C’est son écriture qui le trahissait.

Une de ces écritures inoubliables. Chacune de ses lettres était un tableau écrit à la plume “Sergent Major” usant à souhait des pleins et des déliés. Délibérément et définitivement il avait choisi l’encre bleue, la noire lui rappelait trop l'administration. Il aimait s’appliquer dans la construction de grandes lettres lisibles avec des "T" élancés, des "M" minuscules et des "L" qui tenaient debout et semblaient désigner le ciel.

Sa belle écriture de jeune homme ne permettait pas de révéler son âge. Mais quel âge avait-il donc ?

A première vue, c’était un personnage austère, distant, doté d’un physique sec, il était grand, mince et raide comme un "L".

Toujours quand il se promenait, il saluait d’un petit signe de la tête ceux qu’il croisait, mais ne s’arrêtait jamais et marchait vite comme s’il avait un rendez-vous urgent, il donnait l’image d’un homme pressé, comme sait l’être inconsciemment un Parisien dans le métro emporté par la foule, il semblait fuir les déplacements inutiles. Son petit bonheur il le trouvait dans la contemplation des paysages qu’il traversait, saluant toujours au passage son arbre préféré, reniflant l’odeur des bois mouillés, priant un instant ou tout simplement s’isolant dans un lieu qu’il était seul à connaître. Les chemins lui étaient familiers, les couleurs de la nature l’apaisaient, les animaux étaient ses compagnons, les arbres ses partenaires de promenade.

Chaque début de semaine, il fixait son calendrier, déterminait le rythme de ses journées, le plus petit écart sur ce qu’il avait prévu le bouleversait; dans  son quotidien il n’acceptait aucun intrus détestant, par dessus, l'imprévu. Tout retard le rendait furieux, les contrariétés le mettaient dans un état second.

Conscient que son existence était insignifiante aux yeux des autres, il disait à ceux qui lui reprochait sa manière de vivre que  le sage avait écrit “que tout sujet méritait discussion mais surtout pas dispute”.

Ses sentiments étaient ceux d’un homme simple, d’un "coureur des bois".

Attiré par les couleurs sombres qui s’offraient à son regard connaisseur, il n’en aimait pas moins, les pastels ensoleillés que lui offrait une nature généreuse. “C’est un privilège” disait-il “ que de vivre là où l’on est le plus inspiré”. Il s’était imposé à écrire quotidiennement un journal dans lequel il donnait son avis sur tout, confiant au papier ses écrit les plus intimes et ses réflexions, il n’hésitait pas à affirmer ses pensées, à se tromper, à provoquer. Il se moquait bien de ce que l’on pouvait dire de lui. Curieusement, quand il se retrouvait avec d’autres anciens légionnaires, il redevenait sociable, vif, amusant, impertinent, joyeux, heureux.

En fait, c’était un affectif qui se baladait en toute liberté sans faire de compromis, affichant ses convictions, sa manière de vivre, ses amitiés et ses inimitiés, retraité de la Légion, il disait, à qui voulait l'entendre, qu'il avait l'opportunité de vivre en toute liberté et qu'il en profitait, égoïstement, sans partage...

Il vient de s’éteindre, se cachant pour mourir comme les oiseaux.

Qui, désormais, pensera encore à lui ?

Moi, c’était mon ami !

 

CM

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