Quelques textes intéressants seront présentés en prélude à la commémoration de la signature de l’armistice de 1918.

Une manière, en cette période de commémoration du centenaire de se recueillir.

Pour commencer: "les hommes de bonne volonté" de Jules Romains:

Verdun ! 

 

  Sous  un  déluge  de  mitraille, véritable  enfer

Les Héroïques Défenseurs de Verdun

Feront preuve de longs mois durant

D'un courage et d'une ténacité

Sans exemple !

 

« Chez tous les hommes du front qui ne sont pas encore des brutes – et c’est à propos d’eux, tu le reconnais bien, qu’il est le plus nécessaire de trouver une explication – L’idée qu’ils restent là et font ce métier parce qu’il n’y a pas moyen de faire autrement ne suffirait pas à les soutenir, à empêcher leur effondrement moral. Alors chacun d’eux s’est procuré une suggestion personnelle, une pensée, une idée fixe, dont il a le secret, et qu’il absorbe goutte à goutte…

Il y a le petit sous-lieutenant de Saint-Cyr, à l’âme très brave et très pure qui se dit : « Aucune vie ne sera possible pour moi dans une France vaincue. Je serai personnellement déshonoré. J’aime mieux de beaucoup vivre par mon nom sur une stèle, avec la mention : mort au champ d’honneur, que de vivre déshonoré. »

Il y a le réserviste qui lisait autrefois de bons auteurs, qui avait des convictions généreuses, et qui se dit, lui : « C’est la dernière des guerres. Nous sommes en tain de faire la paix du monde. Grâce à notre sacrifice, nos enfants ne connaîtrons plus ces horreurs. »

Il y a celui, tout à côté, dans la même tranchée, qui se dit : « C’est la fin du monde. On y passera tous. Un peu plus tôt ou un peu plus tard, qu’est-ce que ça peut faire ! »

Il y a celui qui croit à l’avènement de la justice, qui est encore convaincu que la victoire des démocraties amènera partout la libération des opprimés, la fin du règne de l’argent et de l’iniquité sociale, et qui se consolerait presque de mourir s’il pouvait penser que c’est un peu à cause de lui que les hommes demain seront plus heureux.

Il y a celui que sa femme a abandonné depuis sa mobilisation pour se mettre avec un autre ; et qui ne reçoit plus de lettres, plus de paquets ; qui s’estime trop vieux pour recommencer une existence, à qui il est maintenant tout à fait égal de mourir, et que l’excès de danger distrait même en lui faisant croire qu’il tient encore à la vie.

Il y a celui qui est nonchalant et rêveur, que cela fatigue de lutter contre le destin, et qui se dit : « Je l’ai toujours pensé. Tout est fatal en ce monde. Rien ne sert de se démener. Laissons-nous faire. Laissons-nous porter par le flot ».

Il y a celui qui n’a jamais eu de chance, qui a toujours pensé qu’on était injuste envers lui, qu’on l’humiliait, qui a envié le bonheur des autres, et qui goûte maintenant un sentiment d’égalité dans la misère, si doux à son cœur qu’il ne souhaite que du bout des lèvres le retour aux amertumes de la paix.

Il y a cet autre à côté de lui, chez qui la guerre a réveillé un vieux pessimiste fondamental, et qui pense de toute ses forces : « L’Univers est une ignoble absurdité. Il était déjà facile de s’en apercevoir. Mais depuis la guerre, c’est une évidence qui crève les yeux. Pourquoi se cramponner à une ignoble absurdité ? » ou bien : « L’humanité est diabolique. Elle souille la surface de la terre. Elle est née pour le meurtre et le suicide. Tant pis pour elle (et tant pis pour moi qui ne suis qu’un homme, qu’un point de cette moisissure) »…

Il y a celui (et Jerphanion fait un geste du côté de Notre-Dame qui était maintenant juste en face d’eux sur l’autre rive, et que le jour commençait à quitter par le haut) qui se dit : « Ce qui a pour moi de la valeur en ce monde, c’est la langue française, ce sont les cathédrales de ce pays, les quais de la Seine, tel paysage qui n’existe pas ailleurs, telle façon de vivre qui n’existe pas ailleurs. Il m’est égal de vivre si tout cela m’est retiré. Et je ne trouve pas absurde de mourir pour que tout cela dure après moi… ». Hein ? Tu te représentes cette chaîne de tranchée en tranchée ? Et voilà comment Verdun arrive à tenir.

"Les hommes de bonne volonté"

XVI - Verdun

Jules Romains

 

 

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