Pour la gloire du fanion

La longue marche du major Roos:

Le major Horst Roos est un des maréchaux de la Légion étrangère. Engagé en 1951, il a quitté le service actif en 1991 en étant le sous-officier le plus décoré de l’armée française. Quatre décennies sous les armes. Il a participé à la guerre d’Indochine et à la guerre d’Algérie en tant que légionnaire parachutiste et sous-officier. Ses souvenirs sont ceux d’un combattant, des rizières aux djebels. Il a connu le stress du saut opérationnel à Nghia-Lo avec le 2e BEP, l’adrénaline des batailles de la rivière Noire et de Na-San. En Algérie, avec le 2e REP, ce furent les poursuites sans fin des fellaghas dans les djebels, la bataille des Frontières, le plan Challe et la dislocation de l’ALN, le putsch et l’amertume de la défaite. De toutes ces expériences, il se fit une philosophie qui le guida au sommet des honneurs du corps des sous-officiers en devenant président des sous-officiers de la Légion étrangère. Ce sont ces souvenirs du jeune ouvriers dans l’Allemagne dévastée jusqu’à l’établissement de l’ordre nouveau du XXIe siècle qu’a recueillis Pierre Dufour et qu’il nous restitue aujourd’hui.

 "Le major (er) Horst Roos de la Légion étrangère, quarante ans de services, sous-officier le plus décoré de l’armée française lorsqu’il fait valoir ses droits à retraite – commandeur de la Légion d’honneur, médaille militaire, commandeur de l’ordre national du Mérite, croix de guerre des TOE, croix de la valeur militaire, détenteur de plusieurs décorations, sept titres de guerre, deux fois blessés témoignant de ses qualités humains et militaires au service d’une carrière exceptionnelle – nous invite à le rejoindre sur le chemin de quatre décennies qui ont profondément marqué la France.  

1951, date de son engagement à la Légion étrangère – 1991, année où il quitte le service actif. Entre les deux, quarante années durant lesquelles, sans interruption, Horst Roos sert les armes de la France avec honneur et fidélité. Il fut à la fois un acteur et un témoin des événements qui, depuis la Deuxième Guerre mondiale jusqu’au seuil du XXIe siècle, façonnèrent d’une manière irréversible la France d’aujourd’hui. La perte inéluctable de ses colonies – tout comme la Grande-Bretagne – lui faisant perdre son statut de puissance mondiale pour un destin plus modeste au sein d’une Union européenne en devenir dominée par l’Allemagne renaissante.

Aujourd’hui, le major (er) Roos se penche sur ces années où les peines se confondent avec les joies, où l’amitié par le sang versé est indéfectible, où les chefs paient d’exemple et sont des modèles pour leurs hommes. Le recul du temps lui permet de commenter les événements auxquels il a été mêlé. Horst Roos est né en 1932 à Mannheim. Sa vie et sa carrière sont intéressantes à plus d’un titre dans cette seconde partie d’un XXe siècle qui voit l’écroulement des empires coloniaux et l’émergence d’un monde bipolaire. Enfant de la guerre, il a connu l’agonie du IIIe Reich dont il nous livre ses souvenirs dans une relation sans fard. Humble et précis dans son récit, loin des matamores de pacotille qui invoquent Verdun, Stalingrad et Dien-Bien-Phu réunis au moindre coup de feu, le major Roos évoque son approche de la Légion, son engagement et son instruction à Sétif en tant que volontaire TAP. Il ne le sait pas encore, mais c’est le début d’une destinée hors du commun qui le verra côtoyer des hommes d’exception tant parmi ses chefs que ses camarades. Horst Roos découvre rapidement la rude vie du légionnaire de cette époque. Une instruction menée au pas de charge… « On la complète plus tard dans les rizières ; l’élimination naturelle des premières opérations se charge de la valider » précise-t-il. L’année 1950 a été rude et après le désastre de la RC 4 en octobre, le général de Lattre de Tassigny, nouveau commandant en chef a besoin de renforts de manière urgente. Ces souvenirs qui marquent la rupture avec une adolescence que bien peu de jeunes ne peuvent imaginer aujourd’hui sont extrêmement précis. Tout comme ceux de son voyage vers l’Extrême-Orient sur le Wisconsin.

A Saïgon, le jeune Roos découvre, autant qu’il le peut, un univers exotique qu’il appréciera durant ses deux séjours en Indochine, mais toujours avec la modération qui le caractérise 

Affecté au 2e BEP, il nous fait vivre ses premières opérations de légionnaire dans les rizières. Le récit est rarement à la première personne du singulier. Il parle de son groupe, de sa section, à la rigueur de sa compagnie, mais ne s’immisce pas dans de grandes considérations tactiques qu’il laisse à ses officiers. Horst Roos s’est rapidement intégré dans le milieu légionnaire, mais, s’il fraternise avec ses camarades, il est plutôt d’un caractère renfermé et souvent, lors des quartiers libres, préfère sortir tout seul à la découverte du pays et de la population. Avec lui, nous plongeons dans l’existence quotidienne du légionnaire en Indochine et du sous-officier en Algérie. Nous découvrons une autre manière de raconter l’histoire, celle des sans grades perpétuellement au contact de l’ennemi, les pieds dans l’eau des rizières ou arpentant des djebels pelés. Durant son séjour, le légionnaire Roos est de toutes opérations de son bataillon. Il participe au dégagement de Nghia-Lo, à la bataille de la rivière Noire et au repli d’Hoa-Binh ; on le retrouve à Phu-Ly et dans le delta tonkinois où il assiste à la mort du commandant Raffalli, puis c’est la bataille de Na-San et la défaite de Giap. Deux fois blessé, deux fois cité, le légionnaire de 1re classe Roos est rapatrié par fin de séjour au printemps 1953. Cette première expérience de la guerre a fait de lui un combattant confirmé avant que la guerre d’Algérie n’en fasse un chef respecté par ses supérieurs et admiré par ses hommes. Le temps d’un congé de fin de campagne bien mérité, puis d’un peloton d’élève gradé qui lui permet d’obtenir le grade de caporal et le voilà qui repart en Indochine avec le 3e BEP. Les 1er et 2e BEP ayant sombré dans la tempête de feu de Dien-Bien-Phu, le 3e BEP relève le fanion et devient à son tour 2e BEP pour le plus grand plaisir du caporal Roos.

A l’issue d’un séjour sans grand relief, le bataillon revient en Algérie en 1955. Une Algérie pour laquelle Roos n’a aucune attirance et qu’il trouve « sale comparé à l’Indochine ». Pour beaucoup de vétérans, cette insurrection algérienne qui a débuté lors de la Toussaint sanglante de 1954 présente des similitudes avec la guerre d’Indochine. Se sentant peu concernés par le pays et la population – arabe ou européenne – Roos et ses camarades font leur métier, consciencieusement, efficacement selon les critères de la Légion étrangère, « mais le fellouze n’est pas le viet ! » a coutume de dire le sergent Roos nommé au mérite. La transition entre l’Indochine et l’Algérie est une période difficile pour la Légion étrangère. Des dissolutions d’unités, des restructurations, de nouvelles implantations pour les unités revenant d’Indochine et bientôt pour celles que l’indépendance du Maroc et de la Tunisie, obligent à quitter leurs garnisons traditionnelles pour se replier en Algérie, interviennent entre 1955 et 1956. Le recrutement de la Légion subit également une profonde mutation. Beaucoup d’anciens, vétérans de la Deuxième Guerre mondiale et d’Indochine, qui ne se reconnaissant plus dans cette évolution, quittent le service actif pour laisser place à de jeunes recrues où l’élément germanique continue à dominer, suivi de près par les Espagnols et les Italiens qui apportent un peu plus de souplesse à l’institution. C’est à cette époque que les BEP deviennent des régiments étrangers de parachutistes aux structures et effectifs plus étoffés. Le 1er REP est affecté à la 10e division parachutiste, le 2e REP à la 25e DP. Parallèlement, à Sidi-Bel-Abbès, la maison mère s’efforce de réadapter les « Asiates » que l’éloignement, l’isolement, les circonstances des opérations ou la captivité ont conduits à un certain relâchement et à une discipline plus souple au sein des unités comme le confirme le major Roos.

C’est ainsi qu’en Algérie, beaucoup de légionnaires découvrent la rigueur de la discipline dans la tenue, les rapports hiérarchiques et le respect des traditions. « Nous appréhendions de nous rendre à Sidi-Bel-Abbès où le moindre faux-pas pouvait avoir des conséquences disciplinaires, même pour un sous-officier », avoue le major Roos. À plusieurs reprises, le commandement de la Légion étrangère est par exemple, obligé de rappeler fermement que la coiffure officielle des légionnaires est le képi blanc, le béret vert étant réservé aux activités opérationnelles. À la tête de sa section, le sergent, puis sergent-chef Roos participe à toutes les opérations majeures de son régiment, principalement dans le Constantinois. À partir de 1956 et du congrès de la Soummam, le FLN se structure et son bras armé l’ALN, s’appuyant sur le Maroc et la Tunisie, durcit ses opérations à partir de ses bastions de Kabylie et des Aurès. Pour répondre à cette recrudescence des opérations, l’armée française jette les bases de l’aéromobilité en créant le GH 2 qui essaime ses détachements d’intervention héliportés sur tous les théâtres d’opérations. Les « bananes » remplacent les parachutes dans la ronde des djebels. « C’est une période d’intense activité, se souvient le major Roos. Nous étions toujours sur le terrain : bouclage par les unités de secteur, ratissage, héliportage sur les zones d’engagement, puis l’accrochage, violent et sans quartiers. On droppait le djebel à longueur de temps. Les bilans devenaient à chaque fois plus importants. Cela a duré jusqu’à la bataille des frontières et la mise en œuvre du plan Challe ». Entre 1957 et 1960, c’est la vie rêvée du légionnaire parachutiste. De l’action et peu de contrainte sur le terrain. Mais déjà se font sentir les premiers craquements de l’Algérie française.

Revenu au pouvoir en 1958, le général de Gaulle a rapidement compris l’inéluctabilité de l’indépendance algérienne. Au grand désespoir de la population européenne, il enclenche le processus qui doit mener l’Algérie à la rupture avec la France. Le sergent-chef Roos, ses camarades et ses légionnaires ne se sentent pas trop concernés par le drame algérien. Beaucoup d’entre eux sont étrangers et exécutent simplement les ordres de leurs officiers, que ce soit en opérations ou lors du putsch d’avril 1961. Pour eux, le départ du régiment pour Alger est un ordre comme les autres, le 2e REP étant moins politisé que le 1er REP. Après l’échec du putsch et la déchirure algérienne, vient ensuite une longue de période de pénitence et une traversée du désert qui court de 1962 à 1967 faite de suspicion et d’une étroite surveillance du régiment qui a échappé de peu à la dissolution. Mais à Bou-Sfer, dans l’enclave de Mers-El-Kébir, sous le commandement des lieutenants-colonels Chenel, puis Caillaud, le 2e REP jette les bases de sa rédemption. Nommé adjudant, après vingt ans de présence dans les unités TAP, Horst Roos entame une nouvelle carrière au sein de la Légion. Sa prestance, son expérience et ses qualités humaines en font un excellent recruteur.

L’adjudant, puis adjudant-chef Roos s’adapte à cette Légion du temps de paix. 1er RE, 13e DBLE, 5e RMP, l’adjudant-chef Roos s’acquitte des différentes responsabilités qui lui sont confiées avec la même efficacité qu’il a démontrée au combat. Nommé major en 1979, Horst Roos devient le premier président des sous-officiers de la Légion étrangère en 1982. Il y fera merveille pendant une décennie. Interface entre le commandement et le corps des sous-officiers, il est pour les jeunes sous-officiers un guide respecté à l’autorité indiscutable, un « monument » dont toute la Légion est fière et un conseiller écouté du général COMLE. À plus d’un titre, l’histoire du major Roos se confond durant les cinquante dernières années du XXe siècle avec celle de la Légion et de la France."

Pierre Dufour