TES derniers mots adressés à la communauté légionnaire réunie à Castelnaudary qui les a accueillis avec un profond respect et une vive reconnaissance :
« La Légion et les légionnaires ont marqué ma vie d’homme et d’officier… Vous avez été ma famille… Je me retire sous ma tente, avec au fond du cœur, une grande gratitude pour vous tous, légionnaires et officiers de Légion qui m’avez tant donné… LEGIO PATRIA NOSTRA ».
Adieu mon Colonel, mon ancien, Jean-Paul, mon cher Paulo.
Que Saint Antoine t’accueille en son panthéon.

A Telgruc-sur-Mer, le 4 août 2025
Colonel (er) Jean-Claude BERTOUT
Ancien officier de la Légion étrangère