Ces rencontres fortuites…
Sous la Grenade à sept flammes, il y a des rencontres qu’on provoque. Et puis il y a celles que le destin — ou plutôt la Légion — vous balance en plein visage sans crier gare, entre deux gardes, trois corvées, ou au détour d’une mission dans un coin oublié, quelque part dans ce monde où le pire côtoie, plus souvent qu’à son tour, le meilleur.
Ces hommes, ces chefs, ces figures hautes en couleur, forts en gueule, très souvent en caractère – on ne les choisit pas. Et c’est bien là toute la beauté de la chose. Ils viennent à nous comme un test de vie, un miroir tendu sans aucun filtre. Certains font grincer des dents, d’autres font grandir. Tous, à leur manière, c’est une certitude, nous ont forgés en tant qu’hommes. Et ce que nous sommes devenus, nous leur en devons ce « je-ne-sais-quoi » qui nous ferait défaut sans ces rencontres fortuites... En fait, tout ou une infime partie de notre vie, mais toujours quelque chose, jamais rien…
Nous les avons détestés, parfois. Avec une intensité presque artistique. Il faut dire qu’il faut un certain talent pour hurler un patronyme comme une insulte et se faire refaire son paquetage à 4h du mat’ parce qu’un bouton n’était pas aligné. Mais au fond, entre deux engueulades bien senties, il y avait souvent un sourire en coin, une tape sur l’épaule, ou ce regard discret qui disait : “Tiens bon, petit gars, t’es en train de devenir quelqu’un.”
Nous les avons appréciés, souvent. Ces gars capables de tenir debout quand tout vacille, de nous sortir d’un mauvais pas sans jamais réclamer de remerciements. Des chefs qui savaient mener, pas seulement ordonner. Qui savaient aussi écouter, parfois même sans prononcer un seul mot, juste par leur présence, par un regard, ou ce qui tenait lieu d’un sourire.
Nous les avons respectés, toujours. Parce que, qu’on les ait aimés ou qu’on les ait maudits, ils portaient une mission bien plus grande qu’eux : faire avancer les autres. Dans la boue, sous le soleil ou sous la pluie battante, ils étaient là. Debout. Et nous, derrière, on avançait. On râlait, on suait, on jurait, on pestait dans toutes les langues du monde… mais on suivait.
Et puis, il y a ces rares, très rares, qui restent aujourd’hui encore… des ennemis. Pas dans le sens vulgaire du terme, non. Il n’y a pas de haineux chez les Légionnaires. Des ennemis d’opinion, de méthode, de vision. Des hommes avec qui ça n’a jamais collé, que rien ne saurait rapprocher, que tout sépare — un peu comme le Puyloubier et la limonade. Pourtant, même à ceux-là, nous leur devons une certaine forme de reconnaissance. Car dans ce désaccord profond subsiste une chose sacrée pour nous, les légionnaires : le respect. Celui que l’on se doit, entre frères d’armes. Parce que, quoi qu’on en dise, on a marché sur les mêmes routes. Sur toutes ces routes où il y a des chagrins. On a connu les mêmes silences. On a senti la même peur, la même fatigue, la même fierté, le même cafard… ensemble. Et ça, qu’on le veuille ou non, ça crée des liens plus forts que n’importe quelle de ces amitiés de surface, dont on vante le nombre, tout en taisant l’éphémère réalité. Cette fausse camaraderie qui se cache sous une hypocrisie aussi lâche que détestable, où tout est dans l’apparence, où il n’y a rien derrière. Une pâle copie de fraternité qui reflète parfois, avec quelques efforts, quelque chose, mais ce n’est jamais plus qu’un morne reflet… rien de plus.
La Légion, ce n’est pas qu’un képi blanc. C’est un creuset où se mélangent des tempéraments, des histoires brisées, des fiertés cabossées et des rêves têtus. Et au milieu de ce chaos organisé, naissent des amitiés indestructibles, des loyautés silencieuses… et quelques bonnes vannes qui n’ont pas pris une seule ride, encore aujourd’hui.
Alors, à vous tous, nos Chefs, nos pairs, nos camarades, nos rivaux parfois : merci. Merci pour les leçons, les engueulades, les rires étouffés, les nuits blanches et les matins trop tôt ; pour ces vacances au grand air… sans les vacances ; pour ces spas militaires : boue, pluie et vent en illimité ; pour ces campagnes 5 étoiles : ciel ouvert, sol dur, douche optionnelle ; pour ces repas froids et toutes ces nuits où on dort peu, mais on rigole… parfois ; pour nous avoir appris qu’à force de survivre à l’entraînement, on n’a plus peur de la vraie vie...
Merci d’avoir été là, chacun à votre manière, pour nous accompagner sur ces chemins difficiles mais ô combien passionnants.
Vous êtes, pour beaucoup, gravés à jamais dans notre mémoire collective. Et tous, nous partageons cette éternelle reconnaissance entre Anciens de la Légion étrangère : Legio Patria Nostra, pour toujours.
Capitaine (e.r.) Jean-Marie DIEUZE
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