En feuilletant la liste des nombreux musées parisiens, je me suis arrêté sur celui du Moyen âge, le musée Cluny.

 Je sais être un peu excessif  dans l’expression de mon enthousiasme quand quelque chose me plait,   c’est donc avec une certaine appréhension et mesure que je me suis rendu à ce musée très peu connu des touristes qui grenouillent dans les bâtiments de notre capitale.

Tapisserie: "la dame à la Licorne"

Ce que je cherche dans mes visites dans Paris, c’est à découvrir toutes les facettes d’une ville magique, aux possibilités culturelles exceptionnelles qui offrent à ceux qui savent en profiter, un passe-temps remarquable. C’est aussi la recherche d’une émotion qui ne saurait être, obligatoirement, infaillible, tant s’en faut. Le plaisir ou l’indifférence que peut susciter la contemplation d’une œuvre d’art, c’est de culture qu’il s’agit et non de vie en direct  avec ses affects primaires (effroi, détestation, terreur, enthousiasme, jubilation, jouissance), réponse ou non au ressenti  élaboré, où l’esprit intervient avec nuances, mélanges d’impressions, émotions, mémorisation. C’est avant tout, le plaisir de l’œil avant même celui de l’esprit  avant qu’ils ne se rejoignent pour se confondre ensuite.

J’ai choisi  de suivre un guide afin de gagner du temps et de ne pas passer à côté de ce qui n’est pas immédiatement évident, visible. Cet homme de culture, connait parfaitement son sujet même si sa présentation est élaborée et imposée, il n’en reste pas moins vrai que le parcours est intéressant et bien organisé.

Curieusement il commence son discours par un hors sujet surprenant, en nous expliquant que de son point de vue: “chez les connaisseurs et amateurs d’art, il y a une sorte de sympathie, de chaleur dans l’approche qui ne doit rien à quelque parti-pris de clan ou bigoterie religieuse. Ce qui marque ce musée du Moyen âge, c’est que la religion occidentale a parfois peint pour faire peur, avec ses danses macabres et ses jugements derniers. Il est arrivé alors que les prédicateurs et les peintres se comportent en maîtres de la peur. C’est à la fin du moyen âge, l’ouverture d’une porte, où il était grand temps de se mettre à l’école des maîtres de l’admiration, de l’émerveillement”. Curieux discours d’entrée ? mais bon…

Je lui dis que son discours m’interpelle par le fait qu’il n’avantage pas ce qui nous reste à voir et que ce propos serait sûrement mieux placé à la fin de la visite. Puisque nous sommes en présence d’une réflexion orientée, je suggère que l’enseignement doit tendre à une certaine “neutralité objective” par laquelle il est indispensable de mettre entre parenthèses ses émotions afin de faire voir une œuvre, une époque, avec des gens objectifs.

La reine de Saba

L’homme accepte ma remarque et tout au long du parcours, je ressens une   gêne, tant j’ai l’impression qu’il ne s’adresse plus qu’à moi…

Pendant la visite, je trouve de nombreuses œuvres remarquables, de celles qui bousculent mon “émotion calme”, qui provient de la curiosité qui intrigue, relie, agace, excite, lasse. La lassitude et l’ennui sont aussi des émotions. Des étincelles jaillissent. Ici, toutes les œuvres sont originales; j’ai en mémoire une visite au musée Gauguin à Tahiti où il n’y a  pas la moindre  œuvre originale du peintre, mais des photocopies aux couleurs passées, des diapositives, des copies, que de pauvres doubles. On en prend conscience, au sortir d’une exposition, au moment d’acheter des cartes-postales des œuvres dont on voudrait garder le souvenir. Les originaux sont encore gravés dans la mémoire, dans leur fraîcheur, avec l’émotion conjointe. Patatras! Déception, ce ne sont pas du tout les mêmes couleurs, et les dimensions de l’œuvre  ne sont jamais au rendez-vous.

Nous sommes, au fur et à mesure que se déroule la visite, bouleversés de nous retrouver au début de notre histoire de l’art, le moyen âge est une longue période de gestation, l’émotion est transie d’histoire, marquée par la période dans laquelle je vis, les œuvres accèdent au statut d’une quasi éternité. Les expressions de certains visages sculptés sont dérangeantes, trop réalistes, elles touchent en coup de cœur ma sensibilité. Je réfléchis sans contrôle,  “Que savons-nous des sentiments qui ont accompagné la naissance d’une œuvre ? Je me sens incapable de ressentir l’effroi de Luther devant la représentation du Christ de la parousie torse nu, même le Guernica de Picasso ne me touche pas au premier degré. Par contre, les désastres des guerres m’émeuvent beaucoup plus et je reconnais ressentir un malaise devant certains tableaux comme devant certaines crucifixions.

A l’issue de la visite, au moment où nous nous retrouvons dans une cour devant l’incontournable boutique, je rassemble mes souvenirs immédiats de ce que je viens de voir, c’est un « savoir-faire » délicat, imposé, qui peut se perfectionner. Je devrais m’entraîner à dire, non pas ce que je crois avoir vu, sans même avoir attentivement regardé, mais ce que je vois effectivement.

Le constat est sans appel, je suis un puits d’ignorance.

Des membres du groupe interviennent expliquant qu’ils aiment ce genre de musée par opposition à ceux de l’art contemporain qu’ils ont en horreur, alors qu’ils n’ont pas fait le moindre travail consistant à s’en informer un tant soit peu. Je n’ose intervenir ; il me reste la frustration d’avoir gardé sur le bout de langue l’envie de leur dire: “Quand Jawlenski a fait sa série de visages, il souffrait d’arthrose, cela rend ses tableaux d’autant plus émouvants. Quelques années plus tard, ses œuvres furent rangées par les nazis dans la catégorie “art dégénéré”.

Une belle visite s’achève, j’achète des cartes postales.

CM