Je visitais dernièrement un de nos camarades « placé » pour raison de santé, dans une maison médicalisée (EHPAD). Son témoignage est éloquent sur ces fins de vie où l’espoir, quoi qu’en disent certaines bonnes âmes bien intentionnées, n’est plus de mise…

      

      - Bonjour Christophe, comment va ?

      - Bonjour  mon commandant.  Je vais mal dans ma tête, plus encore que dans mon corps qui m’impose de vivre ici.

      -Tu n’es pas bien ici ?

      -Parlons-en, j’ai l’impression d’être l’homme invisible chez des fantômes. Je n’existe encore aux regards des autres que si je fais des bêtises, alors, et alors seulement, on s’occupe de moi… Les infirmières et aides-soignants, tous habillés de blanc, circulent comme des fantômes, ils traversent les couloirs de l’établissement de part en part sans me voir, comme je n’ai rien à perdre, je fais tout pour qu’elles m’accordent un petit regard, mais j’ai beau faire, je reste invisible, j’ai la satisfaction parfois de penser que je leur fait un peu peur…  

       -En dehors des soins, comment occupes-tu tes journées ?

      -Dans la journée, je m’isole des autres, les pensionnaires sont, pour la plupart, séniles, et heureusement pour eux. Il vaut mieux qu’ils n’aient plus leur tête. Le soir, dans ma chambre, je regarde la télé, quand le fou avec qui je partage cet endroit me laisse tranquille, ce qui n’est pas le cas tous les soirs…

       -Que faire, Christophe, tu ne peux revenir chez toi, ta santé te l’interdit.

      -Bof ! c’est foutu, je suis aspiré par le passé, mal dans mon présent et sans autres avenir que souffrances et malaises. Je suis là, à mendier à un Dieu, sourd comme un pot qui ne m’entend pas, a lui demander de ne plus subir les maux d’un corps qui ne me fait aucune concession et qui m’impose les misères physiques, situation normale de tout vieux avant qu'il ne parte sans regrets pour d'autres cieux... Je n’ai aucune possibilité de revenir en arrière. On me prive de tout, le train est incontournablement en marche vers une destination meilleure, sans souffrances, sans conscience, comme c’était le cas avant ma naissance...

       -A plus Christophe, garde confiance, combats comme si tu faisais un peu Camerone. Je te laisse le dernier « Képi Blanc » et quelques friandises, celles qui te sont interdites mais qui te donnes encore du rouge aux joues...

       -Au revoir, mon commandant, ne m’abandonnez surtout pas !

 

Inutile d’ajouter un commentaire ! Mais là encore le rôle des Amicales semble primordial surtout pour ceux qui n’ont d’autre famille que nous et qui se trouvent embarqués dans ce genre de situation qui nous pend tous au nez...

CM