Réflexion profonde s’il en est, l’expression  “sens de la vie” nous confirme surtout     que nous ne sommes absolument pas maîtres de notre destin, que trop de facteurs viennent sans cesse perturber le scénario de ce qui pourrait être une vie sereine, pleine et réussie. Je me souviens de mes  interrogations, en visite au  musée Gauguin à Tahiti,  devant la reproduction d’une des plus importantes peintures de l’artiste - fondateur des Nabis qui plus qu’une expression artistique, pensaient la peinture comme une philosophie de vie - intitulée  « D’où venons-nous? Que sommes-nous? Où allons-nous? » L’artiste avait juré de mettre fin à ses jours après l’achèvement du tableau qu’il a peint en un mois.

Il indiqua que ce dernier devait-être lu de droite à gauche.  Il se composait de trois groupes de personnages: à droite  femmes et  enfants représentant le début de la vie, l’existence représentée par un adulte, au milieu, et enfin une vieille femme, à l’extrême gauche, apparemment résignée, qui approche de la mort.

De nombreux courants philosophiques, artistiques, religieux ou même scientifiques se sont emparés de ces questions restées néanmoins sans réponse…

Jean Grondin, philosophe, présente ces questions à sa manière: « que faisons-nous ici, pourquoi et pour qui sommes-nous là, que devons-nous y faire, que nous est-il permis d’espérer ?… »

Shakespeare lui, n’y va pas par quatre chemins « La vie n’est qu’un fantôme errant, un pauvre comédien qui se pavane et s’agite durant son heure sur la scène et qu’ensuite on n’entend plus; c’est une histoire dite par un idiot, pleine de fureurs et de bruits et qui ne signifie rien… »

Quel pessimisme! Heureusement d’autres, dont certains  écrivains, donnent un meilleur sens à leur vie ; ainsi Albert Camus « Que des âmes lucides et entraînées peuvent trouver un sens à leurs jours, et jouir dans cette plénitude, alors vivre est une force. »

Bien que vivant dans un monde insensé, chacun de nous crée un environnement mental où tout doit avoir un sens, une signification ; chaque individu donne à sa vie une direction et bâtit  son propre univers fait de souvenirs, d’expériences vécues, de jugements, mais aussi, hélas, d’obligations, de responsabilités, de promesses et pire que tout, d’habitudes.

Par chance, la question du sens donné à notre existence ne nous taraude pas chaque jour. Il y a des moments durant lesquels, poussés par les événements, par besoin de prendre du recul, nous nous interrogeons, imposant ainsi nos questions dans notre rapport au quotidien, toutes les pistes pouvant aider à vivre plus intensément. Il serait passionnant de changer les questions et de parler de l’humanité, de vivre  une vie dans laquelle la dignité de chacun  serait reconnue, la politique serait morale, la paix règnerait… Mais comment aider l’humanité à devenir meilleure si on ne commence pas en le devenant nous-mêmes ?… En fait, l’homme est prisonnier comme un bagnard, prisonnier de lui-même, il n’a jamais pu s’évader. C’est toujours ainsi qu’il a vu le monde, observé les êtres, dans une brume de mélancolie que nul rayon de joie n’est parvenu à percer !

En guise de conclusion  je vous propose une fable de Catherine Rambert, «Le Verrou»:

«En des temps lointains et des contrées tout aussi lointaines, un roi se mit en tête de marquer le printemps par un geste de renouveau. Il décida d'innover en s'attachant, pour la première fois, les services d'un Premier ministre.

Plusieurs émissaires furent dépêchés à travers le royaume afin de trouver des hommes empreints de sagesse et d'expérience, parmi lesquels il pourrait choisir le conseiller idéal.

Après plusieurs semaines de recherche, seuls trois concurrents restaient en lice.

Pour départager ces personnages pleins d'humanité et de modération, le roi décida de les soumettre à une ultime épreuve.

Il les fit enfermer dans une pièce de son château dont la porte avait été munie d'un verrou.

Le mécanisme de ce dernier était particulièrement sophistiqué: les plus grands savants du royaume en avaient imaginé la complexité.

Le roi informa les trois candidats que celui qui parviendrait à trouver les secrets du dispositif deviendrait son Premier ministre, à condition toutefois que la solution fût trouvée avant la fin du printemps. Il ne restait plus que deux mois. Il souhaita bonne chance aux trois concurrents et les laissa face à la résolution du problème.

La porte aussitôt refermée, deux des hommes se lancèrent dans de difficiles calculs de probabilité afin de tenter de découvrir les secrets du verrou.  Pendant qu'ils s'évertuaient à percer le mystère, le troisième s'installa sur une chaise, sans mot dire. Les mains posées sur ses genoux, il observait le manège des deux autres, sans tenter quoi que ce soit de ses mains pour percer la combinaison.

De longues journées s'écoulèrent. Les deux premiers s'affairaient et émettaient toutes sortes d'hypothèses, l'autre restait serein, toujours assis, conservant bien du recul face à la situation.   Il semblait habité d'une grande maîtrise de lui-même, d'une égalité d'âme, au point que cette tempérance en énervait d'avantage encore ses deux concurrents.   Puis, fort de sa paix intérieur, il se leva, se dirigea vers la porte, et sans hésiter tourna la poignée et l'ouvrit.    Elle n'était pas verrouillée!   Le roi accueillit le sage d'un large sourire et le nomma Premier ministre. Et depuis, en ce royaume, le printemps s'est installé à tout jamais.»

Souvent, nous nous croyons enfermés dans des prisons ou des systèmes auxquels nous nous efforçons de nous adapter tant bien que mal et dont nous ne voyons pas l'issue. Pourtant, la prison dans laquelle nous pensons être cloîtrés n'en est pas une. Sa porte n'a pas de verrou. Il ne tient qu'à nous d'actionner la poignée pour nous ouvrir à une existence meilleure.  Il suffit de le décider. Car nous sommes libres, et nous ne le savons pas. 

CM