J’arpente très souvent, passionné, les librairies qui vendent des livres anciens et je recherche actuellement des ouvrages concernant cette guerre dite “des paysans” à propos de laquelle on écrira que la chevaleresque Belgique, la stoïque Serbie, la puissante Angleterre, l’ardente Italie, la grande et noble Amérique et la sublime France ont bien mérité de l’humanité.

 

Je ne reviens pas sur les causes et le débat de cette guerre, mais la chronologie et la lecture du déroulement des événements, de la bataille de Charleroi, de celle de la Marne, de la course à la mer, de la guerre de position, nous donnent des idées précises des moments critiques traversés.

Dans un de ces livres, je trouve un  éloge funèbre, feuilles de papiers  manuscrits écrits par un maire sur des imprimés de  “recensement pour 1914 des : chevaux, juments, mulets et mules“ un trop plein d’imprimés servant probablement de feuilles de brouillon pour le discours qui suit.

“Au nom des anciens soldats de la Grande Guerre, j’apporte le salut de leurs camarades de combat au soldat Pierre Eugène Planchette, victime du devoir, héros tombé glorieusement en défendant notre cher pays que des ennemis séculaires, haineux, voulaient nous ravir.

Ce grand martyr d’une cause si grande et si juste a donné sa vie pour repousser l’envahisseur, par son sacrifice héroïque, vous tous qui religieusement rendez un dernier hommage au cher petit soldat, avez été sauvés de la honte d’une nouvelle défaite.

Devant la dépouille de ce brave nous nous inclinons humblement et les mots sublimes prononcés par l’un de mes camarades, le lieutenant Péricard, “Debout les morts”* viennent à mes lèvres comme pour appeler à nous toutes les générations passées et qui reposent ici, pour les inviter à s’incliner avec nous devant le courage, l’abnégation, l’amour de la patrie personnifiés par notre illustre défunt.

Planchette Pierre Eugène est né le 15 décembre 1886 à Combret; vous savez mieux que moi ses précieuses qualités de cœur. Son amour pour le travail, son éducation que lui avaient donnée ses estimables et respectables parents.

La mobilisation le surprit en 1914 à l’âge de 28 ans. A cet âge où, plein de santé, de force, il devait prétendre à créer un nouveau foyer. Il part le cœur plein d’espoir dans un régiment d’élite au 1er bataillon de chasseurs à pied, sa conduite fut  exemplaire, il devait, comme tant d’autres, être victime de son courage et de son dévouement.

En novembre 1915, tout près de Souchez, lieu célèbre par les combats terribles qui s’y sont déroulés, Planchette était grièvement blessé. Transporté à Amiens, malgré le dévouement du personnel de l’hôpital il rendit le dernier soupir le 11 novembre.

Il fut cité à l’ordre du jour et a reçu l’insigne des braves, la médaille militaire avec la citation suivante “Planchette Pierre Eugène mort pour la France…”.

Dormez en paix cher ami, vous avez écrit pour votre famille, pour nous tous, le plus beau livre d’éducation morale qui puisse exister, vous resterez un exemple, nous ne vous oublierons jamais et nous les vivants qui avons souffert les horreurs de la guerre, nous vous jurons respect, reconnaissance.

Je m’incline devant votre père, votre mère, votre famille éplorés et je leur dis: “Séchez un instant vos larmes, votre fils est un héros, votre fils restera la personnification du sublime sacrifice.

Votre fils a la récompense suprême dans l’au-delà car il a fait son devoir et tout son devoir !”

Témoignage émouvant d’un maire ; brouillon écrit pour un éloge funèbre qui est resté dans un fascicule qui parle de la Grande Guerre et qui risquait de sombrer dans l’oubli. Voilà aussi à quoi servent les amicales; elles permettent - avec parfois une certaine maladresse -  de ne pas oublier ceux qui ont donné leur vie pour que nous restions libre. L’armistice a mis l’Allemagne dans l’impossibilité de reprendre la lutte, il lui enlève la majeure partie de son matériel de guerre, il nous rend l’Alsace-Lorraine, délivre la totalité de la Belgique, permet d’occuper la rive gauche du Rhin, avec des têtes de pont sur la rive droite à Cologne, Coblentz, Mayence.

Comme si cette écrasante défaite ne suffisait pas au châtiment des coupables, la révolution a éclaté en Allemagne. Le Kaiser a été obligé d’abdiquer avec toute sa dynastie. La République a été proclamée à Berlin, à Munich et dans presque tous les autres Etats. Les Hohenzollern ont entraîné les Habsbourg dans leur chute: Charles 1er a, lui aussi, dû abdiquer.

Malgré tout, quelque  vingt et un ans plus tard, le temps d’une génération, la guerre se “rejouait” plus meurtrière que jamais…

CM

 

 

*L’adjudant Péricard est chef de section sur le front de Meuse. En avril 1915 les Français tentent de reprendre le saillant de Saint Mihiel (Meuse). Pendant un court repos avant de s’installer dans une tranchée reprise aux Allemands, les troupes d’assaut subissent une violente contre-attaque. L’adjudant galvanise les hommes en leur lançant « Debout les morts ». C’est l’écrivain Maurice Barrès qui a rapporté cet épisode.