A mes enfants,

"jeudi 7 mai 2020, je repars du Centre de transfusion sanguine des armées vers 14h45. J'y suis réserviste.
Mon plan initial était de repartir fin de matinée, mais la Directrice m'a proposé d'aller déjeuner avec elle et deux autres cadres... la convivialité de la Directrice fait que beaucoup de choses peuvent se décider et se régler à table. Nous sommes en plein lancement de l'opération du don du sang du 14 juillet et elle me délègue énormément de choses dans ce qui est communication et relations partenaires, mais la tenir informée est plus qu'important. Rendre compte est une obligation pour un soldat... et elle n'aime pas découvrir par surprise ce qu'elle aurait dû savoir.
Je repasse au CTSA voir une affaire de congélateur à mettre à la réforme (1ère étape vers l'élimination), c'est une autre de mes missions, et prendre mes affaires. Je veux rentrer assez vite car l'hommage national aux deux légionnaires morts pour la France au Mali est diffusé à partir de 17h15 via Facebook.
Me voici donc sortant du parking souterrain, juste en face de là où tu te garais, "P" quand tu étais infirmier à Percy. Mon chemin dans l'hôpital passe près de la chapelle. Sur l'aire de stationnement devant ce lieu de prière, j'aperçois des voitures modèle "pompes funèbres" et quelques véhicules munis d'un gyrophare sur le toit ... Seules quelques personnes en costumes sombres sont visibles ; elles parlent et fument près des voitures.

 

 


Je réalise alors en roulant que le Légionnaire décédé à Percy est  peut être à la Chapelle... je regarde l'heure... j'ai le temps, les routes sont vides en ces jours de Covid. Je refais un tour complet dans l'hôpital, pour revenir au même endroit et mieux regarder... les portes de la chapelle sont ouvertes... pas de doute, toutes ces voitures ne sont pas là pour rien.
Je gare la voiture à proximité, et je me dit "j'y vais ! Je suis d'ici, badgé et en unif ; le tout est de marcher prestement et d'un air décidé". Je me lance, traverse l'aire de stationnement , dans l'ignorance complète des hommes en noir. Je salue furtivement un commandant que je n'avais pas vu de loin.  Tiens ! c'est lui que j'avais dépanné d'un masque le midi au self.... il ne pouvait pas entrer sans être protégé. Comme je suis toujours très courtois avec le petit personnel de la cantine, une solution est vite trouvée : une des employées me dégote un masque pour lui et même un deuxième qu'il demande pour une autre personne attendue.
A deux mètres des portes , un rapide signe de tête me paraît suffisant, et sans ralentir je presque-snobe ce commandant qui me devait sa pitance du midi et j'entre dans la chapelle.
Dans un coin, un gars des pompes funèbres travaille sur son ordi... il ne compte pas ! Je suis seul, seul avec le Brigadier-chef Dimitru Martynyouk du 1er REC, Mort pour la France.
Près de l'autel une table avec sa photo, son képi ses épaulettes et les deux fourragères du régiment, le Royal Etranger.  Le drapeau français drape son cercueil, mais le bleu a été curieusement replié  sur le blanc que l'on voit qu'un peu...
J'ai juste passé les portes, je suis au fond de la chapelle et j'y reste un bon moment. La chapelle d'un hôpital... que de larmes de douleur et parfois de joie ont dû couler ici.
Je suis toujours seul dans la chapelle ; je m'approche lentement pour me recueillir plus près. Je comprends le drapé particulier ; le haut du cercueil est resté ouvert. Dimitru Martynyouk est là, il repose dans sa tenue de légionnaire. La lumière du soleil arrive jusque dans la chapelle.
Ma prière va à la pauvre famille Ukrainienne de ce soldat, à la Légion, et comment ne pas penser avec une certaine angoisse à ceux qui vont partir bientôt, toi "P" et tes camarades du 3ème RPIMa.
Dans la densité de l'instant je pense à la famille des amicales Légion ; tous auraient voulu être là, tout particulièrement Vert & Rouge et son Président le Général Jean-Pierre Jacob. Après le décès de Papa, Vert & Rouge a accepté mon adhésion, tout comme l'amicale de l'Essonne. Je les représente.  Legio patria nostra... je l'ai appris tout petit, bien avant liberté-égalité-fraternité.  Je ne l'oublie pas.
Le Commandant vient de temps à autre quelques instants et repart. Je devine qu'il est bien certainement de la Cabat, la cellule d'aide aux blessés de l'armée de terre et à leurs familles. Cette équipe fait un sacré boulot, ils sont en première ligne lors des deuils et des accidents. 
Un aumônier militaire entre et vient tout près de moi. Il reste en silence, puis me dit que Dimitru Martynyouk était chrétien, orthodoxe et que l'autre légionnaire mort pour la France, le si jeune Kévin Clément sera bientôt placé à côté de son camarade pour une courte cérémonie. L’aumônier me propose de rester dans le fond de la chapelle, que je le peux au titre de la fraternité militaire.
Je reste encore quelques instant puis je mets mon calot et salue avec respect le Brigadier-chef  Dimitru Martynyouk. Humblement je représente tous ceux qui auraient voulu partager ces instants.
Je sors et je vais voir le commandant ; il me confirme que cette cérémonie sera strictement réservée aux familles en présence du Gouverneur militaire de Paris qui devrait arriver bientôt . Des militaires de la Cabat accompagneront les familles. Je préfère ne pas rester, même pas sur le parking. Je ne veux pas jouer le badaud, ce ne serait pas digne. Ces instants seront à eux.
C'est donc de Percy que ces deux garçons partiront pour l'hommage rendu dans un Paris totalement désert. Je suis maintenant connecté via le Facebook de l'armée de terre qui diffuse ; le cortège passe par le Pont Alexandre III .... vide, terriblement vide, puis arrive aux Invalides, et nous n'en verrons pas plus.

 


Par le petit dessin, j'ai voulu partager un peu plus avec vous ce moment privilégié, cet honneur immense, d'être présent près de cet homme venu d'Ukraine et désormais  fils de France ... et  tellement plus Français plus que beaucoup ! Qui donne autant pour la France et les Français que ces gars là ? Quelles familles payent un tel prix ? Que les valeurs de notre pays, la paix et la sécurité doivent être importantes pour mériter un tel tribut !
Je n'oublierai jamais ce moment à la chapelle de Percy en ce Jeudi 7 mai 2020, seul avec le Brigadier-chef Dimitru Martynyouk  le confiant à Notre Dame, portant dans la pensée et la prière sa famille de naissance, lui rendant hommage et pouvant le saluer.

Bertrand B