Destin galopant s’il en est, dotée d’une vitalité qui tient du prodige, je me demande comment, dans les années 20, madame Alexandra David-Néel pouvait-elle, à cette époque, évoquer tant de personnages : anarchiste, bourgeoise, bouddhiste, cantatrice, orientaliste, exploratrice, journaliste, écrivain…
Quelle leçon d’endurance ! Elle bondissait, sans cesse en mouvement, au point que, devenue centenaire, sa première demande, le jour de cet anniversaire, fut de renouveler son passeport !
Adolescent, je me passionnais pour ses écrits d’aventures et d’explorations ; j’étais impressionné par sa manière de penser. Mes lectures contribuèrent fortement à donner un sens à ma vie, trop marquée par la tristesse des gens du Nord, qui savaient si bien s’amuser lors des fêtes, mais qui subissaient surtout un quotidien trop présent, trop rude, qui ne leur laissait aucune chance de changer un destin programmé, et qui, à mes yeux, n’offrait aucun intérêt.
Il est dit que nos lectures nous parlent un langage qui reste caché dans un coin au fond de nos mémoires, et qu’elles orientent toute notre vie : nos goûts, nos amours, nos pensées, nos sentiments, notre manière de vivre.
Je savais qu’il me fallait bouger, et ne pas être cette “huître” parfaitement décrite dans un passage que je garde précieusement, tellement il me ressemble.
Au retour d’une permission, après un séjour de plusieurs années passé à Madagascar, mon frère me disait que je ne devais jamais oublier d’où je venais, et me sentir “Dunkerquois”. En réponse, je parodiais ce passage du livre d’Alexandra — qui ne me quittait jamais :
« Tous ces gens-là font partie de ce que j’appelle “ma vie à Dunkerque”. Après tout, je l’oublie parfois, mais je suis à moitié belge aussi, et j’ai passé toute une partie de ma jeunesse à Ostende…
C’est égal, il ne me déplaît pas de me retourner de temps en temps, mais s’il m’y fallait demeurer, cela me serait pénible…
Au fait, je crois que cela m’a toujours été — et me serait plus que jamais — pénible de demeurer quelque part.
Drôle et inconcevable idée qu’ont les gens de s’attacher à un endroit comme des huîtres à leur banc, quand il y a tant à voir de par le vaste monde, et tant d’horizons à savourer. »
Je souhaite échapper à ce destin d’huître.
Je voulais être libre, comme la lumière souveraine qui ignore les obstacles.
Commandant (e.r.) Christian Morisot