Nos souvenirs nous jouent des tours. Nous en avons fait tous l’expérience; ils sont souvent d’une couleur qui est celle de la nostalgie, teintée d’émotions. Les souvenirs nous jouent des tours surtout quand ils sont refoulés et qu’ils ressemblent à une vieille boussole folle qui oriente nos regards. La mémoire aussi nous joue des tours surtout lorsqu’elle est manipulée et qu’elle n’est plus que le reflet d’un passé utilisé avec les yeux d’aujourd’hui pour définir la perspective d'un avenir indéfinissable et sombre…

 


Il fut un temps, je me souviens, je partageais quelques pensées, lors de grandes promenades interminables, avec mon ami PYC (Louis Perez Y Cid). Nous souhaitions alors, créer une “BD” sur "les maîtres du monde". Le constat était simple: en prenant l’habitude de se réunir pour traiter des problèmes planétaires, les responsables des Etats les plus influents et les plus riches de la planète avaient imprudemment accrédité l’idée d’un directoire ou d’un gouvernement mondial secret. Nous trempions de plein pied dans le mystère des sectes, des religions, de la franc-maçonnerie, de toutes ces forces obscures et nous avions donné naissance à un super-héros, indispensable sauveur de l’humanité, ancien légionnaire, bien entendu, qui finissait par échapper de mille et une façons à tous les pièges de « missions impossibles »…
Ainsi les rendez-vous de l’oligarchie mondiale, ce mal dissimulé, s’était coagulé, l’anonymat des processus orientait des cerveaux impitoyables qui tiraient les ficelles et dirigeaient des opérations, au profit d’un pouvoir mondial mystérieux qui dirigeait le devenir d’une humanité inconsciente d’être manipulée. Nos scénarios semblaient intéressants et même passionnants puisés dans l’actualité mondiale, ses conflits, ses rapports de force et ses horreurs. Pour être encore plus crédibles, nous y ajoutions la grande rébellion de la jeunesse contre la conspiration des prédateurs: "la mondialisation de l’économie" avait fait naître la mondialisation d’une génération qui avait soif d’égalité, de justice et qui refusait la fatalité « du chacun pour soi ». Pour nous, la “BD” était sur rails, elle devait être un succès. L’histoire nous a rattrapé, les printemps arabes et l’Etat Islamique ont tout changé, les puissants n’étaient plus ce qu’ils étaient et affichaient leur impuissance, Nos scénarios n’avaient plus de sens, plus rien ne se tenait. C’était devenu pour nous un doux rêve irréalisable que nous vivions réveillés.

Pour concrétiser j’évoquais Jacques Derrida, philosophe français qui a souvent dérangé bien des gens en France où il était surtout connu pour ses prises de position, qui écrivait: " A l’idée communiste, à l’idéal de justice qui a guidé et inspiré tant d’hommes et de femmes communistes, tous étrangers à quoi que ce soit du genre “Goulag”, on ne fera jamais correspondre en parallèle ou en équivalent, voire en opposé, l’idéal nazi. Mais malheureusement pour notre humanité, ce ne fut pas ceux qui firent le plus de victimes, dépassés par Mao et Staline et même le belge Léopold II". Ainsi, parler de totalitarisme affirme encore Derrida: “Ce n’est pas faire œuvre de compréhension, c’est faire acte d’allégeance à l’ordre libéral en étouffant la différence pourtant criante entre une perversion accomplie et le projet perverti de mettre fin à l’exploitation et à la misère”. Il n’en reste pas moins vrai que Derrida n’avait certainement pas lu Léon Trotski qui, deux ans avant son assassinat, proclamait l’idéal représenté par l’idée de: “l’abolition du pouvoir de l’homme sur l’homme justifie et même exige le crime: l’abolition violente de tous les liens moraux entre les classes ennemies”.
Derrida oublia également Robespierre qui, dans sa volonté de substituer la morale à l’égoïsme a fait un vibrant plaidoyer pour “l’exécution sans procès de Louis XVI: Les peuples ne jugent pas comme les cours de justice; ils ne rendent point de sentence, ils lancent la foudre, ils ne condamnent pas les rois, ils les replongent dans le néant et cette justice vaut bien celle des tribunaux”.
Devant l’insupportable spectacle d’êtres humains sautant des fenêtres du World Trade Center, certains esprits tordus disaient que: “les Américains ne l’ont pas volé !”.

Par quoi ces gens étaient-ils habités sinon par une haine féroce pour les “Maîtres arrogants US”… Toni Negri, un des penseurs les plus connus du mouvement mondial contre la mondialisation capitaliste, s’exprimait en ces termes: « J’aurais été bien plus content si, le 11 septembre, le Pentagone avait été mis à terre et s’ils n’avaient pas manqué la “Maison Blanche ».
De ce fait, notre “BD” sur les “Maîtres du monde” n’avait plus de fondement, tout s’écroulait entrainé avec la disparition des deux tours… Il nous faut remettre à plus tard ce que nous ne pouvons plus faire maintenant. Nous n’avons pas dit notre dernier mot, le monde n’a jamais été à ce niveau de folie, nous aurons certainement l’occasion de penser aux scénarios d’une aventure qui se passera dans un futur très proche où nous aurons encore l’occasion de parler de ces souvenirs qui nous jouent « des tours »… La situation que nous subissons aujourd'hui n’offre vraiment aucun scénario digne d’intérêt… Nous vivons une époque formidable où on parle de solidarité alors que les pires instincts de l’homme se présentent, ce ne serait, parait-il, qu’une question de survie dans un monde où les vieux n’ont plus leurs places ! Pas de quoi pavoiser, le spectacle est d’une tristesse à hurler. Réveil ! Nous devenons à notre tour fous et cela ne semble pas soignable, pire qu'un vilain virus !
CM