En 1981, l’élection de François Mitterrand sauve le Larzac de l’extension du camp militaire. Depuis 2016, ce dernier connaît néanmoins une nouvelle vie avec l’arrivée de la 13e Demi-brigade de Légion étrangère.

Cette fin d’après-midi de juillet, le colonel Pierre-Henry Aubry reçoit une délégation d’anciens du Larzac à la 13, la 13e Demi-brigade de Légion étrangère. Représentants de l’Association pour l’aménagement du Larzac, de la Société civile des terres du Larzac ou du Groupement foncier agricole se croisent. Parmi eux Michèle Vincent et Léon Maillé (Cf nos précédentes éditions).

Désormais institutionnalisé, ce rendez-vous de courtoisie à La Cavalerie est né il y a quelques années. "Suite à des manœuvres hors du camp, nous avions fait une lettre de protestation exigeant que cela cesse immédiatement. Le colonel de l’époque avait alors demandé à nous rencontrer", résume Michèle, au téléphone.

Deux bastions de traditions

Depuis ? Habitude a donc été prise d’échanger. "On reste vigilants mais ça participe d’une relation apaisée de bon voisinage", ajoute-t-elle. Le colonel Aubry souligne, lui, "l’accueil chaleureux, en général, des agriculteurs de la région.". Il consomme local et… "on le voit au marché de Montredon", confie un habitué.

50 ans ont passé. Certes, d’irréductibles tags attaquent encore les "virils" sur les panneaux "défense d’entrer" autour du camp. Mais l’armée d’aujourd’hui n’est plus celle d’hier. Au face-à-face en chiens de faïence a succédé une singulière cohabitation entre deux bastions de traditions. Ceux qui ont "fait le Larzac" et la Légion, arrivée sous la neige, il y a cinq ans.

Retour en arrière. 1 981. François Mitterrand élu, l’extension du camp est enterrée. En 2016, La Cavalerie n’abrite plus que le Centre d’évaluation de l’infanterie au tir opérationnel. Mais Paris décide de rapatrier la 13e DBLE, après une vie d’itinérance qui l’a vue passer par Djibouti puis les Émirats arabes unis.

"C’est vrai qu’au début, les vieux clichés attachés aux légionnaires ont pu provoquer de l’inquiétude", se rappelle le colonel Aubry. Mais au

quotidien, la 13 a démontré depuis que ceux-ci avaient vécu, préférant pour sa part maintenir la "tradition bâtisseuse" de la Légion.

More majorum, "à la manière de nos anciens", la devise accueille le visiteur sur la porte crénelée inspirée d’Ali-Sabieh, cantonnement historique de la DBLE à Djibouti.

100 nationalités, 375 familles, 450 enfants, synonymes aussi d’écoles et de services publics confortés. Pour cette unité de combat de toutes les opérations extérieures, le contrat était aussi de "redynamiser et revivifier cet espace géographique. On vit ici, on dépense ici", souligne le chef de corps.

120 M€ d’investissements au total jusqu’en 2023, quartier neuf sorti du sol. Côté économie, personne ne se plaint des chiffres de l’Insee, publiés en 2021. Avec 1 297 militaires et civils recensés en 2019, la 13 a induit 324 nouveaux emplois côté consommation et commandé cette année-là pour 1,20 M€ de fournitures, travaux et services aux entreprises locales. En retombées, "2 462 personnes dépendent directement" de la 13 calcule au final l’Insee.

"Pierre sèche et bois clairs, cuirs de Millau : nous avons tenu à inscrire aussi le bâtiment de commandement dans la tradition du pays", pointe à présent le colonel Aubry, soulignant une volonté de décloisonnement pour répondre "à l’évolution de la société et des armées".

"Le week-end, nous ouvrons les pâturages du camp aux bergers et durant la saison, trois sociétés de chasse y ont accès. Nous avons aussi ouvert nos 30 clubs sportifs à nos voisins et monté l’un des deux ruchers écoles d’Aveyron. Nous cultivons un potager et entretenons un mini-Larzac sous forme de jardin remarquable, ouvert au public", liste-t-il.

Se fondre dans le pays, hier comme aujourd’hui ? En ville, les hommes sont discrets et "il y a une vraie bienveillance à l’égard des légionnaires et de leur diversité culturelle", estime le colonel, recevant dans la salle d’honneur musée qui, via la Norvège, la Libye, l’Erythrée, l’Indochine et l’Algérie éclaire soudain différemment la Légion au Larzac.

La 13 ? Devant la longue liste des hommes tombés, son mémorial impose le respect. "La 13e DBLE a passé 21 jours au camp de La Cavalerie à sa création, en mars 1940, puis elle a fait 21 ans de guerres pour la France sans discontinuer", résume le chef de corps. Après la victoire de Narvik, refusant la défaite, elle est devenue le fer de lance des Forces françaises libres, de Bir Hakeim à Colmar en passant par El-Alamein. Ironie de l’histoire, on y croise alors deux jeunes capitaines, compagnons de la Libération : Pierre Messmer, futur Premier ministre de 1972 à 1974 durant l’affaire du Larzac, et le futur général Jacques Pâris de Bollardière, qui, devenu pacifiste, s’opposera à l’extension du camp. Resté un brin provocateur, Léon Maillé rêve d’une cérémonie commune, si un jour La Cavalerie dédie une place à ce dernier. Impassibilité sous le képi blanc, la marque de la Légion.

 - La Dépêche: Pierre Challier