Le dernier survivant de la bataille de Waterloo
En 1897, un photographe prend un cliché, dans le village de Carisey. On y voit un homme, ses mains sur une canne, des cabots de bois aux pieds, deux médailles portées avec fierté sur le manteau. Il s'agit de Louis-Victor Baillot, le plus ancien combattant de Waterloo encore en vie. Cet ancien fusilier a rencontré l'Empereur Napoléon juste avant la bataille et y a été blessé. Il a alors 103 ans.


Baillot nait dans le village de Percé, en Bourgogne, le 7 avril 1793. En juillet 1812, alors âgé de 19 ans, il est appelé sous les drapeaux lors de la seconde levée en masse : l'Empereur Napoléon rassemble la future Grande Armée pour partir à la conquête de l'Est et de la Russie. Baillot est envoyé au dépôt de Neuf-Brisach, en Alsace. Puis après une rapide formation, il est déployé au sein de la 3e compagnie du 3e bataillon du 105e régiment d'infanterie comme fusilier à partir du 25 novembre 1812.
Baillot ne combat pas en Russie mais reste sur l'arrière de la Grande Armée : à peine équipé, son bataillon quitte Neuf-Brisach pour Mayence et cantonne pendant deux mois à Erfurt avant de rejoindre au printemps, sur la Vistule, en Pologne. C'est là que Baillot est témoin de la retraite française lorsque, sur la Vistule, son unité se porte au secours des restes de l'armée napoléonienne en déroute.
Baillot connait alors son baptême du feu à Wittenberg, le 17 avril 1813, et assiste aux opérations militaires qui eurent lieu dans le Mecklemboug par la suite. Il se bat également lors du siège de Hambourg, qui dure entre les dernières semaines de 1813 et l'été 1814. Alors que Napoléon abdique en avril 1814, ce n'est que le 13 août 1814 que Baillot est renvoyé à son foyer après avoir été licencié par les Bourbons, désormais au pouvoir.
Mais le repos ne dure que quelques mois : il est rappelé en qualité de fusilier au sein du
105ème dès avril 1815 lorsque Napoléon rentre de son exil de l'île l’Elbe. Son unité marche en direction de la Belgique sous les ordres de l’armée du Nord. Et le 14 juin, Baillot voit en personne l'Empereur, qui passe en revue ses troupes quelques jours avant la terrible bataille de Waterloo.
Venant de Marchiennes, puis de Gosselies, le 105ème se porte le 16 juin, aux Quatre Bras où la position vient d’être enlevée par le maréchal Ney. Le 17 juin 1815, après un terrible orage, la plaine se transforme en un immense bourbier. Louis Victor Baillot s’enfonce dans la boue jusqu’aux genoux. A la tombée de la nuit, il parvint difficilement sur le plateau du Mont St Jean. Obligé de camper sur les seigles mouillés, dans l’impossibilité d’allumer un feu sur le terrain détrempé, il doit se contenter des maigres provisions dont il dispose et passe la nuit dans des conditions difficiles.
Le 18 juin, le soleil remplace la pluie : c'est la bataille de Waterloo. À 11h30, l’Empereur lance l'attaque. Le 105ème, placé en seconde ligne, avance avec succès sous le feu ennemi, surclassant les troupes britanniques. Mais le 105ème est pris en étau et doit finalement reculer, étant confrontés aux redoutables cavaliers Scots Greys écossais lancés par Wellington. C'est lors de cette attaque que Louis Victor reçoit un violent coup de sabre sur la tête. Mais grâce à sa gamelle, qu'il a mis sous sa coiffure car n'ayant pas d'autres endroits où la garder, il échappe miraculeusement à la mort !
Mais le fusilier est gravement blessé, d’une large plaie. Assommé et couvert de sang, il est laissé pour mort sur le champ de bataille ! Il ne sera finalement retrouvé que le lendemain par les Britanniques, qui le font prisonnier : il est transporté sur un bateau-prison au large de Plymouth en tant que prisonnier de guerre. Il faut attendre la fin de l'année suivante, en 1816, avant que Baillot ne soit rapatrié en France et libéré à son arrivée à Boulogne-sur-Mer. Il rejoint alors Auxerre à pied, où il est réformé de l'armée car malade de la tuberculose.
Il retrouve sa famille, qui le pensait mort, et à du mal à se faire à sa nouvelle vie, ses parents étant effrayés par son histoire et son état de santé. De la fin des années 1810 à cette photographie de 1897, on ne sait finalement que peu de chose : Baillot épousera Appoline Charles, avec qui il a eu une fille. Il va alors s'établir dans le village de Carisey, dans l'Yonne. Chaque année, il est présent aux commémorations militaires et il porte chaque jour ses deux médailles : la médaille de Sainte-Hélène, reçu en 1857 durant le Seconde Empire, puis la Légion d'honneur, décernée tardivement, en 1896.
Chaque jour ou presque, les habitants de Carisey voient passer cet homme. Peu connaissent sa véritable histoire, même s'il se confie volontiers sur son expérience à Waterloo : sa cicatrice, conséquence de sa blessure à la tête, est particulièrement visible ! Baillot est un témoin, celui des guerres napoléoniennes. Et en 1897, lorsque ce photographe prend la photo, Baillot est le dernier homme sur terre à avoir côtoyé l'Empereur Napoléon dans sa grandeur, son faste et son talent.
Baillot décède à l’âge de 104 ans, le 3 février 1898. Une foule importe va assister à son enterrement. Sur sa tombe, une pierre recouvre la terre, avec une légende extraordinaire : « Le dernier de Waterloo - Victor Baillot - Médaillé de Sainte-Hélène - Chevalier de la Légion d'Honneur - Mort à 105 ans ». Avec lui meurt le dernier témoin de la grande épopée impériale.