Être président d'une Amicale des Anciens de la Légion étrangère, c'est souvent assumer une solitude méconnue, silencieuse, mais ô combien réelle.
Ces hommes, très souvent Anciens légionnaires eux-mêmes, portent sur leurs épaules le poids d'une fraternité qui dépasse le simple devoir associatif. Quand retentit le téléphone, à toute heure du jour ou de la nuit, c’est fréquemment pour leur annoncer le décès d'un Ancien légionnaire. Parfois, ils ne connaissent rien ou presque de cet homme dont le parcours reste un mystère. Pourtant, leur engagement moral, né d'une solidarité indéfectible forgée sous le képi blanc, leur impose d’organiser ses obsèques avec dignité, de lui rendre un ultime hommage, parce qu'il était l'un des leurs. Sans cela, sans famille connue, sans personne pour le pleurer ni lui rendre un dernier hommage, cet Ancien, lui, serait simplement jeté dans un trou et oublié à jamais… Il ne serait, dans ce départ pour le dernier bivouac, même pas l’égal d’un chien, car les maîtres reconnaissants offrent toujours à leurs fidèles compagnons un dernier au revoir…
Ces présidents vivent alors des instants de solitude profonde, où se mêlent tristesse, responsabilité et recueillement. Ils affrontent cette épreuve sans jamais se plaindre, veillant à préserver l'image de la Légion étrangère et la mémoire du camarade disparu. Mais leur engagement ne se limite pas à ces moments douloureux. Au quotidien, ils doivent constamment déployer des trésors d’ingéniosité pour trouver les moyens financiers nécessaires à la survie de l'Amicale. Chaque événement, chaque collecte, chaque partenariat est une bataille renouvelée, menée avec détermination au profit des blessés, des anciens en difficulté ou des veuves de camarades disparus.
Maintenir l'esprit de cohésion entre Anciens, sympathisants, épouses et familles est un défi permanent, qui exige tact, disponibilité et patience. Ils doivent garder leur calme face à ceux, prêts à dégainer leurs éternels "Y a qu'à", "Faut qu'on", et "Il eut fallu". Des stratèges de comptoir, des généraux mexicains, capables de refaire le monde en quelques phrases… Mais jamais en actes. Leur verbe est tranchant, leurs idées pleines de certitudes, mais lorsqu’il s’agit de se retrousser les manches, plus personne. Ils critiquent, conseillent, imposent leurs visions… Tout en restant bien à l'abri de l’effort et du réel engagement.
Pendant ce temps, d’autres, moins bavards mais bien plus efficaces, agissent, construisent et avancent. Car au fond, ce qui manque à ces grands donneurs de leçons, ce n’est pas l’intelligence, mais le courage d’agir.
Le moral de ces hommes courageux est souvent mis à rude épreuve dans leur fonction de président. Voir les effectifs de leur Amicale diminuer, année après année, au point d'en menacer la pérennité, les plonge parfois dans une grande détresse morale.
Ils ressentent profondément cette absence cruelle de relève, ce manque d'intérêt ou simplement l'usure du temps qui éloigne les camarades autrefois si présents. Lorsqu'ils se retrouvent seuls ou presque lors des cérémonies commémoratives, aux prises d’armes, aux remises de décorations, ou pire encore, aux obsèques d’un ancien frère d'armes, leurs sentiments oscillent douloureusement entre tristesse, colère et fatalisme.
Ces présidents, trop souvent oubliés, sacrifient également une part importante de leur propre vie. À un âge où leur santé devient parfois fragile, ils continuent pourtant d’être présents, infatigables gardiens d’une mémoire collective. Ils aspirent en silence à pouvoir transmettre ce flambeau avec dignité à une nouvelle génération capable de perpétuer cet héritage précieux.
Les présidents d'Amicale des Anciens Légionnaires sont bien plus que de simples représentants de leur amicale : ils sont le cœur battant de la mémoire et de la fraternité légionnaire. Ces hommes, investis corps et âme, donnent sans compter pour perpétuer les valeurs de la Légion, maintenir le lien entre les Anciens et soutenir ceux qui en ont besoin.
Dix années passées au sein d’une Amicale et notamment en tant que président, avec dévouement et constance, méritent reconnaissance.
Pourquoi, alors, ne pas leur accorder l’Ordre national du Mérite [1], symbole de leur engagement et de leur fidélité aux idéaux de la Solidarité qui unis tous les Anciens légionnaires et plus généralement tous les anciens militaires ? Ce ne serait que justice pour ces hommes méritants qui sacrifient temps, énergie et famille au service de leurs frères d’armes.
Et pour ceux qui froncent déjà les sourcils à cette idée, qui s’indignent peut-être d’une telle suggestion… eh bien, je vous laisse à vos indignations, aussi stériles qu’inutiles ! Car ici, il ne s’agit pas de faveurs, mais de reconnaissance légitime. Et s’il y a bien une chose que la Légion étrangère nous a apprise, c’est que là où il y a une volonté, il y a un chemin…
À tous ces Présidents dévoués, à leur solitude parfois pesante mais jamais avouée, je vous adresse ici une profonde reconnaissance. Leur engagement, humble et discret, mérite tout notre respect et notre gratitude.
More Majorum.
Capitaine (e.r.) Jean-Marie DIEUZE
[1] Cf. Proposition au titre de l'initiative citoyenne pour un ordre national : avoir des mérites distingués dans l'exercice, pendant au moins 10 ans, d'une fonction publique, civile ou militaire ou d'une activité privée
Être proposé par un ministre, après étude d'un dossier constitué à la demande d'une administration centrale, d'un préfet, d'une association, d'une personnalité politique (maire, député, etc.) ou d'un groupe d'au moins 50 personnes (pour l'initiative citoyenne).