Précisions obligent: Nous recevons très peu de compte-rendu d'actualité de nos Amicales, sûrement un effet secondaire de la pandémie en cours. Par le fait même qu'il ne nous est pas possible de commenter l'actualité sans faire du "politiquement incorrect" ce qui ne saurait être de mise et afin de distraire nos fins de semaines d'une manière enrichissante, nous vous proposons un partage de nos loisirs. Pensez SVP à nous adresser vos écrits, c'est toujours un régal de pouvoir lire vos anecdotes et tranches de vie à l'exemple de l'article de RG, ci-dessus. Merci !

Cette semaine, nous débutons avec un des "Grands" de la littérature française, bonne lecture !

«Je vous l’avais bien dit», je vous mettais en garde, en tête d’un autre billet de notre ami Christian : son cas s’aggravait disais-je. Mais voici que ce cas-là semble irrémédiablement, définitivement perdu. Nous savons que beaucoup pensent, qu’un officier à titre étranger est quelqu’un qui, accédant à l’épaulette, apporte sa pratique de la troupe, son savoir-faire. Moins nombreux sont ceux qui considèrent qu’il puisse apporter un savoir-penser, une certaine culture, un savoir académique. C’est ainsi. La cause est entendue. A l’aube du crépuscule de sa vie, au moment où il coupe les liens qui l’attachent à sa dernière activité professionnelle, Christian se révèle chaque jour un peu plus à ceux qui le connaissent peu ou mal. Le voilà qui prend un autre envol, qui offre une autre facette de sa riche personnalité. La littérature… Les choses de l’écrit l’ont toujours passionné. Il aime les livres, l’écriture et la calligraphie…

Il se propose de nous faire découvrir les auteurs qu’il aime à travers une brève incursion dans l’œuvre et son auteur. Voilà de bons moments à attendre. Une sorte de digest que, je l’espère, il ne cantonnera pas à la littérature française, mais l’élargira aux grands auteurs internationaux, Pessoa, Garcia Marquez, Amado… vaste programme auquel s’attelle notre ami pour notre plus grand plaisir.

AM

Il est dit que les livres et auteurs qui sont notre lecture révèlent un peu notre personnalité et donnent une idée de ce que nous sommes, notre manière de penser et bien d’autres choses encore…

En son temps, le magazine “Képi Blanc” demandait à une poignée de rédacteurs bénévoles de faire la recension des livres reçus par le rédacteur en chef. J’aimais particulièrement me livrer à cet exercice et à écrire ce genre d’article. Cela m’obligeait à lire, même les livres que je n’avais pas choisis par le biais de leurs titres, comme je le fais habituellement.

Aujourd’hui, je me lance dans la critique des écrivains qui ont marqué ma vie de lecteur assidu, ceux qui ont établi par leurs œuvres une réelle relation avec mon propre imaginaire.

Il fut un temps, je rêvais d’une bibliothèque uniquement composée d’ouvrages d’écrivains français. Pourquoi ce chauvinisme livresque ? Tout simplement parce qu’il est impossible que je les lise tous, alors si en plus je dois lire des livres d’auteurs étrangers… cependant, rapidement je compris qu’une bibliothèque doit s’ouvrir au monde et ne pas se refermer sur lui.

La bibliothèque imaginaire est ce “lieu mental” où les livres nous sollicitent, nous trahissent, nous saisissent, nous lâchent, nous troublent, nous bouleversent ou nous déconcertent. C’est une constellation mouvante et en expansion.

André Malraux savait battre les cartes d’un jeu qui évoquait un musée imaginaire de la littérature. Jean d’Ormesson aussi.

Je commence avec Alain, le philosophe à la charrue, celui qui me fascinait par son pacifisme et qui lorsque la guerre 14-18 éclate, sans renier ses idées, bien que non mobilisable, s’engage afin de satisfaire son “devoir de citoyen” ; les temps depuis ont bien changé… Il en a résulté de son passage dans la grande guerre un pamplet: “Mars ou la guerre jugée”.

J’ai lu Alain par obligation. Après la lecture imposée, le professeur nous ordonnait de faire une dissertation sur le livre. L’affaire n’était pas toujours aisée mais, curieusement, j’ai toujours aimé ce procédé qui m’obligeait à lire et à réfléchir au sujet de l’œuvre et de son auteur.

Normand de naissance, Alain de sa vie n’a jamais franchi ni mer, ni océan ; il s’est contenté de rester un paysan de la pensée, chez lui le titre de philosophe se complète par un grand bon sens et beaucoup d’optimisme. C’est irritant et attendrissant puisque le bon sens ne mène pas loin, mais par contre, il donne une incroyable endurance.

Le philosophe travaille chaque jour son champ disant à ce propos que les “idées chargés de matière sont nées du sol” et encore: “les mots sont le terreau des vivants”. L’homme se reconnait au combat quotidien, c’est sa mesure réelle, pas de distraction.

Le but de la philosophie d’Alain est d’apprendre à réfléchir et à penser rationnellement en évitant les préjugés. Cet éveilleur d’esprit, passionné de liberté, s’insurgeait contre “le mépris des officiers pour les hommes de troupe, lorsqu’ils parlent aux hommes comme on parle à des bêtes”. Il ne supporte pas “l’idée de cette tuerie organisée, de ce traitement que l’homme inflige à l’homme. Il se révolte quand il assiste à la mise au point d’une énorme machine destinée à tenir l’homme dans l’obéissance.

Alain érige un principe de discipline qui consiste à effacer les rêveries. Il prévoit, sûr de lui: « ceux qui travaillent de leurs mains sont victorieux d’instant en instant, ils ne cessent de vaincre la mort… » Ce meneur de pensées ne faisait confiance qu’à l’artisanat et se vouait corps et âme à une perpétuelle “leçon de choses”.

Toute sa vie, il s’est obstiné, devant les provocations et les “séductions” de la mort, à vouloir dire non. Ce n’est point facile. Il est facile de punir par la violence, disait-il, mais l’esprit mène une toute autre guerre.

Voilà donc rapidement brossé, le portrait d’un des auteurs qui ont meublé mes journées d’hiver et… de bien d’autres saisons.

Le week end prochain: André Breton.

CM