peinture de PyC

Un souvenir ne me quitte pas quand il m’arrive de penser à cette ville de Djibouti située sur la corne de l’Afrique ; c’est celui de « la rue des mouches ». Beaucoup de rues se ressemblent dans cette ville, mais la plus typique, haute en couleurs, reste cette rue jonchée de détritus et de vieux matelas pourris. De part et d’autre d’un chemin de terre bosselé, je revois ces tailleurs de vêtements qui vous confectionnaient en un temps record l’habit de votre choix, ils frappaient la pédale de leur vieille machine à coudre et jouait une mélodie inconnue, monotone. Je revois encore cette place des mouches où l’odeur de la viande et du poisson incommodait l'atmosphère au point d'attirer des nuages de mouches colorées. C’était le lieu de balade de prédilection de ces femmes djiboutiennes drapées dans leur « diri », longue étoffe imprimée de couleurs qu'agrémentait un châle encadrant leur visage chocolat, ornées d'un léger fard mauve pailleté qui faisait briller leurs paupières et enflammait leur regard.

  

Dans ce pays musulman, les hommes tenaient à la beauté de leurs femmes. Ils ne pouvaient parler d'elles sans utiliser la poésie tant il était, pour eux, difficile de ne pas remarquer dans ce quartier populaire ces djiboutiennes éclatantes, pauvres et riches qui faisaient vivre du matin et après la sacro-sainte sieste de l'après-midi,  ces lieux de regroupement populaire. Des vendeuses ambulantes se rassemblaient, assises dans la poussière sur de grands cartons d’emballage, certaines avaient la figure peinte de « houroud »,  une poudre jaune à base de Curcuma.

A l’ombre des cafés, les hommes se tenaient à l’écart de toutes ces activités. Ils paressaient en observant la ronde incessante des passantes.

Loin de cette agitation matinale, l’après-midi était réservée à un tout autre passe-temps, celui de la consommation du « khat », une plante verte aux propriétés euphorisantes qui, chaque jour, ralentissait le rythme des activités du pays. Juste après un frénétique  mouvement de foule,  aux abords de l’aéroport où arrivaient, les ballots de « khat » en provenance des hauts plateaux d’Ethiopie. Alors, commençaient les très dangereuses courses infernales des taxis pour livrer en ville la précieuse drogue, promesse  d’évasion pour un voyage immobile. C'était l'occasion pour les « Warias » de changer leur tenue de travail pour un « Fouta », large tissu qu’ils enroulaient autour de leur taille, une sorte de longue jupe qui leur assurait une liberté de leurs "dessous" à l'identique de celle qu'offre le "kilt" écossais, imagination aidant... C’étaient le grand départ pour des voyages imaginaires, au pays des paradis artificiels. La ville semblait endormie, la circulation s’arrêtait, allongés sur des nattes de paille, le coude posé sur un coussin,  des hommes et des femmes, Favorite du Président de la République en tête, savouraient à leurs justes mesures ces instants privilégiés qui leurs permettaient, dans une hilarité fausse, d'échanger et de règler toutes sortes de conflits, de commenter tout et son contraire; ils buvaient tous du coca et affichaient une curieuse protubérance,  boule impressionnante qui gonflait la joue à l’image d’une abcès dentaire. Bref, ils palabraient à l’ombre des « Kékés » ces arbres faméliques et très résistants qui s'épanouissaient aux abords du désert à la plus grande joie des éleveurs de chèvres.

Peu de temps après cette allégresse collective, venait une forme de repli sur soi, réaction de torpeur et d’angoisse où leurs gestes ralentissaient, c'était le moment d'un retour à une vie trépidante qui s’activait à nouveau jusqu’au petit matin, la routine infernale reprenait ses droits et ses habitudes. Sur ce confetti africain, les habitants vivaient à pleine dents au rythme du soleil et de l'humidité des chaudes nuits tropicales.

J’ai beaucoup apprécié mes deux séjours dans ce pays où la vie et la mort s’opposaient sans concession et sans cesse d'une manière plus spectaculaire qu'ailleurs. J'ai aussi le souvenir vivace du « Kramsin », terrible vent de sable qui parcourait la ville et la région sans relâche qui permettait  une pause aux hostilités ancestrales entre Afars et Issas, querelles interminables qui resurgissait sans faiblir du fond des âges, telles des cicatrices gravées à jamais dans leurs gênes et nul prophète vivant  n’était capable de dire s'il était seulement possible que cela puisse se terminer  un jour…

La Légion y a laissé son empreinte et ses morts, quelques marques sont encore visibles du passage de la "phalange magnifique"... Malheureusement, ce n’est plus qu’une question de temps pour que toutes traces ne disparaissent à tout jamais, comme cela a été le cas dans ces multiples endroits  qui ont été fréquentés par la Légion de par le monde. Ainsi va le monde !

More Majorum.

CM