Le monde roule vers l’abîme:

Comment peut-on penser que les périodes les plus intéressantes sont souvent les périodes les plus tragiques de la condition humaine?

Un homme de guerre et de paix fut  témoin de tous les événements qui marquèrent notre histoire, de la grande tuerie de 40 à la déchirure algérienne. Il traversa cette immense étendue de morts et de douleur  où l’esprit se vide de toute forme d’espérance et où adhérer à une foi devient difficile.

La possible ouverture de négociation avec le FLN, suscite une manifestation en masse le 16 mai 1958...

De ce désespoir qui n’était que conscience vive, une farouche volonté  refusait la tragédie qui se développait. Alors, naquit un affrontement devenu inévitable alors que le drame surgissait de la confrontation de ce qui était légitime à ce qui était illégal.

La tragédie manichéenne entremêla inextricablement le bien et le mal ; le drame mit en scène un combat sans merci. Pour cet homme qui est entré dans l’histoire de notre France, ce fut l’éternel combat de la mesure contre la démesure… pris entre l’ombre et la lumière  personne n’est juste. Dans l’ambiguïté, dans le doute, entre l’absolue soumission au mystère et l’absolue certitude de la raison, s’exprime la plus grande dignité de l’homme. “Le héros nie l’ordre qui le frappe et l’ordre divin frappe parce qu’il est nié” Camus. Ainsi donc, la pensée la plus pure devient pure folie dès lors qu’elle ne se reconnait plus de limites.

Ce monde tel qu’il est fait n’est pas supportable, écrit encore Camus. Son dessein est clair: “il s’agit de rendre possible ce qui ne l’est plus, alors le jeu n’a plus de limites, c’est une rébellion qui se dessine et qui pousse les raisonnements jusqu’au bout de leur logique ». Hélie Denoix de Saint Marc adresse à la France un avertissement que les intellectuels ont bien du mal à entendre. Au sortir de la guerre,  il ne cessera  de justifier dans ses livres et en filigrane, les conséquences d’une forme de croyance absolue, aveugle, dans le pouvoir de la raison qui n’exclut pas les sentiments. Une étrange forme de vérité, celle de se révolter contre un destin tracé qu’aggrave l’erreur de tuer les hommes en ne détruisant que soi même…

N’est-il point vrai de dire que si le monde nous montre sa face la plus répugnante, c’est aussi parce qu’il est fabriqué par des hommes qui s’accordent le droit de tuer les autres sans mourir eux-mêmes, ce qui est rarement le cas des militaires.

Dans le drame algérien, il était trop tard, la faute était trop ancienne, ne fallait-il pas s’éveiller plus tôt en tenant compte du constat qu’imposait la fin du conflit indochinois ?

Lyautey disait: “l’Afrique du Nord évoluée, civilisée, vivant sa vie autonome, se détachera de la France métropolitaine. Il faut qu’à ce moment-là, cette séparation se fasse sans douleur et que les regards des indigènes continuent de se tourner avec affection vers la France. La séparation d’avec le Maroc s’accomplira sans douleur. Celle d’avec l’Algérie se fera dans d’infinies douleurs.”

Lorsque dans les murs qui nous retiennent secrètement prisonniers, nous chercherons les portes et les fenêtres qu’il nous faudra ouvrir pour avoir le sentiment furtif d’être encore libres, lorsque tout en nous refusera d’être victime ou bourreau, c’est vers la lumière qui éclaire tous les hommes que nous nous tournerons.

Le choix fait-il prévaloir le devoir sur le sentiment ?

Il y a des écrivains dont l’œuvre et la vie sont si étroitement liées que l’on ne peut entrer dans l’une sans pénétrer forcément la secrète intimité de l’autre. Le plan de leur œuvre se fait en suivant le fil conducteur qui est celui de leur vie. Mais comment est-il possible d’utiliser face aux soldats français, des étrangers qui ont fait le serment de servir la France avec honneur et fidélité ?

CM