Le père Philippe est prêtre du diocèse aux armées, un « padre » dans le jargon militaire. En Guyane, il est auprès des « bérets verts » du 3e régiment étranger d’infanterie (3e REI), unité de la Légion étrangère qui contribue à la protection du centre spatial de Guyane et à la lutte contre l’orpaillage illégal en forêt équatoriale. Suivi du stage CEFE, tout un programme pour devenir AMF (aides-moniteur en forêt: "Selva !"

« Nous allons avoir le temps de discuter, je vous accompagne ». Béret vert sur la tête, l’abbé Philippe s’installe dans une pirogue à moteur après avoir enfilé un gilet de sauvetage. Ce jeudi 21 octobre 2021, le prêtre vient assister à la formation de stagiaires du « Cefe », le célèbre centre d’entraînement en forêt équatoriale de la Légion étrangère basé à Regina, en Guyane, et armé par le 3ème Régiment Etranger d’Infanterie (3e REI). En 2020, 1495 stagiaires sont passés ici.


Ce matin, les candidats au brevet « aide-moniteur forêt » arrivent bientôt au terme d’une formation physique et morale très sélective.. Aller à leur rencontre mais aussi des autres légionnaires déployés en permanence dans ce département français d’Amérique du Sud, c’est la vie de l’abbé Philippe.
« À l’armée, l’aumônier est là pour le soutien de l’homme, pour donner les sacrements mais pas pour faire du prosélytisme. Je suis à l’écoute de tout le monde, tout à tous, explique le père Philippe. À la Légion étrangère, on est d’abord légionnaire, on n’est pas d’une confession religieuse ou d’une autre. »
Cet homme de 51 ans est prêtre depuis… 2014. « Oui, c’est une ordination assez tardive », sourit-il
Il avait pourtant entendu l’appel de Dieu depuis longtemps. « Dès l’âge de 16 ans, lors d’un camp dans les Pyrénées », se souvient l’ancien scout d’Europe qu’il était. J’hésitais entre devenir religieux ou marin ».

CEFE:

Sac à dos et arme de guerre posés au sol devant leurs pieds, ils sont les derniers à rester debout après plus d'un mois de formation au Centre d'entraînement en forêt équatoriale (CEFE), prestigieuse institution du 3ème Régiment étranger d'infanterie (REI), le plus décoré de la Légion étrangère, installé à Régina au nord-est de la Guyane, territoire français d'Amérique du Sud.
Des 42 stagiaires au départ de cette session, il n'en reste que 19. Les autres ont jeté l'éponge. Le CEFE a ensuite sélectionné parmi eux ces six hommes, désormais désignés par de simples numéros, pour devenir dans 15 jours des aides-moniteurs forêt (AMF).
A l'issue de ce stage, à l'évidence inaccessible au commun des mortels, ils formeront à leur tour des soldats d'élite, espions, gendarmes, policiers. Autonomie, rusticité, esprit d'équipe: autour de ces trois piliers s'articulent ce que le capitaine Quentin décrit comme "le référent
De fait, explique-t-il à quelques journalistes invités en Guyane dont une équipe de l'AFP, "une bonne majorité des stagiaires découvrent leurs limites". Les blessures apparaissent sous les assauts des efforts, de la pression psychologique et de la privation de sommeil, dans un milieu extrêmement chaud, humide et dangereux, peuplé d'espèces plus ou moins hostiles.
"Le but c'est de recréer artificiellement les conditions de difficultés physiques, physiologiques, psychologiques", ajoute l'atypique légionnaire, passé par l'Ecole normale supérieure en philosophie avant d'intégrer la prestigieuse école militaire de Saint-Cyr. Mais "on ne fait rien pour faire du mal aux stagiaires sans raison".
- "Rapido !" -
De fait, la géopolitique mondiale replace le CEFE dans une nécessité stratégique. Les combats en forêt avaient tendance à s'inscrire dans un passé révolu. Mais ils reviennent d'actualité en particulier au Sahel, où les affrontements entre la force antijihadiste française Barkhane et les groupes liés à Al-Qaïda et à l'organisation Etat islamique se rapprochent des zones boisées du nord du Burkina Faso et de la Côte d'Ivoire.
Maîtriser le combat en forêt et en jungle est donc redevenu essentiel. Avec ses spécificités: visibilité réduite, combat rapproché, communications difficiles, accès par pirogue ou hélicoptère uniquement.
Les médias ne sont pas invités pour la partie la plus dure du stage. Mais on la devine violente, caricaturale. Pour qu'un homme dépasse ses propres limites, il faut qu'il les découvre. "Ils doivent rêver de moi", sourit le sergent-chef Miroslav, 40 ans dont 20 ans dans la Légion, d'origine slovaque.
Les stagiaires avalent la "piste pécari", ponctuée d'épreuves dans la boue, les racines, les barbelés et les obstacles divers. Tour à tour, ils se supervisent les uns les autres. "Faut les stimuler un peu, numéro 3. Faut que ce soit dynamique ! Rapido", demande le Slovaque d'une voix de stentor. "Pas besoin de crier, pas besoin de faire le méchant. Tu donnes de la voix", exige-t-il d'un autre, un taiseux taillé dans une armoire à glace.
"On est des immigrés, tous. On parle mal, il faut être clair", rappelle-t-il, en soulignant cette spécificité de la Légion, qui accueille sous un nom d'emprunt neuf mille hommes, dont 90% d'étrangers venus des quatre coins du globe refaire leur vie sous le drapeau tricolore.
- En mode survie -
A distance, le caporal Romain, un auxiliaire sanitaire qui a effectué trois missions au Mali et une en Côte d'Ivoire, observe sans mot dire. "Je les mets en slip tous les soirs, je vérifie tout", dit-il en distinguant "bobologie" - blessures bénignes mais à soigner - et problèmes sérieux.
C'est après plusieurs semaines, "quand la fatigue arrive, qu'il y a des pathologies liées au manque de vigilance", analyse-t-il. Satisfait, il constate: "ils ramassent (ils souffrent, ndlr), mais ils ramassent ensemble et ils ramassent bien".
Le lieutenant Etienne, officier de communication du 3ème REI, se souvient d'un Saint-Cyrien qui a fini l'entraînement avec une "sale entorse" à la cheville. "Je ne suis pas sûr que sans la pression psychologique, il aurait accompli ce genre de choses", ajoute-t-il.
"Dans une situation dangereuse, ce qui nous vient directement à l'esprit, ce sont des automatismes. C'est vraiment par l'entraînement qu'on arrive à faire en sorte de mettre la panique de côté pour rester professionnel".
Et il rejette le concept "d'humiliation gratuite" au profit d'une "mise en conditions". Certains stagiaires sont ainsi largués sans nourriture en forêt profonde pendant deux ou trois jours. "Ils sont contents de se retrouver en survie. Ils se disent: "trois jours sans instructeur, je ne connais pas meilleur bonheur", assure le lieutenant.