« J’obéis d’amitié » devise du général Frère.

Camerone, ce haut fait d’armes constitue l’événement fondamental, le plus profondément ancré, et sans doute le plus symbolique  de la geste légionnaire, glorifiant  à la fois le respect absolu de la parole donnée et l’adhésion sans limites à la volonté d’un chef.

Le légionnaire est ainsi fait que, comme le précisait de Villebois-Mareuil, l’autorité du chef digne de lui commander revêt à ses yeux quelque chose de mystérieux et de grandiose : il attend tout de cet être supérieur… et il procure, à celui qui l’a conquis, la puissance exaltée du commandement.

La puissance exaltée du commandement… elle trouve son acmé grâce à l’amour du chef et à l’obéissance, vertus cardinales des légionnaires.

 

Pourtant, lorsque l’on parle de commandement à la Légion étrangère, nous pensons rarement aux petits grades (bien lire petits grades et non petits gradés). Aussi bien dans la troupe que chez les sous-officiers. Dans  l’esprit collectif la notion de commandement  exercé par  ceux-là  n’est  considérée  que dans les fonctions de chef de section ou équivalentes,  dans lesquelles ils se trouvent alors au même plan que nos jeunes camarades officiers.  Et pourtant…  nonobstant les assertions   de quelques-uns, à Phu Tong Hoa c’est bien un caporal-chef qui a assuré  la nuit durant - guidé par les aboiements du chien du capitaine Cardinal tué - les tirs de mortier qui allaient défaire les Viets sur le mur d’enceinte en ruines. Et le « Camerone » du sergent Sanchez que tous connaissent et bien d’autres encore…

Mais c’est   surtout à l’officier que l’on attribue cette responsabilité, cet immense honneur entre tous : commander à des hommes, à des légionnaires  de surcroît, les souder, les mener au combat et le cas échéant mourir avec eux.

Car, nous le savons, tout au long de son histoire, la Légion a vu fleurir,  comme des épitaphes à la gloire de ses hommes, des phrases célèbres et terribles qui scellaient  sous leur grandiloquence marmoréenne le destin de ceux-là mêmes qu’elles glorifiaient :

« Donnez-moi un bataillon de la Légion pour que, le cas échéant, je puisse mourir dignement… »

« Vous êtes soldats pour mourir et je vous envoie  où l’on meurt… »

« Sur la terre imprégnée du sang des légionnaires, le soleil ne se couche jamais… »

Et combien d’autres tout aussi belles et aussi terribles…  Certes, les légionnaires sont ces hommes qui forment encore  au 21ème siècle ce paradoxe  qui voit la France, jadis championne de la conscription, de la nation armée, confier à des étrangers le sort de ses armes.  Mais peut-on tout leur commander ?

En 1941  après les accords de paix de Saint Jean d’Acre,  les hommes du  6ème régiment étranger d’infanterie, le régiment du Levant*,  presque 3 000  malgré de lourdes pertes, rassemblés dans une enceinte, doivent affronter une redoutable  alternative : rejoindre les rangs de la 13ème DBLE ou rester dans ceux de leur régiment. Les légionnaires choisissent d’abord, viennent ensuite les sous-officiers et enfin les officiers. Cette hiérarchie   est délibérée.  Près de 700 cadres et légionnaires optent pour la 13.  Les autres rejoignent l’Algérie. Un choix,  quoique biaisé, était proposé à ces étrangers!

Vers la  fin de la guerre d’Algérie, considérant leur honneur bafoué par des décisions politiques contestables, et entendant mener une révolte à la fois personnelle et collective, des chefs, convaincus à juste titre  d’être les dindons d’une douloureuse farce de l’Histoire qui semblait se répéter après l’Indochine - un autre abandon -  ont entrainé dans une aventure sans lendemain, dans un engagement politique qui ne les concernait pas, des étrangers placés par la République sous leurs ordres et qui avaient fait le serment, en donnant leur parole,  de servir la France avec honneur et fidélité ! Servir la France. Et elle seule.

Pour légitime que fut leur combat, il était illégal. Convaincus de leur juste et future victoire, ignorant les menaces qu’ils faisaient peser sur l’existence même de la Légion,  ces grands soldats  ont utilisé d’autres soldats qui les ont aveuglément suivis par amour du chef et par obéissance, par discipline et esprit de corps, dans une lutte qui  leur était étrangère. Quel choix fut proposé cette fois-ci ? Aucun, l’honneur seul commandait.

Grâce au style de commandement à la française fait de rigueur mais de souci de l’homme, de culte des traditions et d’exemplarité, qui a imaginé la fusion des nationalités, des classes, des croyances, en un creuset qui forge une patrie de substitution « Legio Patria Nostra », la Légion étrangère, vieille de près de deux siècles reste l’un des grands paradoxes qui subsiste, avec bonheur, en ce troisième millénaire au cœur de la nation française.  La France continue de confier, en grande partie, à ces volontaires étrangers le sort de ses armes. Ce n’est pas rien. 

Je reste néanmoins viscéralement convaincu,  qu’on ne peut pas  tout commander à ces hommes « qui obéissent d’amitié », par respect même pour  leur adhésion totale à la volonté d’un chef,  leur désintéressement, leur abnégation. Ce chef doit être celui qui  veille sur leur honneur et leur orgueil de servir avec fidélité -  comme ils s’y sont engagés -  la France, rien que la France.

AM