En cette période “avant Camerone”, en exclusivité, cet article extrait du livre: “légionnaire” écrit par le général Jacques Weygand en avril 1931…
Les anciens légionnaires sont venus, malgré les distances et les difficultés des transports de l'époque, de tous les coins du monde pour ces fêtes liées au centenaire de la création de la Légion étrangère à Bel Abbès. Combien d'entre-nous seront encore là pour celles de 2031? Une chose est certaine: la Légion devra faire preuve de beaucoup d'imagination et de volonté pour être à la hauteur de ce qui s'est fait en 1931, même si les transports et les distances ne sont plus le vrai problème aujourd'hui; l'effectif des gens d'active n'est plus le même.... Mais nous n'en sommes pas encore là ... quoi que ...
“ Pour son centenaire, la Légion ne s’est pas contentée d’inviter seulement ceux qui servent dans ses rangs. Elle a voulu associer à son triomphe ceux des artisans de sa gloire qui vivent encore.
Depuis des mois, le général Rollet a écrit dans toutes les capitales du monde, à toutes les amicales d’anciens légionnaires; il leur a demandé d’envoyer, elles aussi, leurs représentants à Bel Abbès. Il n’a pas eu de peine à être convaincant, et tous ceux qui l’ont pu ont répondu à son appel. Et il en arrive de partout: de Rio de Janeiro et de Caracas, de Berlin et de Hambourg, de Moscou, de Genève, de Belgrade et de Stockholm. Il y a des turcs, des italiens et des roumains… et sous les caractères propres à chaque race, sous la pigmentation claire du saxon ou colorée de l’asiatique, derrière la figure longue du nordique ou les pommettes larges du slave, au fond des yeux ardents de l’espagnol ou du regard sans paupière de l’allemand, c’est la flamme qui luit. Chaque train amène, de ces revenants, fatigués d’un long voyage, un peu ahuris, malgré tout, de se retrouver là, sur le quai de gare où ils ont débarqué vingt ou trente ans plus tôt avec un renfort venu du fort Saint-Jean, ils restent un moment immobiles. Puis ils s’ébrouent, s’époussètent l’un l’autre et, par habitude, rectifient leur tenue.
Peu de reconnaissances et d’embrassades avec les autres groupes de vétérans. Le bourgeois qu’en chacun d’eux a repris le dessus, se méfie des fréquentations de son double et préfère se tenir à l’écart des anciens amis de cet égaré. Et puis, parmi ces compagnons d’armes d’antan, n’y a-t-il pas des ennemis d’hier?
Chaque journée en cette période autour du 30 avril 1931, a sa cérémonie: inauguration de la piscine, visite de la salle d’honneur, représentation théâtrale. Mais le point culminant est marqué par l’inauguration du Monument aux Morts.
Dans la cour principale du quartier Vienot, quatre légionnaires de bronze, dont les uniformes jalonnent un siècle d’histoire militaire, entourent une mappemonde. C’est toute une épopée qui scintille au soleil.
- On n’a jamais vu cela !
- On ne le verra jamais plus !
Ces propos, sans cesse échangés, résument la fierté naïve, le puéril enivrement de ces vieux soldats.
Personne n’a fait aussi bien qu’eux !
Cette unité de fer, c’est la leur. Ces exploits, c’est sous les plis de leur drapeau qu’ils ont été accomplis. Cette marche militaire, qui bouleverse leur cœur et leurs tripes, c’est celle qu’ils entendront chaque jour et qu’on jouera, peut-être, demain devant leur tombe.
La gloire fouette les oreilles de ces “vagabonds d’hier” du vibrant écho des phrases légendaires.
Chacun d’eux relève un peu plus la tête, il est un légionnaire.”
Texte recueilli par le Commandant (e.r.) Christian Morisot.