On a beaucoup évoqué l’engagement de volontaires étrangers venus de toute l’Europe au service de la France durant la 1ére Guerre Mondiale , mais beaucoup moins des volontaires Sud-Américains .Ces combattants d’Amérique du Sud ont laissé peu de témoignages, mais quelques souvenirs ont été étudiés et publiés par les historiens.

 


Lorsque la guerre est déclarée, à Paris et en Province, les manifestations de soutien des étrangers résidant en France sont fréquentes. A l’initiative de la Société « Les Amitiés Françaises », une trentaine de « Comités Nationaux » sont constitués .Les Brésiliens invitent leurs compatriotes à s’inscrire chez un certain Mr. VALENCA, domicilié rue de l’Echiquier à Paris. Les Mexicains peuvent s’engager chez un dénommé Arturo SANCHEZ, rue Violet.
« La tranchée, 11 février 1916. A ceux de nous qui avons quelques teintures de lettres, cela nous amuse de parler des Troglodytes , quoique à vrai dire nous connaissons peu les mœurs de ces ancêtres . Ceux qui ne sont pas bacheliers ne comparent la tranchée à rien : Peut-être comme ce sont pour la plupart des campagnards, leur semble-t-elle un sillon plus profond dans lequel Dieu sait quel semeur jette des hommes au lieu de blé. On nous dit qu’il y a, tout près, d’autres hommes vêtus de gris et non de bleu. Nous ne les voyons jamais. Les meurtrières nous font voir un hectare d’herbe sans troupeau, et une ligne de terre derrière un fil de fer. Que nous importe ? Ce qui compte, c’est d’organiser notre vie ».


Ces quelques lignes, sont celle d’un Péruvien, José Garcia CALDERON. Engagé volontaire dans la Légion étrangère, il est affecté au 3éme Régiment de Marche du 1er Etranger. Comme en 1870 de nombreux étrangers déjà sur le territoire ou d’autres venus de toute l’Europe et d’Amérique rejoignent l’Armée Française dès 1914. Jusqu’à la fin de la guerre, seront incorporés des Belges, des Italiens, des Russes, des Grecs, des Suisses, des Espagnols en grand nombre, mais aussi un contingent albanais, un bataillon monténégrin, une armée polonaise, des chasseurs tchécoslovaques, une légion russe, un bataillon de marche étranger venus d’Orient.
Parmi tous ces étrangers, quelques centaines de sud-américains, sont venus en France. C’est en qualité de volontaires qu’ils combattent , et pour certains, meurent pour la France .
De la déclaration de la guerre à la France par l’Allemagne le 3 aout 1914 à la signature du traité de paix au château de Versailles le 28 juin 1919, combien sont-ils d’étrangers à combattre pour la France ? Le premier janvier 1915, la Presse évalue officiellement le nombre d’étrangers dans l’Armée française à 11 854 individus, dont environs 200 « américains du nord et du sud ». Faute de sources, ce nombre est certainement sous-évalué. 64 sud-américains se sont engagés en 1914. Ils seraient 383 à avoir servi dans la Légion étrangère. Les historiens s’appuient beaucoup sur le rapport en perte en morts du député de la Somme Henri
DEYLIONS de FEUCHIN (1858-1950) établi en 1924.
Sur 29 935 volontaires étrangers engagés dans l’Armée française, il dénombre 650 sud-américains. De quelles nationalités ? Sur ce point aussi, les sources sont peu nombreuses. Le rapport du député fait état de 8 nationalités (Argentins, Brésiliens, Mexicains, Chiliens, Cubains, Antillais, Péruviens et Vénézuéliens). Tandis que la Légion étrangère en répertorie une vingtaine. En fait les volontaires sont originaires de tous les Etats d’Amérique du Sud, sauf le Honduras et quelques iles des Antilles.
Les raisons de l’engagement sont diverses. José Garcia CALDERON appartient à une famille d’intellectuels francophile. Son père, président du Pérou en 1881, s’est exilé en France. Il ne rejoindra son pays que vers 1885. Inversement de nombreuses familles françaises s’expatrient en Amérique du Sud. Cela crée des liens familiaux. Jules Louis TEILHARD DE LATERISSE est engagé dans la Légion étrangère à Marseille en 1914. Le colombien HERNAN DE BENGOECHEA, affecté au 2éme Régiment de Marche du 1er Etranger, trouvera la mort le 9 mai 1915 au Mont-Saint-Eloi (62) à l’assaut des « ouvrages blancs » .
Parmi les engagés, on trouve des écrivains, des poètes, des militaires. L’un des descendants de Christophe COLOMB, Cristobal Bernalodo de QUIROS, sujet espagnol né à Buenos Aires, sert au RMLE, lorsqu’il est tué à Belloy-en Santerre le 5 juillet 1916. Le capitaine Joseph SANCHEZ-CARRERO, du RMLE, est tué à AMBLENY (02) le 5 septembre 1918.
D’autres meurent Outre-Mer : Engagé volontaire en 1913, le légionnaire Daniel Antoine MACEO, né à Buenos Aires le 20 mai 1892, trouve la mort à El Bordj au Maroc le 23 janvier 1916.


Pendant la guerre, certains légionnaires sont détachés dans des postes qui demandent beaucoup de compétence. Revenons à José Garcia CALDERON cité précédemment : légionnaire de 2éme classe, puis caporal le 11 décembre 1914, du 3éme Régiment de Marche du 1er Etranger, il est muté au groupe d’aérostation et employé à la 35éme compagnie en qualité d’observateur en ballon. Promu sergent le 9 mai 1915, il sert dans diverses compagnies, et son action lui vaut d’être cité au journal officiel du 23 décembre 1915 « Sergent observateur de la 30éme compagnie d’aérostiers. Sous-officier de nationalité étrangère , engagé pour la durée de la guerre . A montré beaucoup de courage et de dévouement, en assurant avec beaucoup d’habileté et de sang-froid pendant la période de la préparation, et durant les attaques de septembre, et malgré un état atmosphérique très troublé, le réglage des tirs de l'Artillerie ». Adjudant en janvier 1916, il est promu, à titre temporaire, sous-lieutenant d’infanterie à titre étranger le 20 mars 1916. Officier observateur, il est en mission dans la région de Brabant-sur-Meuse le 5 mai 1916 quand le câble de son ballon se rompt. Le vent l’entraine vers les lignes allemandes. Il parvient à jeter sa sacoche et les renseignements recueillis .Il trouve la mort après avoir quitté son ballon en parachute.
Dés janvier1919, les étrangers peuvent être libérés du service et retourner à la vie civile. Beaucoup choisissent de quitter la Légion et l’Armée française, mais certains décident de rester. Gustave BELAS, brésilien engagé volontaire en décembre 1915, et promu officier en juillet 1918, continue de servir dans la Légion étrangère. Passé au 3éme Régiment étranger en 1920, il sert en Algérie et au Maroc. Il meurt à l’hôpital Louis de Meknès le 15 mai 1922 des suites de ses blessures reçues au combat de Bab-Hocéine-Issoual le 14 avril 1922.
Quelles sont les pertes subies par les Sud-Américains entre 1914 et 1918 ? Le rapport du député fait état de 78 soldats tombés pour la France .

Jean Balazuc P.P.P.P.
Décembre 2022
Source : Revue historique des Armées ; Michaël BOURLET