Opinions et réflexions: L’Étranger (légionnaire) ...

Récemment d’aucuns  ont pu s’émouvoir du fait que l’on puisse critiquer, voire contester, la liberté prise par certains cadres d’instrumentaliser, grâce à l’esprit de discipline pure  et d’obéissance formelle, des hommes placés sous leur commandement,  pour servir leur cause individuelle qui  s’inscrivait dans un combat plus vaste, plus collectif, et ce dans un engagement moralement, intellectuellement, humainement juste, mais fondamentalement illégal et au dénouement  plus qu’incertain.  Ces blessures  appartiennent à un passé   lointain déjà,   mais dont   les plaies profondes sont toujours  béantes d’actualité, dans les cœurs et dans les esprits accablés de tourments. AM nous invite à une réflexion qui ne saurait nous laisser indifférents...

CM

 

« Oui, nous les étrangers, soldats qu’on dit perdus

Dont le sang anonyme est troisième couleur

Du drapeau de la France, linceul de nos douleurs

Restons des orgueilleux sur les chemins ardus. »

Joseph Lafort

« Je conçois que ces possibles critiques présentées ci-dessus puissent mettre en émoi d’honnêtes gens, proches de celui-ci ou de celui-là ayant pu être impliqué  dans l’action, et susciter en eux un sentiment de révolte contre son ou ses auteurs. Je comprends cette émotion. Néanmoins, la critique  porte  moins sur l’homme ou les hommes faits de chair et de sang, ayant entrainé leurs subordonnés dans des luttes sans lendemain, que sur le projet, le concept de l’action elle-même.

« On ne peut demander à un soldat de se parjurer ». Certes non ! Encore moins  à un subordonné!

On m’opposera que le général de Gaulle a procédé de même. C’est vrai. Mais la France en danger était alors occupée par un ennemi en armes et gouvernée – quoiqu’on en pense et à tort ou à raison – en collusion avec l’envahisseur. Ce cas de désobéissance est  immédiatement  exclu du champ  dans lequel se place la critique incriminée.

Imaginons, comme hypothèse, que l’aventure algérienne se soit poursuivie…

Nous retrouverions alors des étrangers qui s’étaient   donnés à la France et auxquels elle a accordé du crédit au point de leur confier ses armes, pouvant être opposés  dans une lutte fratricide, à d’autres soldats français,  engagés, ou pire, des conscrits !

Le peuple français aurait-il accepté une telle horreur ?  La Légion aurait-elle survécu à une telle calamité ? A l’évidence la réponse est non.

En mai 68 au plus fort des événements qui ont marqué toute une génération qui hélas sévit encore ici ou là, les légionnaires d’Aubagne participaient à l’action de l’Etat : discrètement à l’œuvre  sous les bâches des camions, ils vidaient les poubelles que les appelés du contingent, à terre, leur tendaient. Il était hors de question que les légionnaires mettent pied à terre et que la population puisse prétendre que l’on utilisait des légionnaires contre elle, fut-ce pour dégager les ordures qui encombraient la ville par centaines de tonnes pour cause de grève.

Dernièrement  une sénatrice de circonscription de la ville de Marseille a demandé que l’Etat fasse intervenir l’armée dans la lutte contre le crime qui plonge la ville dans un terrible marasme. De bonnes âmes crédules ont cru que le transfert du 1er REC à Carpiagne se faisait à cette fin !

Il faut admettre comme un axiome, que jamais un légionnaire   ne sera, ne pourra être engagé contre la population du pays qui l’a généreusement accueilli et pour lequel il est prêt, le cas échéant, à donner sa vie.

Il y va de son honneur.

Au nom de quel autre honneur « supérieur »   pourrait-on engager ces hommes à mordre la main qui les nourrit ?

On peut comprendre les soldats d’une haute valeur morale qui se sont égarés dans une lutte qui leur était dictée par des circonstances exceptionnelles. D’ailleurs certains ont déclaré accepter pleinement les conséquences de leurs actes... 

Je sais que là nous atteignons au « sacré », et que l’excommunication laïque rôde. Mais ce qui est sacré pour les uns ne doit pas le rester pour tous ? Et au nom de quel nouvel évangile ne peut-on pas, ou au moins essayer, comprendre   ceux qui peuvent être amenés à s’interroger sur le bien-fondé  de ces actions ou même à les critiquer, au titre de la défense de leur propre honneur et de leur parole donnée car, ça, nul autre   - quels que soient son grade, sa condition sociale ou sa proximité avec les personnes objet de la critique  - que  l’étranger (ou le supposé tel) et lui seul,  qui a osé franchir la porte du bureau de recrutement ,  sait  en mesurer la portée.

Et j’en suis.

AM

« Prenez, mangez. Dormez sans rêve, sous la tente;

Ce pain dur, ce lit dur, qui font l’âme contente,

Sont ceux de nos soldats. Méritez leur tombeau.

Vous êtes en lieu sûr, et de vous je me charge,

Entrez – Et derrière eux, d’un geste simple et large,

Elle fait retomber un pli de son drapeau. »

Capitaine de Borelli

« Légion notre mère », 2000)