“ Que peut-on connaître du monde ? De notre naissance à notre mort, quelle quantité d’espace notre regard peut-il espérer balayer ? Combien de centimètres carrés de la planète Terre nos semelles auront-elles touchés ?” Perec, “Espèces d’espaces”.

 

J’écoute toujours avec beaucoup d’attention, d’intérêt, de curiosité et finalement d’envie, certains de mes camarades qui ont fait une partie ou la totalité des chemins du pélerinage de Saint-Jacques de Compostelle.

Cette marche célèbre rend, parait-il, ceux qui l’ont pratiqué changés, ils ont réussi à sortir de leur humanité assise et immobile, celle qui fait notre quotidien. Délaisser sa voiture, le bureau, l’atelier et… la télévision est une épreuve de force. Notre condition humaine est liée au corporel, aujourd’hui, nous ne courons plus que sur des tapis de jogging en écoutant la même musique que celle dans la voiture.

Les pélerins se croisent, se dépassent et sont d’emblée dans une reconnaissance essentielle les uns des autres, ils se saluent comme les motards, échangent un sourire, une remarque, des informations sur le sentier ou leur destination, ils répondent aux renseignements demandés par ceux qui se sont égarés. La marche est l’univers de la réciprocité. L’auberge, le café prolongent la rencontre esquissée quelques heures plus tôt. Emprunter les chemins de randonnées, c’est laisser derrière soi un monde de compétition.

Légionnaire, la marche était mon lot courant, parcourir les sentiers ou les routes, arpenter les forêts ou les montagnes, gravir les collines pour redescendre. C’est un anachronisme dans un monde qui privilégie la vitesse, la marche est un acte de résistance qui favorise la lenteur, le silence, la curiosité, l’amitié et l’inutile.

La marche est souvent associée à la liberté, à la santé, à la tranquillité, mais elle peut se combiner de pluie, tempête, sueur, fatigue, ampoules et cors aux pieds, entorse, chute.

Le marcheur cherche sur les sentiers ce qui lui manque, il espère à chaque instant trouver ce qui alimente sa quête. Nous avons toujours le sentiment qu’au bout du chemin, quelque chose nous attend et que, celle-ci, n’était destinée qu’à nous. Mais dans le regard du pèlerin arrivé, brillent deux lueurs : celle de la joie d’être arrivé, d’avoir accompli une forme d’exploit et de ressentir une grande paix intérieure et puis il y a l’autre… et demain ...

Aujourd’hui dans mon ailleurs de retraité, je deviens le marcheur solitaire, celui qui marche sur le chemin à la recherche de l’insolite, du beau,  je fais partager mes découvertes à mes enfants en écrivant sur un cahier de brouillons au coin d’une rue, attablé dans un café, prolongeant ainsi mon escapade et la magie de mes découvertes. Voyager pour marcher, la marche fait partie de notre vie, on a tellement tendance à l’oublier…

CM