« Je serais presque inquiet, que se passe t-il, que m’arrive t-il ? j’étais mieux avant, le bien être me serait-il intolérable quand depuis des d’années j’étais devenu habitué aux situations misérables. J’ai le sentiment qu’il est vraiment trop difficile de se retrouver brusquement sans autre souci que celui de se laisser vivre, c’est presque insupportable…

La misère, c’est une sorte de glissement incontournable, une aspiration, qui vous entraine impuissant dans une noyade marginale, de celle qui vous fait vivoter en marge d’une société indifférente à votre sort… Un trou, où les seules plaisirs sont de vrais poisons: alcool et toutes ses dérives, maladie, paresse, drogue, malnutrition. Pour y échapper, seul l’errance apporte une fragile ébauche passagère de solution. En fait, on s’enfonce  un peu plus dans une position sans lendemain. Alors, il arrive un moment où plus rien n’a réellement d’importance, vivre autrement semble inconcevable, la bascule vient de se faire, vous respirez là où vous êtes, à la recherche d’une petite pièce de monnaie. Mendicité qui se fait sans complexe à ces personnes venues d’un autre monde qui passe devant vous, sans un regard ou pire : affichent ostensiblement leur mépris. Heureusement, certaines d‘entres-elles, prisent de pitié, vous accorder leur obole providentielle, un os pour le chien.

« Le sentiment de fierté et le besoin de dignité qui dans une vie antérieure marquaient ma manière de vivre n’existent plus, je n’ai plus d’autres ambitions et motivations que celles d’offrir à mon corps épuisé ses litrons de « pinard ». Exercice parfois périlleux compte tenu de la concurrence, mais seule et unique préoccupation qui  m’enlève toutes illusions de liberté, nourrir mon alcoolisme est devenu une obsession permanente et ma raison de vivre. »

Quant il m’arrive de rencontrer ces étranges animaux que sont les humains, certains veulent me venir en aide et  souhaitent me « sortir de là », comme ils disent. Je réalise alors toujours et bien vite à leur contact, que leur marché propose, une insupportable conduite, celle de reprendre ma vie d’avant, celle qui m’a poussé à vivre assis, à regarder circuler les inconnus d’en bas. La loi de la nature est sans concession, je connais même des groupes de jeunes, filles et garçons qui arpentent souvent avec leurs chiens la « civilisation », jeunes victimes d’un système social pour eux aussi inadapté. »

Ainsi s’exprime en arrivant au domaine capitaine Danjou notre camarade « homme sans nom » que je surnomme d’une manière irrévérencieuse : « Paul-Frédéric ».

Une semaine après, affichant à son plus grand désintéressement un compte en banque représentant la totalité des sommes versées mensuellement depuis sa retraite, Paul-Frédéric est retourné dans la rue.

No comment !

CM