Madame Zaza of Marseille :

Dans l’attente du passage obligatoire dans les différents bureaux où était établie, renseignée petit à petit, ma fiche d’identité avant un départ pour l’instruction, le temps “mort” était utilisé aux petits travaux d’intérêt général réalisés au profit de la communauté légionnaire dans les différents endroits où elle était implantée.

 

Un jour qui ressemblait aux autres jours, je suis « sélectionné » pour les « servitudes » au centre de repos des permissionnaires de la Malmousque, éloigné du Bas-fort saint Nicolas de quelques centaines de mètres, peut-être deux kilomètres situé sur le bord de mer de la corniche marseillaise.

En arrivant, peu avant notre destination, une boutique étrange aux vitres fumées attire mon attention. En apercevant son nom: “Zaza Of Marseille”,  mon imagination met en branle un incontrôlable scénario qu’accentuait la vue – à la sortie de l’établissement - de très élégantes et jolies jeunes femmes, habillées bon chic bon genre, qui allumaient en moi spontanément un incendie très volontaire qui m’absorbait, au point de faire disparaitre le filtre de l’éducation que j’avais reçue de mes parents…

“Zaza of Marseille”, voilà bien un établissement auquel il me fallait rendre visite lors d’une de mes très lointaines permissions… je me donnais déjà l’obligation d’un immanquable rendez-vous.

Je me retrouvais à nouveau devant l’éternel conflit entre le rêve et la réalité ; j’étais replongé dans cette recherche de liberté qui s’opposait aux règles d’une société, moule incontournable du citoyen modèle, encagé d’obligations pour survivre dans un monde sans concessions.

Je savais par expérience et aussi par instinct que j’aimais dans le rêve, les sensations, les observations irraisonnées, tout le contraire de cette réalité qui m’imposait de rester en permanence éveillé.

Dans ma vie, il m’était souvent arrivé de me demander si je rêvais sachant pourtant que quand on ne rêve pas, on le sait dès lors que l’on se pose la question…

Quelques années plus tard, alors que “Zaza of Marseille” était sortie de ma mémoire, le hasard a voulu que mes pas se retrouvent à battre le pavé du côté de cette mystérieuse enseigne. Malheureusement le temps m’était compté et,  cette fois encore, je ne pouvais satisfaire l’obligation de visite que je m’étais jadis imposée  et mon imagination envahissait ma tête d’un sentiment de frustration bien réelle.

Parfois, il m’arrivait de penser à cette enseigne qui attisait chez moi une telle curiosité, les années passèrent…

Quelque quinze ans plus tard, lors d’un nouveau passage à la Malmousque, au moment de Noël, je notais dans mon emploi du temps la visite à la boutique de “Zaza”. Un cadeau du père Noël. Une appréhension injustifiée m’envahissait, je me disais bien qu’après tant d’années, il serait, quand même navrant qu’un tel rêve datant de si longtemps finisse d’une manière banale. Si tel était le cas, ce serait à désespérer ! Une sorte de mal être et une grande inquiétude m’envahissaient. Courageusement (!) je me dirigeais vers l’objet de mes interrogations .

Arrivé devant l’établissement, je décide de me jeter dans la gueule du loup. En entrant, ma surprise fut à la hauteur de ma déception, j’étais dans une boutique de prêt à porter féminin, au beau milieu d’un groupe de femmes qui n’appréciait absolument pas, mon intrusion. Rapidement, sans escorte, je me retrouvais dehors, abasourdi par ce qui était pour moi l’implacable  destruction d’un rêve vieux de plusieurs années.

Instinctivement je savais que je détruisais quelque chose en franchissant le seuil de ce rêve, je savais, par expérience, qu’il n’est jamais bon de revenir là où le temps imposait toujours une sorte de naufrage et qu’un retour en arrière ne peut que nous rappeler le goût amer de notre propre vieillissement. Le temps perdu ne se rattrape jamais.

Toujours et encore aujourd’hui, je ne sais profiter des leçons de la vie, il me faut toujours et encore rêver, comment serait-il possible de vivre sans rêves?

CM