"La Baleine de Calvi":

C'est un véritable "petit bonheur" que ces anecdotes offertes, en cette période d'été, par le colonel (er) Simon Terrasson, ancien rédacteur en chef de "Képi Blanc", au temps où il coiffait plusieurs casquettes allant de celle de rédacteur en chef, en passant par ces autres emplois: chef du Service Historique, directeur d'une imprimerie et enfin  directeur des archives et du Musée de la Légion étrangère... ouf ! rien que celà pour un seul homme...

Pour commencer, une histoire authentique, celle d'une baleine venue s'échouer dans le port de Calvi.

Bonne lecture:

 

C'était en août 1973.

Les touristes avaient envahi Calvi et sa baie par centaines, comme chaque été. La ville avait ainsi décuplé sa population et une foule bigarrée grouillait chaque soir sur le port dans la fraîcheur de la nuit qui tombait.

Une effervescence inhabituelle avait gagné la cité corse en juillet par l'élection d'un nouveau maire; les vainqueurs avaient fêté à leur manière la victoire de leur candidat en tiraillant toute la nuit, et pas seulement avec des armes de chasse, au tir coup par coup…

Le 2ème REP, lui, voyait ses activités ralentir du fait des permissions étalées sur les deux mois d'été: nulle mission extérieure ne venait rompre à l'époque le rythme soutenu de l'instruction et de l'entraînement de ses compagnies; c'était au temps où un calme relatif régnait dans le monde.

Pourtant un jour, branle-bas de combat dans la cité: une baleine était venue mourir sur la plage, causant parmi les baigneurs un certain émoi.

De réunions en conciliabules, les édiles décidèrent que l'intruse serait tirée par une vedette, réquisitionnée par la préfecture, qui, d'habitude promenait les estivants (la vedette, pas la préfecture) de la pointe de la Revelatta à Lumio, jusqu'au large où elle serait pétardée (la baleine, pas la préfecture) pour la faire couler jusqu'à ce que disparition s'ensuive (la baleine, pas la vedette). Les services municipaux avaient demandé au régiment des explosifs puissants dont se servait la section sabotage de la 4ème compagnie. Mais devant le refus catégorique du commandant en second, seul maître à bord en l'absence du colonel en permission, ils s'étaient résolus à utiliser de l'explosif agricole. Seul soutien accordé par le régiment, l'aide technique apportée par le chef de la dite-section. Le soir donc, la vedette appareilla pour tirer la squatteuse aquatique au large et la pétarder. Des trous furent pratiqués dans la peau du défunt cétacé puis bourrés d'explosif et la mise à feu effectuée. Le monstre disparut aux yeux des artificiers d'un soir, ou plutôt d'une nuit, car l'obscurité masqua aux braves nettoyeurs des plages l'agonie du géant.

Las!! Le lendemain, quelle ne fut par la surprise… la baleine était de retour. Non contente d'avoir importuné les baigneurs de la baie, voilà qu'elle venait chercher des noises aux plongeurs de la Revelatta. Elle s'étalait, masse incongrue, sur les flancs de cette avancée rocheuse, non loin de l'endroit où Nelson perdit son œil (qu'on n'a toujours pas retrouvé, soit dit en passant!).

Une deuxième réquisition préfectorale fut lancée qui profita cette fois-ci au propriétaire de la deuxième vedette, la manne de l'état devant profiter à tous, la première ayant lamentablement échouée.

La destruction par désintégration chimique fut abandonnée devant la mauvaise volonté de ce représentant du sous-ordre des mysticètes. Il fut décidé qu'elle serait tirée vers une crique située au sud de Calvi et de la Revelatta, en un lieu éloigné des regards et détruite par le feu.

Et à qui fut confiée cette dernière mission? A la Légion!!!

C'est ainsi que les légionnaires se muèrent en fossoyeurs, ou plutôt en incinérateurs de mammifères marins; au dire de certains, la graisse de baleine ressemblerait à du fromage fort…

Il fallut deux semaines de brasiers pour faire fondre cette masse inerte (je vous passe sur l'odeur, mais comme les touristes brillaient dans cet endroit par leur absence, la saison calvaise était sauvée).

Et devinez ce que fit l'officier adjoint de la compagnie chargée de l'exécution des basses œuvres: il garda de la baleine un fanon.

Le fanon du légionnaire, bien sûr.

Simon Terrasson