L’appel au Peuple pour célébrer cette fête nationale s’exprimait comme suit:

“Pendant cinquante-deux mois, des peuples entiers se sont affrontés sur d’immenses champs de bataille. Quarante millions d’hommes se sont battus. Les hommes de la guerre veulent que leur victoire consacre l’écrasement de la guerre”.

Par-delà son emphase et sa grandiloquence, ce texte est très significatif, on y chercherait en vain un éloge de l’Armée ou une exaltation de la force française. Le refus de faire du 11 novembre une manifestation militaire est explicité au congrès de l’Union Fédéral des anciens combattants en 1922, qui avait lieu à Clermont Ferrand où s’exprimait la façon de célébrer la nouvelle fête nationale. Par ailleurs, le journal des mutilés qui se veut tout aussi déterminé, précise: “Ce qui importe, c’est que la fête nationale du 11 novembre soit dépourvue de tout apparat militaire. Ni prise d’armes, ni revues, ni défilé de troupes. C’est la fête de la paix que nous célébrons. Ce n’est pas la fête de la guerre. Nous voulons qu’on laisse les vivants au souvenir où ils ont précisément savouré l’admirable pensée qu’ils allaient désormais pouvoir vivre pour des oeuvres civiles”.

Mais alors, les drapeaux, les clairons, les Marseillaises chantées ? Le déroulement des cérémonies du 11 novembre ne trahit-il pas ces intentions ? N’est-il pas une concession au militarisme ?

Absolument pas”, répliquent les représentants des mutilés: “Il faut consentir à déchiffrer ces cérémonies comme un ensemble de signes articulés. Le lieu de la manifestation, comme le nom l’indique, est le monument aux morts. Ce n’est pas un autel de la Patrie, mais une tombe. Certains, il est vrai, arborent un poilu triomphant, encore que le plus grand nombre soient de simples stèles, sans connotations glorieuses ou cocardières. De toute façon, le monument joue dans la cérémonie le rôle d’une tombe”.

Depuis, partout, fleurissent les monuments où souvent chaque enfant des écoles y dépose à leur pied, une fleur ou un petit bouquet, une minute de silence, forme laïcisée de la prière est observée, suivie de l’appel des morts, ce protocole s’inscrit dans la conduite à tenir lors des cérémonies funéraires du 11 novembre. Ainsi donc, devant les monuments aux morts n’est pas célébré le culte de la Patrie victorieuse, mais bien celui des morts (célébration qui ne veut pas dire fête des morts qui elle est réservée au 2 novembre).

A l’époque, c’est plus souvent “l’hymne aux morts” de Victor Hugo que chantent les enfants des écoles plutôt que la “Marseillaise”:

Ceux qui pieusement sont morts pour la Patrie,

Ont droit qu’à leur cercueil la foule vienne et prie.

Entre les plus beaux noms, leur nom est le plus beau,

Toute gloire près d’eux passe et tombe, éphémère

Et comme ferait une mère

La voix d’un peuple entier les berce en leur tombeau”. 

On ne célèbre pas le nationalisme face à l’étranger, mais le citoyen mort pour la liberté: l’hymne de Victor Hugo a été composé en l’honneur des victimes de la révolution de 1830. On est en plein civisme républicain…

C’est ce que confirme le sens des échanges et des déplacements. La cérémonie n’est pas présidée par les officiels, mais par les anciens combattants, qui se rangent symboliquement avec leurs drapeaux du côté du monument, c’est à dire du côté des morts. Les officiels viennent et déposent une gerbe ou une couronne, ce sont eux qui bougent et marquent du respect aux morts. Pour s’associer à cet hommage, les drapeaux s’inclinent respectueusement, en signe de deuil. On ne défile pas devant eux, on ne leur rend pas hommage. Symbole de la collectivité, ils expriment leur reconnaissance et leur respect pour les citoyens morts à la guerre.  Ce n’est pas une glorification de la patrie triomphante, mais bien un hommage rendu par la collectivité aux morts de la guerre dont les noms sont gravés sur le monument dans l’ordre alphabétique.

Faut-il pour autant faire du 11 novembre la commémoration de toutes les guerres ensemble ?

Chantal Dupille, humaniste non alignée aux “mensonges de la Pensée Unique” (*) amorce une réponse:

“Ils avaient 18 ou 20 ans,

Ils ont été fauchés avant même d’avoir vécu, aimé.

Les plus chanceux sont revenus – mais dans quel état ?

“Gueules cassées”, esprits blessés…

C’est l’horreur de la guerre !

Le dernier poilu, Lazare Ponticelli,

A dit: “la Der des Der”!

Mais ce ne sera pas la Der des Der.

…/…

Mais Verdun,

Mais les poilus

Et l’atroce vie dans les tranchées,

C’est autre chose.

Ils ont enduré l’horreur au quotidien.

Ils sont morts pour rien.

60 000 en un jour !

…/…

Mais le sang des Poilus, de nos Poilus,

De nos ancêtres,

C’est une page d’histoire

Que nous ne devons jamais oublier.

Elle est différente. Elle est unique.

Notre belle terre porte les cicatrices

Du sacrifice de nos pères

Partis à l’âge où ils étaient encore des enfants.

 …/…

Nous ne devons pas commémorer

Toutes les guerres ensemble,

D’autant que cela s’achève sans doute

Par la seule évocation des camps de la honte.

 …/…

N’acceptons pas que toutes les pages d’histoire

Se réduisent à une seule,

On n’a pas le droit de réduire notre histoire,

On n’a pas le droit de n’en faire qu’une page,

Chacune est spécifique.

Et la page de nos poilus est sans doute

La plus effroyable de toutes.

…/…

Ne tuons pas une deuxième fois nos Poilus

en les ensevelissant dans un quasi oubli.

Battons-nous pour préserver l’honneur de nos Poilus,

Battons-nous pour que leur sacrifice n’ait pas été vain ! »

En règle générale, en ces temps-là, on ne trouve aucun ancien combattant pour faire l’éloge, même timoré, de la guerre. Rien de plus instructif à cet égard que de suivre le sergent Tapin qui refuse de respirer les chrysanthèmes et donne d’étonnants conseils:

les instituteurs doivent préparer leurs élèves pour la guerre future, suivant le mouvement cocardier actuel qui entretient l’esprit belliqueux d’autrefois et nous fait passer aux yeux étrangers pour des impérialistes ? Propager ces tendances, est-ce faire oeuvre d’utilité nationale, n’est-ce pas heurter le grand principe de transformation de l’esprit humain qu’on peut arrêter momentanément mais jamais interrompre et dont les étapes constituent le progrès…”.

Le progrès, parlons-en, surtout quand le temps d’une génération qui suit l’armistice,  une nouvelle guerre mondiale « remet le couvert » avec cette fois plus de 60 millions de morts, soit 2,5% de la population mondiale et plonge le monde dans une horreur sans nom où l’imagination pour détruire dépasse l’entendement, de quoi s’interroger sérieusement sur la possibilité de l’être humain à pouvoir un jour vivre en paix. les poilus revenus de l’horreur ne savaient pas que tout allait recommencer de plus belle et que leurs magnifiques discours étaient inutiles, inaudibles pour un genre humain belliqueux et dont la devise:  « Si vis pacem para bellum »!… Si tu veux la paix prépare la guerre!… justifie entièrement ses actes au point de décourager les plus ferventes bonnes volontés confrontées à un  monde  sans cesse en conflits majeurs qui peuvent, à tout moment, faire basculer l’humanité dans le néant.

Je serais présent devant le monument aux morts de ma cité accompagnant le Maire, en comité très restreint pour commémorer l’armistice de la grande Guerre. Devant le  monument aux morts, nous aurons une pensée fraternelle pour nos poilus et en particulier pour un des nôtres, Lazare Ponticelli. J’expliquerai, à qui veut entendre que le 11 novembre ne saurait souffrir de n’être qu’une page parmi toutes celles qui ont fait notre Histoire.

Un horrible constat s’impose, celui de ne pas savoir écouter le message des soldats revenus du front, qui nous explique avec leurs mots simples que jamais nous ne serons  en mesure de faire face à ce monde inhumain confronté aux conflits religieux, politiques, économiques où l’humain n’a pas sa place. C’est ce  message que nos Poilus, forts de l’expérience qu’ils avaient de la guerre ont souhaité nous transmettre ! 

Pour les anciens combattants de la Grande Guerre, le déclenchement de la seconde guerre mondiale a été un échec grave alors qu’ils s’étaient mobilisés en faveur de la paix. Les survivants n’en concluaient pas pour autant qu’ils s’étaient dépensés en vain. L’opinion publique est lente à convaincre. Nous constatons aujourd’hui que notre pays souffre d’une crise morale, sociale, économique et politique qui  met la Paix en péril peut être un plus grand danger que ce viril invisible qui affecte le monde entier.  Modestement, nous serons là ce jour du 11 novembre pour dire par notre présence qu’il est vital de nous souvenir du message de paix que nos Poilus, forts de l’expérience qu’ils ont retiré de la guerre, ont souhaité nous transmettre.

CM