Le 30 avril de chaque année, vous le savez, la Légion Etrangère commémore le combat de Camerone.
Parmi les missions impossibles qui lui furent confiées depuis sa création, c’est ce combat qui fut choisi pour en être la cérémonie la plus emblématique. Elle est religieusement célébrée par les Unités d’active et nous les Anciens, qui en sommes issus, la célébrons avec
autant de ferveur.
Mesdames et messieurs votre présence nous honore.
Merci à monsieur le maire de Pau, représenté par monsieur GIRAUD et à sa municipalité, de nous accueillir chaque année pour cette cérémonie, merci à monsieur le Préfet des Pyrénées Atlantiques, représenté par monsieur SAINT GERMES, directeur de l’Office National des Anciens Combattants.
Merci aux autorités militaires.
monsieur le colonel GAILHBAUT commandant l’Ecole des Troupes Aéroportées, représenté, monsieur le colonel BOULDOIRES commandant le groupement de gendarmerie départementale des Pyrénées Atlantiques, représenté monsieur le général CLEMENT-BOLLEE délégué régional de FSALE, (qui est notre fédération nationale), merci à toutes les associations patriotiques présentes, parmi lesquelles je voudrais souligner la présence de Madame Brigitte VERGEZ, présidente de l’association des pupilles de la Nation 64, fille d’un sous-officier du 1er REP mort au combat en Algérie, merci à toutes et ceux qui sont venus par sympathie et merci aux portes drapeaux de nos trois armées d’être venus nous entourer.
Avant d’aller plus loin, j’ai à cœur d’ouvrir une petite parenthèse…
Saviez-vous que la Légion est un peu chez elle à Pau ? Peu de personnes le savent.
Pour ne prendre que trois exemples :
- Après avoir combattu en Espagne de 1835 à 1838 au profit de la reine Régente Marie Christine, les Légionnaires se regroupèrent à Pau revenant à pied depuis l’Espagne.
- Après la campagne de Syrie, le 6e Régiment Etranger fut installé à Idron de 1941 à 1942.
- Longtemps il y eût à Pau une antenne de recrutement de la Légion.
Revenons à CAMERONE : pourquoi ce combat qui eût lieu le 30 avril 1863 au lointain Mexique, est-il devenu le symbole, la référence de la Légion Etrangère ?
Dans son livre « Monsieur Légionnaire », le général Jean Hallo nous dit : « Ce n’est pas une grande bataille, ni même une victoire, c’est seulement le combat d’une poignée de braves qui prêtent librement le serment de remplir jusqu’au bout une mission désespérée, et qui tiennent leur serment jusqu’à la mort »
A écouter le récit de ce combat, comme vous l’avez fait devant le monument aux morts, épuré sobre, dont les mots portent tout le poids de l’héroïsme de cette poignée d’hommes, d’aucun pourraient penser qu’il fut écrit, de façon un peu épique, comme celui d’une légende quelque peu magnifiée, dont le but n’aurait été que d’impressionner l’auditoire.
Non… ce texte relate fidèlement ce qui s’est passé.
Mais, pourrait-on nous objecter, qu’est-ce qui nous le prouve ? à partir de quelles sources ce texte fût il écrit ?
Car en effet nous le savons, les témoins d’une même scène, donnent bien souvent des témoignages différents qui rendent difficile à l’enquêteur ou à l’historien d’en dégager l’exacte vérité…
Ce combat excessivement meurtrier, laissa malgré tout des survivants parmi les Légionnaires, une vingtaine environ qui, chacun de leur côté, purent témoigner de ce qu’ils avaient vécu.
Certains firent même de véritables rapports très complets, comme celui du caporal Maine, l’un des trois rescapés, restés indemnes après qu’eût été tirée la dernière cartouche.
Tous ces témoignages recueillis y compris le rapport du colonel Milan, chef des mexicains, qu’il avait rédigé pour ses autorités, furent comparés les uns aux autres.
Tout concorde ! Ce texte reflète donc bien l’exactitude des faits !
Ceci dit, encore une fois, pourquoi le combat de CAMERONE est-il devenu ce symbole de la Légion Etrangère, élevé au rang du sacré ?
Le Service Historique de la Légion possède tout ce qui existe sur cet épisode ; à son sujet, tout a été dit et écrit.
Néanmoins si cela m’est permis, je voudrais vous donner une réponse toute personnelle à cette question ; elle tient en une phrase, que je compléterai par quelques détails glanés dans mes lectures, pour peut-être, prendre conscience un plus profondément de ce qu’ont enduré ces héros.
« Toutes les vertus qui forgèrent l’Âme de la Légion Etrangère furent condensées en moins de 24 heures, entre le 29 et le 30 avril 1863. »
Très brièvement :
D’abord des chefs, quelques soient leur grade : réfléchis, compétents, déterminés mais humains, et …
montrant toujours l’exemple.
Et puis des Légionnaires : volontaires, disciplinés, rompus à l’exercice du combat, courageux et toujours disponibles.
La mission qui va conduire le Capitaine Danjou et ses Légionnaires à Camerone, ne se décidera en fait que la veille ; au pied levé.
Nous pouvons aisément comprendre que le colonel Jeanningro qui commande le Régiment de Légion, est très soucieux par la mission de protection qu’il doit assurer le lendemain au profit d’un convoi (logistique dirions-nous aujourd’hui) très important pour le siège de la ville de Puebla, qui est le verrou qui bloque l’accès à Mexico.
Ce convoi est en effet, un long et lourd cortège de chariots qui avance lentement sur les pistes du Mexique et qui est à l’évidence très difficilement défendable.
C’est une proie facile pour les insurgés mexicains ; le colonel le sait parfaitement.
Ainsi préoccupé par la dangerosité de cette mission de protection, mission en réalité quasiment impossible à remplir, il pense à envoyer une Unité de reconnaissance au plus loin sur l’itinéraire, pour essayer de déterminer les intentions de l’ennemi qui lui, à coup sûr, ne va pas se priver de l’opportunité qui se présente.
Il en fait part à ses officiers et l’un d’entre eux, le capitaine Danjou, qui est l’officier administratif du régiment, pourrait-on dire, le conforte dans cette idée, mais il n’y a plus d’Unité disponible, elles ont toutes été affectée à la sécurité du convoi.
Bien qu’ayant de nombreux blessés et convalescents (au Mexique, les maladies tropicales tuent plus que les combats), le Capitaine Danjou propose la 3e Cie qui est au repos ; elle n’a qu’une soixantaine d’hommes à peu près disponibles et aucun d’officier pour les commander ; malades eux-aussi.
Il parvient néanmoins à mettre 62 hommes mis sur pied.
Peu après, le colonel lui rappelant qu’il n’y a aucun officier pour les commander, le capitaine Danjou, sans hésiter, lui demande l’autorisation d’en prendre lui-même commandement.
Qui est Danjou ? un Saint-Cyrien de 35 ans, fils d’artisan bonnetier, né à Chalabre dans les Pyrénées Orientales. Pendant la guerre de Crimée il perdit la main gauche et porte depuis une prothèse en bois ; pour cette raison probablement il occupe une fonction administrative.
A l’exemple de leur capitaine, deux sous-lieutenants, qui eux non plus n’ont pas un rôle de combattants, le SLT Vilain, jeune trésorier et le vieux SLT Maudet, issu du rang, un brave comme on disait à l’époque, porte drapeau du Régiment, se portent volontaires, pour se joindre à lui.
Voilà mesdames messieurs comment, la veille du combat, cette unité fut mise sur pied…
Nous sommes ici bien loin d’une Unité de combat constituée, bien encadrée, aguerrie, prête à intervenir…
Et puis, derrière l’exemple de ces trois officiers il y a ces Légionnaires qui iront, comme un seul homme, au-delà des limites humaines.
La compagnie va marcher de nuit, une vingtaine de km environ, mais n’imaginons pas que cela va être une promenade de santé sur un agréable chemin.
Car afin de ne pas éveiller le soupçon des insurgés mexicains, c’est hors des sentiers habituels qu’elle va se frayer un passage, au milieu de la végétation tropicale hostile ; deux mulets portent l’eau et les vivres.
Vers 7 heures, la fatigue se faisant sentir, le capitaine Danjou décide de faire une pause pour faire le café et se reposer un peu ; une pause... mais pas n’importe où.
En arrivant à « Camaròn de Tejeda », qu’aujourd’hui nous appelons CAMERONE, il a repéré une vieille mazure entourée d’un mur d’enceinte, car il a déjà la certitude que les éclaireurs mexicains l’épient depuis le lever du jour et que l’affrontement est imminent.
Les sentinelles donnent l’alerte, le café n’a pas eu le temps d’être pris, les bidons d’eau sont abandonnés sur place, les animaux chargés de vivres s’échappent… Mais pas d’affolement, les Légionnaires prennent les dispositions de combat, le capitaine fait immédiatement former le carré.
C’était à l’époque la manœuvre permettant de concentrer les tirs, pour notamment stopper les charges de cavalerie. 800 cavaliers fondent sur eux !
Le carré des Légionnaires se transforme en une boule de feu que le Capitaine Danjou fait calmement reculer vers l’hacienda. Plusieurs charges de cavalerie seront brisées.
Tout de suite il comprend qu’il a face lui l’ennemi qu’il cherchait, c’est bien celui qui a pour but d’attaquer le convoi. Il sait désormais que sa mission va être de le fixer, pour retarder le plus longtemps possible le moment où celui-ci pourra attaquer le convoi.
Le capitaine Danjou organise la défense avec une consigne : économiser les munitions !
Les Légionnaires n’en ont que 60 chacun, pour un combat qui va durer plus de 10 heures.
Un bref calcul : ça fait 6 cartouches à tirer par homme et par heure… Ceci nous donne une idée de la maitrise et de la discipline de feu des Légionnaires.
Pour essayer de mesurer un peu mieux ce qui s’est passé ce jour-là, entre les murs de l’hacienda en feu, voici donc quelques « témoignages »…
« La veille, avant le départ, l’ordonnance du capitaine avait mis dans sa musette une bouteille de vin pour son chef.
L’hacienda est déjà sous le feu de l’ennemi ! Le Capitaine Danjou s’en saisi et versa une goutte de vin dans le creux de la main de chacun de ses Légionnaires… à ses hommes qui depuis la veille et la pause-café brutalement interrompue n’avaient plus bu une seule goutte d’eau ... »
Ce détail, insignifiant peut-être pour bon nombre, montre en réalité l’affection que cet officier porte à ses hommes et le calme dont il fait preuve devant eux pour leur donner du courage.
Le combat est acharné ; des feux sont allumés par les assaillants pour asphyxier les Légionnaires, il y a déjà beaucoup de blessés ; la descente aux enfers s’accentue.
Faisant valoir leur nombre, les mexicains, à plusieurs reprises, offrent aux Légionnaires de se rendre, pour épargner leur vie… c’eût été tellement plus facile, n’est-ce pas ?
Mais le Capitaine Danjou a juré de combattre jusqu’à la mort et a invité les Légionnaires à en faire autant. Ils le feront tous ! Personne ne se rendra !
Voici le portrait que brosse le caporal Maine, dans son fameux rapport : « Le Capitaine Danjou semblait se multiplier. Je le verrai toujours avec sa belle tête intelligente où l’énergie se tempérait si bien par la douceur… Il allait d’un poste à l’autre, sans souci des balles qui se croisaient dans la cour, encourageant les hommes par son exemple, nous appelant par nos noms, disant à chacun de ces nobles paroles qui réchauffent le cœur et rendent le sacrifice de la vie moins pénible… »
Et il ajoute : « avec de pareils chefs je ne sais rien d’impossible. »
L’enfer va durer toute la journée !
Vers 11 heures, le capitaine Danjou meurt frappé en pleine poitrine. C’est le SLT Vilain, le trésorier qui n’a pas vraiment le profil d’un baroudeur, qui prend immédiatement la relève. Il n’y a ni flottement, ni interruption, l’impitoyable combat continue sans relâche. Et comme son illustre chef, malgré son jeune âge et son peu d’expérience au combat, il commande, ignorant la mitraille, debout, au milieu des Légionnaires.
Il tombera à son tour frappé en pleine tête.
Le vieux SLT Maudet prend alors sa place ; il n’y a pas la moindre hésitation non plus.
Le récit du combat nous dit que vers 6 heures du soir, acculés dans un coin de l’hacienda, ils ne sont plus que 5 autour du SLT Maudet, le caporal Maine et les Légionnaires Wensel, Cateau, Constantin, Léonard ; il ne leur reste plus qu’une cartouche chacun.
Dans son témoignage le caporal Maine nous rapportera les derniers ordres du Slt Maudet :
« Armez vos fusils, vous ferez feu à mon signal, puis nous chargerons à la baïonnette, vous me suivrez ! »
« vous me suivrez ! »… à Camerone ces trois officiers, avec panache, ont montré l’exemple !
Le caporal Maine n’avait-il pas écrit aussi ? « avec de pareils chefs je ne sais rien d’impossibles ! »
Et puis à présent, un dernier détail… si j’ose dire, sur l’agonie de ces soldats héroïques…
- Camerone est situé dans la région des « tierras calientes » les terres chaudes du Mexique, et le mois d’avril sous les Tropiques est l’époque la plus chaude de l’année-
Privés d’eau, assoiffés par la fumée et une chaleur insoutenable, au milieu des morts et des blessés, les Légionnaires survivants furent contraints de boire leur urine et le sang de leurs plaies …
- Voilà pourquoi, mesdames et messieurs, de mon humble point de vue, ce combat, qui pourrait-on dire,
n’en fut qu’un parmi tant d’autres, a été choisi pour être la cérémonie sacrée de la Légion Etrangère.
Héroïques furent-ils, ces hommes ! Mais qui étaient-ils ?
Des bagnards libérés ? des têtes brûlées ? des bagarreurs de sac et de corde ? Non… Rien de tout cela.
S’ils étaient venus chercher à la Légion une deuxième vie, ils en avaient tous eu une précédente.
Comme le dit l’un de nos vieux chants, il y avait des avocats, des médecins, des juges, des marquis, des roussins, d’anciens notaires, etc… ce que l’on sait, c’est que parmi ces 62 hommes, il y avait, des employés, des étudiants, des forgerons, des marins, des tisserands, des relieurs, des selliers, des garçons d’hôtel, des doreurs sur bois, des drapiers, des tuiliers, venant de pays différents : la Suisse, la Pologne, la Prusse, l’Italie, le Danemark, l’Espagne, la Belgique et la France.
Nous avons évoqué les officiers et les Légionnaires de Camerone, les sous-officiers quant à eux, sont peu évoqués dans l’historique. Ils étaient pourtant 5 : 1 sergent major et 4 sergents, qui eux-aussi, n’ont pas démérité et ont été jusqu’au bout de leur serment.
Aujourd’hui nos armées, à juste titre, s’enorgueillissent du corps de leurs sous-officiers respectifs.
Issus d’excellentes écoles de formation, remarquables techniciens, ils sont le maillon indispensable pour la transmission et l’exécution des ordres. Les armées du monde entier nous les envient.
A la Légion… c’est un petit peu différent. A de très rares exceptions près, ils ont tous commencé par porter… le Képi Blanc.
Ainsi, alliant toutes les qualités et les compétences requises, pour avoir commencé comme eux, ils ont en plus la parfaite connaissance de leurs hommes. Ils sont les précieux rouages du quotidien, jouant un rôle essentiel, notamment pour initier les jeunes officiers qui un jour « débarquent » à la Légion, comme ce fut le cas pour moi.
L’un de nos grands anciens, ne les a-t-il pas surnommés « les maréchaux de la Légion » ?
He bien, mesdames et messieurs, à l’Amicale des Anciens Légionnaires de Pau et de sa région nous avons la fierté d’en avoir deux !
Tous deux vétérans de Kolwezi, cette opération aéroportée menée au Zaïre en mai 78 pour libérer des milliers d’otages, Africains et Européens en proie à d’horribles massacres.
L’un Sergent-chef et l’autre caporal, ils sont partis de Calvi au pied levé avec le 2e REP, sans savoir où ils allaient, sans savoir quelle serait leur mission, sans savoir comment ils rentreraient dans leurs foyers.
Je voudrais citer le Major Christian CUNY, vice-président de notre amicale, qui a récité devant vous avec tant d’éloquence les phrases sobres qui retracent le combat de CAMERONE.
Et je voudrais citer le Major François VARESANO. Fils de réfugiés Italiens, dont le papa a fait la campagne de France au sein de nos armées pour libérer notre Patrie. François VARESANO a rejoint la Légion Etrangère en février 1967, où il a servi la France durant 33 ans, à la suite de quoi il a pris la présidence de notre amicale pendant 19 ans. Cela force le respect n’est-ce pas ?
Alors je voudrais lui dire aujourd’hui, devant vous, que c’est pour moi un insigne honneur que de lui succéder. Merci Major !
LCL (e.r.) Henri Chaudron
Président de l’AALE des Pyrénées Atlantiques