Nous étions à table avec un ancien légionnaire philosophe, j’avoue qu’à un moment j’ai crains que celui-ci prénommé Arthur, oubliant sa timidité naturelle et dans le flot de la discussion, ne se laissait aller à certaines contradictions... et révélations...

Arthur trouve intéressante la lecture qui présente, selon son auteur, les cinq regrets essentiels que beaucoup d’humains  ressentent au soir de leurs vies. J’ai pensé donc qu'en adoptant ce que j’appelerais un déplorable conformisme, que notre Arthur ne se laisse aller à des regrets... alors je lui donne mon avis sur es derniers:

1er regret: Depuis les années soixante beaucoup de légionnaires n’ont-ils pas faite leur la célèbre chanson de Piaf “Non je ne regrette rien”? Dès lors cela m’a semblé bizarre qu’Arthur s’intéresse aux regrets. La lecture du premier regret me laisse tout aussi perplexe. Ne précise-t-il pas : ”...ne pas avoir eu le courage de vivre une vraie vie et non celle que les autres voulaient pour moi”. Les deux propositions ne sont pas antinomiques mais elles sont parallèles. Il aurait dû dire, à mon avis “...ne pas avoir eu le courage de vivre une vraie vie et avoir accepté celle qu’on prévoyait pour lui”. Non seulement ce qu’il dit est ambigü mais de surcroît contraire au destin d’un légionnaire qui vit précisément la vie qu’il s’est choisie.

2ème regret: “avoir consacré trop de temps à mon travail”. Une seule réponse, connue, quant on aime on ne compte pas. Nous ne consacrons jamais trop de temps à notre travail dès lors qu’il nous passionne, qu’il est la réalisation quotidienne d’une vocation, d’un rêve, d’une volonté.

3ème regret: “ Ne pas avoir exprimé ses sentiments”... S’il est vrai que parfois nous n’exprimons pas totalement le fond de notre pensée afin de ne pas blesser, ne pas créer de conflits, il reste néanmoins une réalité que l’engagement à la Légion constitue en lui-même l’expression d’un sentiment fort et même hors du commun: le don de soi, l’abnégation, être prêt à périr pour le bien d’autrui, pour le bien de quelque chose   plus grande  que soi, on pourrait dire de transcendant; et la camaraderie, et la solidarité et la fière appartenance à cette famille unique entre toutes?

4ème regret:”Ne pas être resté en contact avec ses amis...”. Les situations sont distinctes. Celui qui veut recommencer une nouvelle vie faisant table rase de son passé, qui n’est pas obligatoirement ténébreux malgré les clichés répandus, c’est volontairement qu’il coupe avec ses relations anciennes; d’autres, au contraire, une fois stabilisés dans leur régiment d’affectation reprennent contact avec leurs amis antérieurs... il est vrai néanmoins qu’une vie trépidante n’est pas trop de nature à favoriser les relations épistolaires, n’est pas Marquise de Sévigné qui veut... mais d’autres amitiés, nouvelles, présentes, surgissent...

5ème regret: “Ne pas s’être autorisé à être plus heureux”. Comment se sentir plus heureux que d’avoir fait sa vie durand ce qui nous a passionnés,  appartenir à un ensemble cohérent, respecté, reconnu, être membre d’une famille unique au monde, et puis plus personnellement fonder sa propre famille... Le bonheur n’est pas quelque chose que l’on peut commander comme une pizza livrée à la maison par la pizzeria du coin. Le bonheur se construit tous les jours, en accumulant de petites et grandes satisfactions, des moments d’humanité.

Mais voilà qu’à la fin de son exposé notre légionnaire nous dit que ces regrets ne sont pas l’apanage de ceux, vieillissants, qui ont consacré leur vie au service de la Légion et de la France.

Cela me rassure quand à sa nature profonde. Les légionnaires ont fait le libre choix de leur vie d’adulte et se sont consacrés à une cause noble qui nous dépasse tous. S’être entièrement donné à sa passion n’est pas à regretter même si cette option relègue à un niveau secondaire d’autres aspects de notre vie. Alfred de Vigny le résumait, en quelque sorte, dans l’un de ses titres “Grandeur et servitude militaires”.

Non rien de rien, non je ne regrette rien... air connu.

AM