Il est dit que les livres et auteurs qui sont notre lecture révèlent un peu notre personnalité et donnent une idée de ce que nous sommes, notre manière de penser et bien d’autres choses encore…
En son temps, le magazine “képi Blanc” demandait à une poignée de rédacteurs bénévoles de faire la recension des livres reçus par le rédacteur en chef, j’aimais particulièrement m’inscrire à faire ce genre d’exercice qui permettait de présenter un avis certes personnel après lecture et non le résumé de la quatrième de couverture souvent écrite par l'Auteur lui-même. Bref, l'avantage était de devoir m’obliger à lire, même les livres que je n’avais pas choisit à travers son titre comme je le faisais souvent.
Aujourd’hui, je me lance dans une amorce de présentation des écrivains qui ont marqué ma vie de lecteur assidu, ceux qui ont fait avec leurs oeuvres une réelle relation avec mon propre imaginaire:

 


Il fut un temps, je rêvais d’une bibliothèque uniquement composée d’ouvrages d’écrivains français. Pourquoi ce chauvinisme livresque? tout simplement parce qu’il est impossible que je les lise tous, alors si en plus je dois lire des livres traduits d’auteurs étrangers… Cependant, rapidement je compris qu’une bibliothèque doit s’ouvrir au monde.
La bibliothèque imaginaire est ce “lieu mental” où les livres nous sollicitent, nous trahissent, nous saisissent, nous lâchent, nous troublent, nous bouleversent ou nous déconcertent. C’est une constellation mouvante en expansion.
André Malraux savait battre les cartes d’un jeu qui évoquait un musée imaginaire de la littérature.

Je commence avec Alain, le philosophe à la charrue, celui qui me fascinait par son pacifisme et qui lorsque la guerre 14-18 est déclarée, sans renier ses idées, bien que non mobilisable, à l'approche de la guerre, Alain milite dans ses Propos pour la paix en Europe et refuse la perspective d'un conflit avec l'Allemagne dont il pense qu'il serait d'une violence inédite. Lorsque la guerre est déclarée, sans renier ses idées, il devance l'appel et s'engage, fidèle à un serment prononcé en 1888 lorsque la loi de l'époque permettait aux enseignants d'être dispensés de service militaire. Acceptant le bénéfice de la dispense, il avait juré de s'engager si une guerre survenait, ne supportant pas l'idée de demeurer à l'arrière quand les « meilleurs » sont envoyés au massacre.

Brigadier au 3ème Régiment d'Artillerie, il refuse toutes les propositions de promotion à un grade supérieur. Le 23 mai 1916, il se broie le pied dans un rayon de roue de chariot lors d'un transport de munitions vers Verdun. Après quelques semaines d'hospitalisation et de retour infructueux au front, il est affecté pour quelques mois au service de météorologie, puis il est démobilisé le 14 octobre 1917.

S’engage afin de satisfaire son “devoir de citoyen”, les temps depuis ont bien changés… Il en a résulté de son passage dans la grande guerre à un pamplet: “Mars ou la guerre jugée”.
J’ai lu Alain à l'école de mes jeunes années par obligation; après lecture, venait le devoir de faire une dissertation sur le livre, curieusement j’ai aimé ce procédé qui m’imposait à lire.
Normand de naissance, Alain de sa vie n’a jamais franchi ni mer, ni océan, il s’est contenté de rester le paysan de la pensée, chez lui le titre de philosophe se compléte de l’idée du bon sens et de l’optimisme. C’est irritant et attendrissant puisque le bon sens ne mène pas très loin, mais par contre, il demande une incroyable endurance.
Le philosophe travaille chaque jour son champ disant à ce propos que les “idées chargés de matière sont nées du sol” et encore: “les mots sont le terreau des vivants”. L’homme se reconnait au combat quotidien, c’est sa mesure réelle, pas de distraction.
Le but de la philosophie d’Alain est d’apprendre à réfléchir et à penser rationnellement en évitant les préjugés. Cet éveilleur d’esprit, passionné de liberté s’insurgait contre “le mépris des officiers pour les hommes de troupe lorsqu’ils parlent aux hommes comme on parle à des bêtes”. Il ne supporte pas “l’idée de cette tuerie organisée, de ce traitement que l’homme influge à l’homme." Il se révolte quand il assiste à la mise au point d’une énorme machine destinée à tenir l’homme dans l’obéIssance.
Alain érige un principe de discipline qui consistait à effacer les rêveries. Il prévoyait, sûr de lui: “ceux qui travaillent de leurs mains sont victorieux d’instant en instant, ils ne cessent de vaincre la mort…" Ce meneur de pensées ne faisait confiance qu’à l’artisanat et se vouait corps et âme à une perpétuelle “leçon de chose”.
Toute sa vie, il s’est obstiné, devant les provocations et les “séductions” de la mort à vouloir dire non, ce n’est point facile. Il est, par contre, facile de "punir par la violence", disait-il, mais l’esprit mène une toute autre guerre.
Voilà donc rapidement brossé, le portrait d’un de mes auteurs qui ont meublé mes journées d’hiver et… de bien d’autres saisons. Si cet article ouvre la curiosité d'un seul d'entre nous à lire Alain, alors ces modestes écrits pourront avoir une suite... et seront utiles !

CM