Une curieuse aventure que celle de l’ancien adjudant Gilbert Tissot qui a la particularité de parcourir les monts et les bois de sa région d’adoption et de s’en aller faire des kilomètres de marche chaque matin, de quoi, pour ce septuagénaire, haut en couleur, de garder une belle forme physique que certains jeunes doivent lui envier.

Au cours d’une de ses promenades une chapelle abandonnée dans les vignes l’intrigue, curieux il cherche les informations la concernant et partage sa découverte avec le lieutenant-colonel Marquet:

« Je découvre une chapelle isolée dans les vignes, peut-être même une église qui semble très ancienne. Renseignements pris, il s'agit de la chapelle de Saint-Ferréol. En 1674, Jean-Baptiste Granet-Lacroix déclara vouloir y être enterré, déclarée « bien non national » à la Révolution, elle fut vendue en 1813 à la famille Granet qui la donna aux hospices de Bollène.

Suivent deux lettres dite « d’Ailleurs » écrite par le lieutenant-colonel Antoine Marquet :

Une tradition établie

Ce 4 juin au matin, un détachement du 2e régiment étranger d’infanterie stationné à Nîmes, commémorait le 159e anniversaire de la mort du colonel de Chabrières, chef de corps du 2e étranger de la 2ème Légion étrangère, dans un petit cimetière attenant à la chapelle Saint Ferréol à Bollène (84) fief des Chabrières, situé au milieu des vignes et dominé par les ruines du château familial.

Outre ce détachement aux ordres du commandant en second du régiment, des élus locaux, les drapeaux de nombreuses associations et quelques vétérans, rendaient hommage à notre grand ancien tué à Magenta le 4 juin 1859.

Tombée dans l’oubli parce que délaissée pendant de longues années, la tombe du colonel a été restaurée grâce à la persévérance de quelques anciens et une nouvelle pierre tombale a été installée par le « Souvenir français ».

Depuis quelques années, le 2e régiment étranger d’infanterie a inscrit à son agenda commémoratif cette cérémonie, l’établissant en tradition, pour que la mémoire perdure.

Mes lettres d’ailleurs 73 et 74 publiées voici quelques années et reproduites ci-après retracent l’histoire récente de cette sépulture.

Antoine Marquet (Lieutenant-colonel – te – er)

LETTRE D’AILLEURS Nº 73

Les légionnaires oubliés

La camarde ne pardonne rien, n’oublie personne; plus tôt ou plus tard elle nous saisit sous son manteau sombre et nous accompagne de son haleine fétide jusque dans les profondeurs du Styx ou nous pousse, nimbés de gloire, vers les hauteurs éthérées.

Certaines morts sont héroïques et inscrivent sur le marbre de la postérité des noms qui deviendront néanmoins, très vite, inconnus des générations qui éclosent. Il faut s’appeler Napoléon, Clémenceau, de Gaulle, Danjou, Rollet… pour que leur souvenir demeure. Que dire alors des morts plus modestes, plus anonymes, de ces héros du quotidien qui nous ont quittés hier, qui disparaîtront demain ?

Les légionnaires, peut-être plus que d’autres, n’échappent pas à cette humaine logique : naître, vivre puis disparaître dans l’oubli, après avoir servi avec dévouement, courage, abnégation - voire en donnant leur vie à  la France qui les a si bien accueillis.

Morts, ils sont rendus à leurs familles, quand c’est possible et voulu, sinon, ils sont ensevelis dans les carrés militaires des villes de garnison. 

Mais que deviennent les sépultures de ces soldats oubliés ?

Le Souvenir Français tente, comme il le peut, de faire entretenir ces tombes quand elles sont connues, identifiées et situées à l’étranger… parfois ce sont quelques volontaires dévoués qui tentent de faire perpétuer le souvenir de ces camarades disparus. Je me souviens de Rodel et son monument en Indochine, je pense à l’ancien adjudant-chef Galvez qui fait ce qu’il peut à Madagascar, ou encore à ma garnison d’Ali Sabieh où, pour le 30 avril, nous allions chauler le petit cimetière au pied du Fort des Italiens, sans savoir exactement quels soldats y séjournent pour toujours. Mais tout ceci n’est vrai qu’au-delà des mers et dans les cimetières militaires nationaux des deux guerres, ou bien dans les villes où nos régiments tiennent encore garnison…

Et les autres ? Que deviennent ces carrés où reposent nos légionnaires oubliés?

Celui de Bonifacio tombe en ruines, celui de Montferrat près du Camp de Canjuers où certains des nôtres sont tombés au service de la France est délabré… et tant d’autres.

L’un des cas les plus flagrants, alors que souvent nous nous gargarisons du respect des anciens, est celui du colonel de Chabrières.

Marie Louis Henry de Granet-Lacroix de Chabrières était un officier français mort pour la France à Magenta le 4 juin 1859. Natif de Bollène, dans le Vaucluse, il est, à un siècle et demi d’intervalle, mon voisin. Du château familial il ne reste qu’une ruine à quelques encablures de ma maison. Elle surplombe la petite chapelle de Saint-Ferréol qui jouxte le minuscule carré dans lequel est enseveli le héros de Sébastopol, d’Ischeriden, de Magenta… ainsi que quelques membres de sa famille.

Pendant quelques années le 1er REC se chargeait de l’entretient du lilliputien cimetière où repose tant de gloire. Puis, comme les autres, cette tombe fut oubliée. Alerté par l’ancien sous-officier Gilbert Tissot, j’ai agi, voilà bien des années,  auprès des chefs de corps du 1er REC et du 2ème REI pour leur demander de réhabiliter la tombe. Un peu d’entretien fut dispensé à la hâte par une équipe venue passer quelques heures sur les lieux. Grâce à notre regretté camarade Hans Eberle, une nouvelle action d’entretien s’est déroulée quelques mois avant sa disparition. L’ancien Major Christian Remy est venu sur les lieux et des améliorations ont été constatées. Et de nouveau de Chabrières est tombé dans les oubliettes, alors même que le 2ème REI a rebaptisé le Quartier Vallongues, à Nîmes, du nom de l’illustre chef de corps qui a servi un temps, lui aussi, à titre étranger.

Quelques amicales, rares, s’occupent très bien de ces carrés : Puyloubier, Marseille, Polynésie Française… et d’autres sans doute que j’ignore. Il est certain aussi que le commandement de la Légion  ne peut s’occuper de tous ces lieux de mémoire. Néanmoins, ne serait-ce pas possible de sensibiliser les chefs de corps afin que ceux-ci fassent procéder à un peu d’entretien lors des passages de leurs unités à l’occasion de manœuvres, de séjours en camp ?

Les villes de garnison légionnaire sur le territoire métropolitain ne sont pas si nombreuses qui interdiraient un entretien ponctuel, sans périodicité définie, au gré des passages. Cela a un côté utopique, je le reconnais volontiers, mais de Borelli n’écrivait-il pas en 1885 :

« Nus, affamés, sans feu, ni lieu, sans espérance,

Aux maîtres comme aux lois ayant répondu : Non,

Traînant leur passé lourd comme on traîne un chaînon,

Des hommes, Dieu sait d’où, s’en viennent à la France.

Nous sommes las. Mourir est une délivrance ;

Veux-tu faire de nous de la chair à canon ?

Elle répond : c’est bien, je sais votre souffrance,

Et je n’ai pas besoin de savoir votre nom.

Prenez, mangez. Dormez, sans rêve, sous la tente ;

Ce pain dur, ce lit dur, qui font l’âme contente,

Sont ceux de nos soldats : méritez leur tombeau.

Vous êtes en lieu sûr, et de vous je me charge,

Entrez – Et derrière eux, d’un geste simple et large,

Elle fait retomber un pli de son drapeau. »

Faisons nôtres aussi ces vers du même capitaine :

« …Lorsque l’oubli se creuse au long des tombes closes,

Je veillerai du moins et n’oublierai jamais.

Sans cela, le culte et le respect des anciens, ne seront que vaines paroles qui embellissent les discours de circonstance et qui n’offriront comme   réalité tangible,  que le défilé sur la Voie sacrée chaque 30 avril.

Qui sait que le dernier survivant de Camerone est enseveli à Lille ?

Je l’ai écrit dans une précédente lettre : un officier américain visitant le musée d’Aubagne et voyant les noms des officiers morts au service de la France sur les murs de la crypte, avait ingénument demandé où étaient inscrits les noms des légionnaires…

Parfois, même pas sur leur tombe.

Antoine Marquet

PS-Ce billet a été écrit voici quelques années. Depuis, l’adjudant-chef Galvez est rentré de Madagascar et les cimetière de Bonifacio et de Bollène ont été réhabilités.

 

LETTRE  D’AILLEURS Nº 74

La Légion monte aux créneaux

"Les blogs seraient-ils utiles ? C’est sans doute vrai pour certains d’entre eux qui remuent les méninges des contemporains qui les lisent. Nous n’avons pas cette prétention. Peut-être un peu agitateurs d’idées, nous mêlant de presque tout et de quelques riens, nous ne pensons pas que nos modestes écrits puissent être à l’origine d’actions bénéfiques, et pourtant…

Je viens de recevoir, ce dimanche matin, la photo d’un article du « Provençal », envoyée par un ami -  lui aussi ancien officier de Légion - qui m’a empli de satisfaction, malgré la coquille qui fait qu’au moment d’un énième dégraissage de l’armée, un correspondant local du journal « Le Provençal » réussit à créer un nouveau régiment : le 2º R.I. Mais que dit l’article ? Que le cimetière où repose le colonel de Chabrières, chef de corps du 2º régiment étranger, tué à Magenta, et dont j’ai parlé dans ma lettre d’ailleurs nº 73, vient d’être restauré par une quinzaine de légionnaires du 2º R.E.I.

Devons-nous y voir une relation de cause à effet ? Je ne sais, mais en tout cas, j’aime à croire que oui. Et dans cette éventualité je me sens récompensé de l’écriture des soixante-treize lettres qui ont précédé celle-ci…

Merci à ce si vieux régiment pour l’action entreprise et de montrer que la Légion peut toujours monter aux créneaux autrement que les armes à la main."

Antoine Marquet

PS- Depuis, chaque année le 4 juin, une cérémonie militaire est organisée sur place par le 2e REI.