Une belle réaction à notre appel à témoin de la part du colonel (er) Pierre Gros.

Nous partagions sur l’atoll de Mururoa, le même « Shelter », cette unité mobile d’habitation étanche qui nous permettait en cas de catastrophe de ne pas être immergés. Nous étions en parfaite symbiose quant à vivre notre voisinage, d'autant que nous étions très fiers d’avoir réalisé ensemble le plus bel «espace-vie» du site, qu’agrémentait un jardin potager composé de terre africaine importée pullulant d’insectes des plus inquiétants au point d'apprécier l'étanchéité de notre habitation nomade.

Pierre nous propose « d’amorcer la pompe » avec un premier témoignage particulièrement intéressant de son passé légionnaire.

Partage sous forme d’Interview:

 Quel souvenir garderez-vous de Beyrouth ? (Septembre 1982)

Le 2ème REP vient de remplir brillamment sa mission d'évacuation des Palestiniens dont Yasser Arafat (leader) de Beyrouth et en parallèle d'interposition entre les Forces israéliennes de Tsahal, les milices chrétiennes, le Hezbollah, les Syriens et les Forces libanaises aussi … Mission accomplie sans aucun coup de feu. La discipline du feu est très difficile à obtenir de la part de troupes mal préparées, mal commandées, ce qui n'est pas le cas du 2ème REP de Calvi.

La décision de quitter le Liban a été prise. Nous sommes le 13 Septembre 1982. Les Cies du 2ème REP sont héliportées en plusieurs rotations par les Superfrelons de la Marine nationale jusqu'au porte-avion Foch resté à distance au large (on ne le voit pas depuis le port). Les conducteurs de véhicules légers et poids lourds sont, quant à eux, restés à terre au port avec les officiers adjoints des compagnies (dont moi-même), les sous-officiers adjoints des sections et le capitaine T. du PC régimentaire.

Les véhicules ont été embarqués dans le BDC Dives. Le personnel du 2ème REP attend sur le port de Beyrouth. Quand soudainement, on nous annonce l'arrivée toute proche de M. Lemoine, Secrétaire d'Etat à la Défense. Le cortège officiel arrive. On fait, vite fait bien fait, aligner les Légionnaires sur 2 rangs. Les honneurs militaires sont rapidement rendus au Secrétaire d'Etat. Il est notamment accompagné de P.-M. Henry, ambassadeur de France au Liban, du général Granger, commandant le GAP (groupement aéroporté) et de tout un entourage civilo-militaire.

Après la présentation rapide, M. Lemoine se dirige vers les légionnaires alignés pour les féliciter. Il leur tient un discours politique mettant en valeur la réussite de la mission au retentissement mondial et donc de sa grande satisfaction, etc. Il s'approche encore des rangs et interroge ensuite le légionnaire B. M. Lemoine lui pose la question suivante : Vous venez d'accomplir une grande mission, qu'est-ce que vous conserverez comme souvenir ?

Le légionnaire B. me regarde. Je lui fait signe de la tête qu'il doit répondre à la question. Il réfléchit quelques secondes puis, intimidé par la présence du ministre et de son entourage étoilé et galonné, il lui répond : « Et ben, j'ai acheté une montre ! ». Le ministre qui ne s'attendait pas du tout à ce type de réponse, éclate de rire … l'entourage sourit béatement. Le Légionnaire B. me regarde. Je lui dit qu'il a bien répondu. Il est rassuré par son capitaine.

Le ministre se dirige ensuite à pied vers le BDC Dives dont la trappe avant est encore baissée à quai. Son entourage et lui-même pénètrent dans le bâteau et échangent quelques mots avec l'équipage. Je suis présent. Le ministre ne peut pas s'empêcher de raconter de nouveau la séquence question/réponse vécue avec le légionnaire B. tant elle l'a marqué. Les souvenirs des uns ne sont pas les souvenirs des autres, selon les niveau de responsabilité. Quand la réalité du terrain vous tient !

En mai 1982, Israël envahit le Liban engageant un renforcement des troupes de la FINUL au sud du pays. Quand l’armée israélienne prend la direction de Beyrouth, l’ONU décide d’envoyer une Force multinationale d’interposition (FMI) pour assurer le retour au calme dans la capitale libanaise. Protéger la population civile, évacuer les combattants palestiniens et leur chef Yasser Arafat et restaurer l’autorité du gouvernement libanais, telles sont les missions des soldats français durant l’opération « Epaulard » (21 août -13 sept.1982).

Mais pendant le retour des forces onusiennes, le président de la République du Liban, Bachir Gemayel, symbole de l’unité retrouvée, est assassiné (14 sept.) et des Palestiniens sont tués dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila (16 sept. 1982).

Une équipe TV viendra vous filmer au bivouac (Septembre1982)

Le LCL J., commandant le 2ème REP, me fait venir à son PC (dans l'hippodrôme détruit) et me dit : « demain matin, vous aurez une équipe de télévision française qui viendra vous filmer au bivouac ! ». Je lui réponds qu'il n'y a pas grand chose d'intéressant à filmer au bivouac. Il me demande néanmoins de bien la recevoir et de traiter avec elle.

Le lendemain, vers 08h00, une équipe de télévision française, composée de 4 personnes, se présente au bivouac comme annoncée la veille. L'équipe comprend un chef d'une cinquantaine d'années, une jeune journaliste prenant des notes, un cameraman et un preneur de son de la même génération.

Nous les recevons bien en leur offrant de prendre un café, ce qu'ils acceptent bien volontiers. Nous faisons ensuite rapidement le tour du bivouac composé de lits picot en toile et de sacs à dos rangés.

Le chef d'équipe me dit qu'il n'y a pas grand chose à filmer (ce que j'avais répondu la veille au chef de corps). C'est alors qu'il me demande de faire mettre un légionnaire armé d'un FAMAS (fusil d'assaut de la manufacture d'armes de St-Etienne) en position de tireur face à la rue passante et de faire semblant de tirer sur les civils. Je lui réponds qu'on ne fait jamais cela ! Il me réitère sa demande. Je lui fais la même réponse. Il me dit alors : « c'est comme cela que je vois l'affaire ! ».

Devant mon refus net et catégorique, il me dit : « nous n'avons plus rien à nous dire ! ». L'équipe de télévision quitte alors le bivouac sans avoir filmé comme elle se l'imaginait. J'ai ensuite rendu-compte au chef de corps de ce qui s'était passé. Il m'a répondu que j'avais bien fait. La phrase « c'est comme cela que je vois l'affaire » restera à jamais gravée dans ma tête. Imaginons un instant la situation contraire! L'exploitation de la séquence filmée, doublée d'un son de tirs au FAMAS sur les passants civils, aurait créé une grave polémique sur le comportement des légionnaires au Liban. Et je n'aurais pas eu la même carrière militaire.

Il m'arrive souvent de regarder des reportages TV sur des territoires en conflit. Et de dire, « ça, c'est pour la caméra ! ». En effet, les cameramen ne tournent pas le dos à l'ennemi pour filmer de trois-quart avant des tireurs défouraillant leurs cartouches avec leurs kalashnikov. Beaucoup de tireurs acceptent ces demandes de postures permettant aux équipes TV de disposer de séquences flirtant avec l'émotion ou le sensationnel. Il leur faut émouvoir le téléspectateur ! Je ne regarde plus du tout la TV de la même manière.

Un grand merci PG pour ce magnifique partage !