Le schisme comme hypothèse de travail ?

Ce que je tiens de mes illustres anciens, ces vieux légionnaires discrets et modestes eu égard à leur vécu militaire, c’est le besoin qu’ils ressentent de ce qu’ils appellent “la priorité accordée à la Fraternité ». Cette nécessité intime et vitale de donner un sens à ce qu’ils ont vécu et à ce que l’on vit. Surtout lorsque  nous sommes confrontés et c’est, dans notre monde contemporain, de plus en plus le cas, à des situations  absurdes et difficile à accepter.

Bien entendu que l’on peut continuer d’exister en banalisant ces situations. Ces illustres devanciers expliquent, à qui sait et veut bien entendre, qu’on ne peut voir mourir et risquer soi-même sa vie, en se disant que cela n’a aucun sens. De leur expérience, il faut que   quelque chose de positif en sorte.

Ainsi, vivre pleinement, c’est donner un sens à ce qu’on vit !

L’étonnant dans ce point de vue  c’est que  nous, légionnaires,   cherchons toujours et malgré toutes les vicissitudes, dans la valorisation de notre fraternité le sens profond du message laissé par nos ainés.

Nulle hypocrisie, nul doute, le légionnaire se bat bien pour la France, mais aucune idée ne tient longtemps devant l’expérience de la guerre. Tous les témoignages s’accordent à dire que le légionnaire ne fait que son métier, honnêtement avec fidélité et conscience professionnelle. Ces soldats de métier tiennent, parce qu’ils savent ce qu’ils doivent à eux-mêmes, dans une sorte d’imbrication qui les rend solidaires   de camarades proches mais aussi de ceux qui, à travers les époques ont un passé commun, semblable au leur. Ainsi, on est aussi loin du militaire excessivement enthousiaste que du mauvais soldat.

Cet étranger au service de la France, qui a parfois changé sa maison contre un gourbi, sa famille contre des camarades,   a fait le choix  de tailler sa vie dans la simplicité, dans la rudesse d’une vie sobre, une vie de servitude et de rigueur, au service d’une grandeur qui le dépasse ; il   gradue ses sentiments à l’aune des événements journaliers et retrouve son équilibre dans le déséquilibre même qui est lié aux problèmes et situations auxquels il doit se frotter, aussi bien à la caserne qu’en opération.

Ainsi vécue, l’expérience laisse des souvenirs  simples, mais pas simplistes,  efficacement enfouis au  fond  des mémoires individuelles, mais prêts à bondir à la moindre alerte.

L’amour de la vie, la fierté de n’avoir pas plié dans les épreuves, le sentiment de ne pas avoir lâché ses camarades et d’avoir pu compter sur eux,  confortent en lui l’image du soldat,   du légionnaire   qui fait la guerre comme un simple métier,  au sens noble, comme un sacerdoce, désintéressé. Cette image est moins noire que ne la présentent certains pacifistes. Il lui suffit d’être vraie.

La fraternité et la solidarité, la fierté d’appartenir à une communauté de bien, trouvent leur écho au sein de nos amicales qui doivent permettre, voire assurer un mélange social générationnel et  affirmer dans le lien armée-nation – si distendu parfois - la fierté d’avoir servi, d’être ce que nous sommes.

Que celles-ci soient groupées en fédération est un besoin primordial qui répond à la nécessaire cohérence d’un tel ensemble qui est, par construction, éparpillé sur le Globe. L’idée, puis l’union de nos amicales en une Fédération ne sont pas récentes. C’est  à l’époque de sa retraite active  que le général Rollet a souhaité ardemment celle-ci, dans une France en pleine crise économique depuis 1929. Au soir de son existence le “Premier légionnaire de France” a eu  le souci de réunir les anciens légionnaires pour leur permettre d’exister aux yeux des Français, et pour avoir droit de cité, une voix dans le vote des orientations du destin de leur pays d’adoption…

Une double action, administrative et législative, s’imposait pour remédier  à une situation inadmissible. Seul le poids d’une fédération pouvait faire pencher la balance en faveur de la justice due aux anciens légionnaires.

En effet, aux difficultés matérielles rencontrées par les nouveaux anciens légionnaires dont  une centaine débarquaient, rendus à la vie civile, tous les mois sur le port de Marseille,  s’ajoutaient des difficultés morales. Le nombre important de rebuffades qu’essuyaient les anciens, témoignaient de l’indifférence et de l’ingratitude de la France, bien difficiles à supporter, surtout quand le prix à payer se trouvait  alourdi par une blessure de guerre,  une amputation… 

Beaucoup de difficultés et d’obstacles se présentaient à eux sur un chemin semé d’embûches qu’ils comprenaient mal, et en vertu de quoi, un sentiment d’injustice se faisait de plus en plus jour, qui alimentait le mécontentement de ces serviteurs de la France. 

Le chômage se révélait être la difficulté majeure rencontrée par eux qui ignoraient tout des formalités à accomplir.  Avoir risqué leur vie pour un pays qui semblait les rejeter et se retrouver chômeur avant même d’avoir commencé à travailler, pire, se retrouver sans papiers même, ajoutait au mécontentement et à l’incompréhension.

Seule  la force créée par l’union   a permis une amélioration considérable de l’état de ces anciens. Qu’en est-il de nos jours ?

La F.S.A.L.E., héritière de l’union des mouvements à caractère social et familial des années 30,   poursuit  son œuvre fédératrice au profit des anciens légionnaires.   Pour que son action puisse être efficace il faut, et c’est une condition sine qua non, une adhésion totale, fidèle, quasi inconditionnelle  de toutes les amicales et des dirigeants de celles-ci.

Imaginons  qu’un manque de fidélité – vertu cardinale à la Légion, s’il en est, inscrite sur ses drapeaux – viendrait à se faire jour chez certains dirigeants d’amicale qui ne comprendraient pas l’intérêt d’être groupés, fédérés, et qui feraient passer  les intérêts particuliers de ces hypothétiques amicales – puisque nous exposons des hypothèses de réflexion  - avant toute autre considération, pour, en langage légionnaire non soutenu : « se faire mousser ». Cet esprit “chef de bande” si peu  prisé dans nos rangs, ne serait absolument pas acceptable. Un schisme ?  Mais nous ne sommes pas Pape et Avignon a déjà donné. Une « guerre de sécession » sous la grenade à sept flammes ? Qui pourrait seulement l’imaginer ? Non, nous refusons de l’imaginer même comme hypothèse de travail. La Fédération, cette force qui est la seule représentante officielle de l’ensemble des anciens légionnaires, anime nos vraies luttes. Ainsi celle de faire Français cet étranger “non par le sang reçu, mais par le sang versé”. Les actions à entreprendre sont nombreuses et continuelles ;   certaines verront le jour dans les semaines à venir. Restons fidèles au legs de nos anciens. Continuons de conjuguer nos forces, nos efforts et nos volontés tendus vers  des succès communs et reconnus de tous. Ensemble poussons notre rocher de Sisyphe dans un effort toujours renouvelé. Ne nous trompons pas de combat car rien ne justifierait, chez nous tous, éduqués dans la fidélité à l’esprit de “Camerone”, un schisme ou l’isolement d’une amicale légionnaire.

« … pour faire un vrai légionnaire, il ne suffit pas de boire un coup… »

 

CM