La Fête des rois a une connotation particulière à la Légion. C’est l’occasion pour les Officiers et les Sous-Officiers de se retrouver et de s’amuser ensemble autour d’un fil conducteur qui diffère chaque année selon l’imagination des organisateurs et qui fait passer un bon moment festif très agréable aux cadres des régiments.

Opportunité imposée pour certains cadres appelés à participer à la cour et de se retrouver acteurs d’un scénario dont le but principal et de provoquer l’hilarité de tous ceux qui assistent à ces agapes et qui n'ont d'autre rôle que celui de former "le peuple" d'un royaume imaginaire.

Les fêtes des rois restent des moments privilégiés de la vie des régiments et nous avons en cette période de l’année une pensée fraternelle pour nos camarades en activité de service qui débutent l’année de cette belle manière, sans trop se prendre au sérieux, une indiscutable qualité en cette période de l'année et bienheureuse antidote à une morosité générale qui s'affiche en ce début d'Année 2021...

 

Article présenté avec l'autorisation de son auteur:

le Major Frédéric Ambrosino:

 

 « Mes premiers Rois datent de 1996 (le siècle d’avant) ; je suis sergent depuis Noël 95. Après le bal de la Saint-Sylvestre et la cérémonie des vœux du 1er janvier, je poursuis ma découverte d’un univers totalement nouveau pour moi. À cette époque, on respectait les dates. Aussi, les Rois, c’était le premier vendredi qui suivait les vœux et le quartier-libre de l’après-midi n’était pas forcément suivi d’un samedi matin chômé (eh oui… à l’époque, on travaillait le samedi matin) ».

l’Épiphanie, la Légion tire les Rois le premier vendredi de janvier. Cette célébration aurait pour origine, comme le raconte le général Hallo dans « Monsieur légionnaire », un renvoi d’invitation faite par les sous-officiers célibataires à leurs homologues lieutenants qui les conviaient dans leur popote le jour de l’an pour partager le repas du midi. Les lieutenants retournaient la politesse en invitant ces braves sous-officiers à partager la galette, et passer un bon moment de convivialité. Cette affaire se déroule au tout début du XXe siècle ».

« Au cours de la première décennie du XX°  siècle, le cercle des convives s’élargit mais l’on reste sur un simple partage de galette ou de brioche. Comme nous savons et aimons le faire à la Légion, cette habitude devient coutume, s'ancre dans la tradition et regroupe bientôt tous les officiers et les sous-officiers d’un même corps. Les formules vont, bien entendu, évoluer au cours des années en fonction des missions, des territoires et des hommes. Une certaine « codification » fait son apparition quelques temps avant la Seconde Guerre mondiale, mais l’exécution de « l’affaire » reste de tout façon dans la main de celui qui commande ».

Le scénario prend forme.

« La journée débute par une rencontre sportive, en l’occurrence souvent du football, sport imposé de manière dictatoriale par les amateurs de ce jeu de balle d’origine anglaise. Sur ordre de notre chef de corps, ou à l’initiative discrète d’un sous-off ancien (un coup d’état, en quelque sorte), ladite rencontre se transforme en pugilat boueux que d’aucuns nomment rugby, un autre sport britannique. Qu’importe les qualités sportives des uns ou des autres, du moment que les coups sont rudes et que la foule des spectateurs envahit le terrain. Les sous-officiers étant plus forts, plus grands (et plus nombreux), la tradition veut que la victoire finale leur soit attribuée (les officiers ne sont pas forcément d'accord, mais c’est ainsi). Attention cependant aux tricheries (je rigole, mon Colonel !) : dans les années 2000, à force de démagogie, les officiers ont installé le président des caporaux-chefs dans le rôle d’arbitre, peut-être vulnérable à la corruption.

« Éborgnés, secoués, courbaturés, les sous-officiers victorieux et les officiers dépités courent cahin-caha au quartier car le temps est compté. Après une rapide douche, on se retrouve en belle tenue, avec gants blancs s’il vous plait, et gilet d’armes pour ceux qui y ont droit (eh oui, les jeunes) dans une salle soit très froide, soit hyper chauffée. Là aussi, c’est une tradition à la Légion, on ne maîtrise pas la température du moment qu’elle est extrême. Ah ! Souvenir qui passe des neiges éternelles de Narvik au soleil brûlant de Meknès… De toute façon, ce n’est pas grave, va venir le moment de se (re)déshabiller et de se déguiser pour beaucoup de monde ».

« On note aussi, avec les années, une augmentation fulgurante du nombre de « victimes » entrant dans ce que l’on nomme "la Cour". Oui, parce que nous formons une Cour des braves, bien sûr, autour d’un roi. Celui-ci est choisi au pur hasard, par on ne sait qui, mais toujours avec l’approbation du chef de corps. Mieux vaut l’injustice que le désordre »…

Le roi boit

« Le roi est un sous-officier ancien et plutôt apprécié, c’est un peu le « gars de l’année » ou celui qui ne devrait pas tarder à prendre une retraite méritée. On le prévient un peu avant le tirage de la galette, tirage donc truqué ! Par qui ? Les officiers, bien sûr, qui ont glissé la fève dans la poche de l’heureux élu… Après avoir revêtu son déguisement, le roi est présenté à l’ensemble de l’assistance et devient souverain du jour. On lui adjoint une Cour dans laquelle on trouve au moins une épouse (la reine), un bébé (le dauphin, ces deux personnages étant joués par de jeunes lieutenants), et un chambellan (le chef de corps chargé entre autres d’essayer de contrôler le roi dont les décisions prennent souvent la forme du lait sur le feu) »…

« Quelques personnes rejoignent ensuite cette petite famille, revêtant les costumes selon le thème choisi par le Colonel et mis en chantier par les lieutenants ! Ça peut être « Les chanteurs de années 80 », « La préhistoire », « Les guerres à travers l’histoire », « Les personnages de science-fiction »… Bref, un fil conducteur permet à tout ce petit monde de se retrouver grimé autour du héros du jour. Cette Cour est présentée au fur et à mesure à celui que l’on nomme le peuple, c’est-à-dire aux officiers et sous-officiers « non sélectionnés » qui commentent cette injustice à grand renfort de cris.

le peuple trinque !

« Pas très grave de ne pas être retenu dans la Cour, le peuple est là pour quémander des doléances mais surtout pour se rincer le gosier toutes les trois minutes avec un fond de Puyloubier blanc bien rustique. Quand le roi boit, le peuple trinque, c’est bien connu. Le roi lit alors le discours concocté par les lieutenants et brillamment censuré par les autorités en place qui viennent de subir un putsch de première division. Tout ça pour vous dire qu’il peut aussi arriver qu’un roi se permette d’aménager les vers imposés. L’attention toute relative de la Cour et du peuple permet ainsi de deviner l’attachement (ou non) du roi à certains de ses courtisans ou sujets, et vice-versa ! L’exercice a tendance à se rapprocher parfois des sketches de Noël, dont le principe est le même mais sans le barnum d’une Cour. Quoique les cours existent aussi les 364 autres jours de l’année… »

« À la fin de la représentation, le peuple est appelé à déposer ses doléances auprès du roi, qui, après avis de son chambellan (le colonel qui décide tout en sous-main), avalise ou non les demandes. Ça va du « Que le roi danse avec la reine ! » à « Qu’Albator embrasse Goldorak ! » en passant par « Un quartier libre pour le bas peuple ! », j’en passe et des bien meilleures. Car voilà enfin que la cour descend de façon fort protocolaire et chaotique à l’ordinaire (la cantine des militaires du rang) pour goûter la « soupe » (une autre tradition à la Légion). Notre bon roi accorde alors à la « populace » une après-midi de repos tout à fait imméritée ».

Après cette faiblesse, les cadres se retrouvent au mess des officiers pour un repas ponctué par les chants du répertoire de la Légion étrangère (« C’est une chose d’importance, la discipline à la Légion… »). L’exercice permet de pratiquer une belle activité de cohésion qui vient clôturer une période de relatif calme autour des fêtes de Noël et de fin d’année, qui annonce le retour des opérations. Quoi qu’il en soit, ces moments de franche convivialité et de camaraderie sincère font du bien, et participent activement à une autre trésor de la Légion : l’esprit de corps »."

 

Historique:

La galette des rois tire son origine des Saturnales (fêtes romaines situées entre la fin du mois de décembre et le commencement de celui de janvier), durant lesquelles les Romains désignaient un esclave comme « roi d’un jour ». Ces fêtes Saturnales favorisaient en effet l’inversion des rôles afin de déjouer les jours néfastes de Saturne, divinité chthonienne. Au cours du banquet (au début ou à la fin des Saturnales, selon les différentes époques de la Rome antique) au sein de chaque grande familia, les Romains utilisaient la fève d’un gâteau comme pour tirer au sort le « Saturnalicius princeps » (Prince des Saturnales ou du désordre). Le « roi d’un jour » disposait du pouvoir d’exaucer tous ses désirs pendant la journée (comme donner des ordres à son maître) avant d’être mis à mort, ou plus probablement de retourner à sa vie servile. Cela permettait de resserrer les affections domestiques.