Nombreux de nos Anciens retraités de la Légion vivent seuls. Même s'ils ont fait ce choix d'être ainsi plus indépendant, la solitude peut rapidement, dans la plupart des cas, conduire à l'isolement. Il convient alors de trouver rapidement des activités afin de créer un lien social, à ce sujet, nos deux maisons d'hébergement d'anciens légionnaires sont exemplaires.

Mais la question se pose: "Comment peuvent-ils gérer leur solitude ? Certes nos Amicales sont là pour leur donner un éventuel centre d'intérêt mais souvent, elles ne se heurtent au fait que l'ancien ne souhaite  aucun contact avec cette Légion des anciens d'aujourd'hui, ceci, même s'ils restent très imprégnés et fiers de leur passé légionnaire.

Dans cette lettre sous forme de nouvelle, Gérard, ancien légionnaire est un de ces personnages qui se raccrochent à de faux-semblants et qui s'enfonce dans son isolement, celui d'un hommes perdu au milieu d'une foule indifférente à son sort... Bonne lecture!

 

Gérard était un ancien légionnaire qui avait fait valoir ses droits à pension de retraite ; il bénéficiait d’un revenu mensuel, une porte ouverte pour une nouvelle vie, il disait à qui pouvait l’entendre : "que la Légion étrangère l'avait fait homme libre...". Ses chefs l'appréciaient, ils avaient consigné dans ses notations annuelles, toutes les satisfactions d'avoir sous leurs ordres ce bon légionnaire apte à servir en tous lieux et en toutes circonstances, conformément à la formule appropriée... Livré à lui-même, Gérard comprit rapidement, qu’il était seul face à lui-même et c'est tout naturellement qu'il chercha, dans un premier temps, à se loger pour ensuite se trouver une nouvelle terre d'accueil. Mais une réalité implacable s'imposait Gérard n'avait pas tout simplement, préparé son retour à la vie civile et la recette de sa pension était insuffisante pour lui assurer une vie décente telle qu'il la concevait... Ainsi, chaque début de mois, Gérard se trouvait fort dépourvu. Par instinct de conservation et pour se sécuriser, il se mit à la recherche d'un peu de chaleur humaine et fréquenta les bistrots, refuges dangereux où maladroitement il mendiait un contact, une conversation… il avait la faiblesse "d'acheter" un salvateur auditoire auprès d'inconnus, et dépensait sans compter pour leur payer à boire. Six ans durant Gérard complétaient son petit budget par de petits boulots, toujours à court d'argent. Il s'était installé dans un grand mobile-home abandonné, juste à côté d'une déchetterie publique, endroit misérable où il s'était, heureusement, parfaitement adapté à l'odeur pestilentielle que dégagaient des déchets de toutes sortes. Un protecteur mur de déchets le protégeait du regard des autres, pensait-il... Gérard était devenu fataliste et souffrait à hurler de solitude.
Pourtant un espoir de renaissance s'amorça, il avait même repris ses habitudes quotidiennes au point de se faire accepter par le patron du café de la gare, "le Terminus", comme faisant partie de ses meilleurs clients, il l'avait dit et Gérard qui se complaisait dans cette considération nouvelle et bienvenue. Naïvement, Gérard se sentait libéré de ses soucis en buvant plus que de raison, la Légion l'avait fait "homme libre" disait-il et il le proclamait haut et fort au cours de ses cuites interminables pendant lesquelles il offrait généreusement aux oreilles délicates d'une population médusée, toute l'étendue du répertoire de chants légionnaires...
Il pensa, un moment, s'installer à "la maison du légionnaire" à Auriol, mais le contact téléphonique avec un des responsables de cette honorable institution lui rappela trop l'autorité militaire et il renonça définitivement à se retrouver, de nouveau, encadré dans une structure où la discipline ne pouvait que s'appliquer fermement.
Il était libre Gérard !
Un matin qui ressemblait à bien d'autres matins, des gamins jouant dans la décharge entrèrent, par curiosité, dans ce qui semblait avoir été un « mobile-home ». D'abord hébétés puis choqués et affolés, ils venaient de découvrir le corps sans vie d'un homme qui ne laissait comme indice quant à son identité qu'un immaculé képi blanc placé délicatement sur une serviette blanche qu'entourait une large ceinture de flanelle bleu au dessus d'une télévision qui ne fonctionnait plus depuis longtemps...
Avertis, les gendarmes devaient noter : "Ce jour, dans l'exercice de nos fonctions, nous avons découvert le corps sans vie de monsieur Gérard B…, ancien légionnaire. Son décès remonte à plusieurs mois".
Comme un oiseau, Gérard s'était caché pour mourir...
CM