« Pourquoi, après tant d’années passées à la Légion, n’écris-tu pas un livre, tu dois avoir bien des choses à dire ? ».
Ainsi s’exprimait mon frère, curieux et grand amateur des anecdotes que je contais à chacune de nos retrouvailles.
Ecrire un livre ? J’ai en mémoire tous ces anciens qui, au soir de leur vie, écrivent des livres consacrés à leur jeunesse et qui, quand ils arrivent à concrétiser leur projet ont beau guetter le moindre écho, un compte rendu, une interview, un entrefilet… rien ! ou presque rien…
Aucun article dans un journal excepté, peut-être « KB ». Pas un signe d’intérêt, l’indifférence totale, plus efficace que toute censure.

Et pourtant…

   

Et pourtant...
Les volumes parlant des anciens sont remplis de souffrances, de joies, d’espoirs ; ces pages, habitées par l’histoire de ces héros simples et magnifiques, sonnent si juste.
Nos contemporains, hélas, s’intéressent surtout aux championnats de football et de tennis, les médias préfèrent des ouvrages légers dont on peut en parler tout simplement en parcourant la quatrième de couverture… Un livre de soldat ? Pensez donc ! Kipling disait : « le succès et l’échec, ces deux imposteurs… » Un livre, une voix amicale qu’entendrait un homme cheminant au milieu d’un désert.

 


Et pourtant…
Je me souviens du musée personnel d’un de mes grands anciens qui m’invitait chez lui, dans un appartement au troisième étage d’un immeuble sur cour, vestige d’une vie rustique. A la présentation de ses souvenirs, l’Ancien parlait avec la lenteur correspondant à la respiration adaptée à l’évocation d’un long passé et qui demandait l’éternité pour être conté.
Chacun de nous, ancien légionnaire, possédons quelques humbles reliques dont le sens est inconnu aux autres, des pièces d’une archéologie personnelle, infimes fragments d’existence que même nos proches, quand nous disparaissons ne sauraient ni dater, ni rattacher à un souvenir précis. Les personnages des photos deviennent anonymes, un santon décapité égaré dans le salon, un débris à jeter.

 

 


Et pourtant…
L’écriture d’un livre utilise un langage intime, dont les mots peuvent perdre leur sens dès que s’éteint la voix, tout un monde devient illisible… les vieux n’intéressent plus personne, évanescents d’abord, ils deviennent invisibles…
Lors de la réunion des officiers qui ont porté le képi blanc, le 17 janvier de chaque année, des anecdotes d’anciens nous font dire que ces mémoires vivantes ne peuvent disparaître en emportant à jamais ces tranches de vie. Je ne souhaite pas écrire un livre. Je ne suggérerai donc pas à mes vieux camarades de le faire, mais d’écrire de temps en temps, selon les occasions, des lettres qui leur permettraient de transmettre le récit d’un vécu, d’un événement caché au fond de leur mémoire, témoignage d’une vraie richesse, celle d’avoir participé à l’écriture de l’histoire de la Légion étrangère.


Et pourtant…


Oui, j’ai tellement de choses à dire… Il y a des gens qui meurent et d’autres qui disparaissent…


CM