Témoignage très intéressant d’un ancien légionnaire: Gérard Gille, qui est offert à notre lecture par sa fille Sylvie.

L’Auteur retrace son existence en Indochine entre 1948 et 1953, en particulier sous les ordres du capitaine Mattei et du lieutenant Jaluzot.

Récit “brut de décoffrage” qui permet de garder toute la verve de l’Auteur.

 

Prologue : Une si belle Arme

Dans ce court récit, j'ai tenté de retracer l'existence qui fut la mienne dans la légion étrangère entre 1948 et 1953.

J'y raconte la guerre bien-sûr, mais aussi la féérie des paysages Tonkinois, le charme des villages et de ses habitants, la magie des parfums d'Asie et toutes les émotions qui ont empreint ma mémoire d'homme et de soldat.

Je dédie ce livre à la légion étrangère qui à cette époque est devenue ma seconde mère et qui le restera toujours.

 

Sommaire

 

Prologue.

 

Chapitre 1: " Voici une belle arme...".

Chapitre 2: Un séjour à Sidi Bel Abbès.

Chapitre 3: En avant pour l'aventure.

Chapitre 4: Sur la RC4; direction Cao-Bang.

Chapitre 5: Un hiver sur le col de Long Phaï.

Chapitre 6: De village en village, de rizière en rizière...

Chapitre 7: Hold-up à Nacham.

Chapitre 8: Une "villégiature" à Hanoï.

Chapitre 9: Où des enfants sauvent le légionnaire...

Chapitre 10: En poste à Bo-Cung.

Chapitre 11: Mon baptême du feu.

Chapitre 12: En transit dans le delta Tonkinois.

Chapitre 13: Un jeu dangereux.

Epilogue.

 

Chapitre 1 :   « Voici une belle arme... »

 

Le 10 Août 1948 , nous passions mon père et moi devant la caserne Michel à Lons le Saunier quand mon regard se porta sur une belle affiche présentant un jeune légionnaire en tenue de saharienne. 

« Voici une belle arme » me dit mon père « tu pourrais envisager de t'engager... » ajouta-t-il en m’observant.

Ma réponse fut immédiate.Je me précipitai dans le bureau d’accueil ou je trouvai un officier qui reçut ma demande d’engagement et me remit aussitôt un titre de transport pour Marseille .Le jour de mon départ fut fixé au surlendemain.

Ma famille reçut assez bien la nouvelle.

La veille du grand jour nous nous retrouvions autour d’un excellent repas à l’hôtel de Genève avec mon père, ma mère, ma tante Suzanne et surtout Tita , la soeur de ma mère qui m’avait toujours voué une affection particulière et qui avait tenu à marquer l’occasion en nous offrant ce déjeuner au restaurant.

Le jour venu, je me présentai à la gare de Lons le Saunier à l’heure indiquée sur ma feuille de route.Direction Marseille.

L’aventure commençait !                                                    

Le bas-fort Saint Nicolas est une petite bastide surplombant l’entrée du vieux port de Marseille.

C’est ici que durant trois longues semaines je dus répondre à de nombreux interrogatoires.

Je me souviens que la police y venait à longueur de journée pour embarquer des individus au passé douteux qui pensaient, bien à tort, pouvoir échapper à la justice en s’engageant à la Légion!

Ainsi se déroulaient les journées au bas-fort Saint Nicolas en compagnie d’autres jeunes recrues, majoritairement des Allemands, soumis au même régime que moi-même.

Lorsqu’un jour, qu’elle ne fut pas ma surprise, de me retrouver convoqué et sommé de me présenter à mon oncle qui commandait à l’époque la base d’Istre.

Il venait me dissuader de partir en Indochine.

Par devant le commandant du dépôt, et à ma grande honte, il insista pour que mon engagement soit détruit, ma décision relevant selon lui de la folie ou du moins de l’inconscience.

Sa tentative fut vaine.

Lorsque le commandant me demanda de me prononcer je confirmai avec force et détermination ma décision de m’engager: « Mon oncle »dis je avec une certaine véhémence,  « sache que je ne reviendrai pas sur un choix que j’ai fait à titre personnel et sans contrainte; c’est un acte réfléchi et définitif ».

Je demeurai donc au bas-fort Saint Nicolas duquel je voyais passer et repasser les petits pêcheurs marseillais.

Jusqu’au jour où enfin je vis figurer mon nom sur la liste de départ.

Une immense joie m’envahit alors mêlée d’un certain soulagement car la crainte d’être refoulé ne m’avait pas quitté durant toutes ces journées passées ici.

Je peux dire que j’étais fier d’être reconnu moralement apte à servir la Légion!

 

 

 

Chapitre 2 :     Un séjour à Sidi Bel Abbès

 

Après 36 heures de voyage sur un vieux rafiot, le « Sidi Brahim»,je découvrais pour la première fois l’Afrique.J’avais 23 ans.

Je rejoignis Sidi Bel Abbès par le train, retrouvant là un contingent de 500 hommes environ qui après examen d’aptitude devaient être envoyés dans les différents régiments de la Légion pour huit mois d’instruction.

Pour ma part, je fus affecté dans un régiment de cavalerie, au quartier « Dimitri Amilakvari » où très vite je fus apprécié pour mes compétences de bon tireur.

Cette évaluation me conduisit à l’équipage d’un char d’assaut en qualité de tireur de tourelle.

J’étais très satisfait de mon affectation, ce poste étant sans conteste un maillon fort important de l’équipage.

Par la suite, lorsqu’on me proposa de faire le peloton de Caporal, je refusai avec entêtement, ne tenant pas à prolonger mon séjour en Afrique,tant j’avais hâte de rejoindre l’Indochine.

Durant cette longue instruction je fis la connaissance d’un compagnon de chambrée, un « ancien » , rapatrié d’Indochine pour raison sanitaire.

Au fil des jours nous devînmes de bons copains.

Combien de verres de rosé et de casse-croûtes m’a-t-il offert au cours de nos permissions de spectacle!

Il faut dire que l’immense casernement ainsi que toutes les résidences pour sous-officiers et officiers formaient aux trois-quarts l’enceinte de Sidi bel Abbès, faisant vivre toutes ses petites échoppes mais aussi les bordels et autres gourbis dont grouillait la petite banlieue.

Mais rien ne remplaçait le boudin, le lard et le saucisson fabriqués par les anciens légionnaires de notre ferme!

Précisons que ce lieu à vocation agricole appartenait effectivement à la Légion .Elle y accueillait tous les soldats qui avaient servi pendant quinze ans et se retrouvaient sans autre refuge ni famille que leur régiment.

Or, mon nouveau copain, d’origine lituanienne, présentait une situation similaire à celle de ces « pensionnaires » d’un genre particulier. Réformé pour fièvre et dysenterie, il me confia un soir son désarroi: toute sa famille ayant été exterminée par l’occupation russe, il ne savait où aller à la sortie, sans recommandation ni connaissances.

Touché par une telle détresse, je pris la décision, sans le lui dire, d’écrire à mon père, sollicitant pour lui une place de commis au sein de notre ferme familiale.

La réponse ne fut pas longue à venir: mon copain était attendu à Condamine, à la maison, où il serait reçu chaleureusement.

Qu’elle ne fut pas la joie de mon compagnon lituanien auquel je dus faire lecture de la missive paternelle à plusieurs reprises: il n’en croyait pas ses oreilles! j’avais devant moi un homme comblé de bonheur.

Dès lors, il ne cessa de me gratifier, sacrifiant sa solde dans les bouges de Sidi Bel Abbès

Il resta jusqu’au bout un copain exemplaire et reconnaissant.

 

Durant ces huit mois d’instruction à Sidi Bel Abbès mon oncle , persévérant dans ses intentions à mon égard, me fit une nouvelle visite inopportune.

Au bureau du Commandant, le dépôt commun de la Légion étrangère, il me fit convoquer.

Cette fois, il était accompagné de son beau-frère.

 

Tous deux étaient venus spécialement en avion pour m’inciter une fois de plus à quitter l’armée. Aujourd’hui encore je n’ai toujours pas compris la raison d’un tel acharnement ...

Cette confrontation que je vivais comme un affront fut beaucoup plus dure que la précédente.

J’avais l’impression d’être l’objet d’une véritable machination....

Comme un candidat devant un jury, je dus convaincre le commandant de ma motivation en réaffirmant mon choix avec force et détermination.J’insistai sur la valeur emblématique de mon engagement à la LEGION: la parole donnée d’un légionnaire ne se reprenait pas.

Le Commandant fut sensible à mes propos et ajouta en acquiescant que tout acte signé devait être honoré.

Après cette ultime mise au point je quittai donc mon oncle et son beau-frère.

Nos adieux, dans le grand quartier Vienot, furent très froids.

Pour ma part, je dois dire que je laissai libre cours à ma colère : « Ne te mêle plus jamais de mes affaires »dis-je à mon oncle ajoutant avec la fougue de ma jeunesse:  « je n’ai de leçons à recevoir de personne! ».

Je crois même à ce moment l’avoir traité d’officier d’opérette!

Heureusement, ma fin d’instruction approchait et je n’avais qu’une hâte: partir enfin pour l’Indochine!

Imaginez alors la déception qui fut la mienne lorsqu’un lieutenant m’annonça un matin que je n’étais pas prévu pour le prochain convoi: mon instruction devait se prolonger afin que j’apprenne le morse car étant d’origine française, on me réservait le rôle de radio.

A cette annonce mon sang ne fit qu’un tour!

Je pressentais aussi confusément que mon oncle pouvait être à l’origine de cette décision.

La colère me fit alors accomplir un geste que je devais regretter par la suite.

Exprimant à ma manière un furieux refus, j’administrai au Lieutenant un direct du droit dans la mâchoire; il alla s’effondrer quelques mètres plus loin.

C’était le seul moyen que j’avais trouvé pour partir!

Evidemment , la sanction fut immédiate: j'écopai de trois semaines de  «  parc à autruches ».

Certes, j’étais puni mais je savais qu’après on allait m’expédier pour l’Extrême Orient !

Ce que je ne savais pas encore à ce moment là c’est ce qu’allait être exactement ma punition et il faut bien dire que ce « parc à autruches » n’était pas une partie de plaisir!

Dernier maillon disciplinaire avant le pénitencier de Colomb-Béchar, la punition en ce lieu consistait d’abord à être enfermé seul dans une taule de 5 m2, un bas flanc bétonné en guise de couchette.

Matin, midi et soir un petit régal consistant en une soupe d’eau chaude accompagnée de ses petits croûtons était servi. Ce repas devait être pris au garde à vous, face au mur, le front appuyé sur celui-ci.Le moindre geste était réprimé d’un coup de cravache sur les reins.

Le reste du temps, c’est à dire toute la journée, il fallait courir au pas de gymnastique, à petites foulées et sans interruption, sauf une pause très brève à midi.

Le parc s’étalant sur 5000m2 était muré et grillagé sur une hauteur de 4m environ.

La piste en faisait le tour et au milieu s’étendait un grand bassin d’eau dans lequel on avait dressé 10 cm de tessons de bouteilles cassées.

Notre course infernale était contrôlée par des bergers allemands fort bien dressés sous la bonne garde de quatre légionnaires.

Comme vous l’imaginez la moindre défaillance pouvait être très douloureuse...

Mais même en ce lieu, je ne cessais de rêver à un avenir plein de promesses et de suspens...

Bien sûr, la grande aventure commençait assez mal mais ma peine prenait fin et je dois reconnaître que j’assumais tout cela parfaitement .

J’étais passionné et fougueux, avide d’action et de défoulement.

Peut-être essayais-je aussi d’oublier une adolescence marquée par la brutalité d’un père trop autoritaire et la froideur d’une mère dont je ne ressentais pas l'amour.

Mais ma chère grand-mère et ma tante TITA restaient dans mon coeur et m’offraient comme une protection bénie dans les épreuves présentes et à venir...

 

 

Chapitre 3 :     En avant pour l’aventure !

 

Après le  « parc à autruches », je fus envoyé en Indochine mais toujours sous mesure disciplinaire.Je fus donc accompagné en train jusqu’à Bizerte par un sous-officier et deux légionnaires en arme.

Nous étions en juillet 1949.

A Bizerte j’embarquai sur « Le Maréchal Joffre » .

A son bord m’attendait à nouveau un drôle d’accueil: je fus aussitôt mis au mitard par le commandant du détachement.

Je croupis donc pendant les premières quarante huit heures dans un cachot, en fond de cale et dans le noir absolu.

Quand on jugea bon de me sortir de ce trou à rats, je fus placé à l’office de l’équipage.

On me signifia alors clairement que je demeurerais à cette place et sous l’autorité du postal (agent responsable du mess) pendant toute la traversée; je fis donc l’expérience du travail de plongeur pendant ces vingt six jours .

Et je dois dire que cela ne me déplaisait pas.

Le postal, d’origine sénégalaise, était sympathique et de fort bonne moralité.

En outre, ce qui n’est pas négligeable, j’étais très bien nourri.

Le bateau naviguait cap est à la vitesse de quinze noeuds environ.

Le nettoyage et la plonge ne me prenaient que quelques heures.

Le reste du temps j’admirais la mer et ses poissons volants par l’un des quatre hublots du mess.

Quelques fois, je pouvais aussi contempler le lever ou le coucher du soleil.

La nuit, je dormais sur une table, enroulé dans une simple couverture car on m’avait formellement interdit de quitter mon poste un seul instant.

Quoiqu’il en soit cette mission n’était pas désagréable; j’étais souvent seul car le postal s’absentait fréquemment en me laissant la surveillance du mess.

Et bien souvent il m’est arrivé de penser que j’étais privilégié par rapport aux troupes entassées en cale.

Les jours s’écoulaient ainsi paisiblement quand survint un incident à l’escale de Djibouti.

Un homme d’équipage me prit à partie, me faisant remarquer que son verre n’était pas propre. Tout en m’excusant je m’empressai de le repasser à la plonge et de l’essuyer méticuleusement. Quelques instants plus tard le même marin en claquant des doigts me fit signe de recommencer l’opération.Je m’exécutai une fois de plus et lui retournai le verre mais cette fois sans excuse. La même scène se répéta une troisième fois et j’estimai à ce moment là que la provocation devenait trop flagrante. J’empoignai l’homme par le col de son habit et lui adressai un uppercut du droit qui l’envoya sous une table!

Le postal s’interposa alors et réussit à m’isoler dans la cambuse.

A la fin du service , lorsque l’équipage eut repris ses fonctions,il me sortit de là et je repris mon travail, comme d’habitude. Mais quelques instants plus tard, il revenait accompagné du commandant de détachement.

Celui-ci me somma alors de m’expliquer sur les circonstances de cet avatar.

« Bon » me dit-il, « pour cette fois, l’affaire est classée;mais que ce genre d’incident ne se reproduise plus!Un peu de diplomatie que diable! »

Au repas du soir je remarquai que l’homme d’équipage était très marqué au visage mais aussi que tout dans son comportement trahissait ostensiblement la gêne et même, je crois pouvoir le dire , la honte; peut-être plus d’ailleurs vis à vis de ses camarades que de moi-même...

Je lui fis remarquer avec beaucoup de  «  diplomatie » et un brin d’arrogance que je pourrais aisément me passer de ses excuses.

Quelques jours après cet incident j’eus la surprise de voir arriver trois légionnaires au mess, lieu normalement interdit à la troupe. Ils avaient emprunté une coursive pour arriver jusqu’à mon poste.

Ils m’apprirent que l’ensemble du détachement était au courant de ma mésaventure et après quelques minutes de conversation les trois compères m’avouèrent la véritable raison de leur visite: remplir de pinard le bidon qu’ils avaient avec eux!

Devant ma réticence, ils m’amadouèrent en me flattant, vantant mes « exploits » et ma réputation à bord: mon passage au mitard avait, soi-disant, fait le tour du détachement et environ 1500 hommes attendaient de me rencontrer!Fort de cette toute nouvelle popularité, je remplis généreusement le bidon de mes nouveaux camarades.

Evidemment, l’opération se renouvela le lendemain, le surlendemain et les jours suivants!

J’abreuvais ainsi ces légionnaires à raison de quatre ou cinq litres d’alcool chaque jour.

Et les lascars me promettaient la lune bien sûr!

Quant au postal, le brave homme fermait les yeux: jamais durant toute la traversée il ne me fit une seule remarque ni ne me retira les clefs de la cambuse.

L’essentiel du détachement débarqua à Saïgon; le reste à Aïphong au Tonkin.

Je ne devais plus jamais revoir mes compagnons au bidon.

Arrivé en Baie d’Along, au point de mouillage, je fis mes adieux au postal.

Avant que nous nous quittions à tout jamais, et comme pour lever un voile ,il me confia que le marin avec lequel je m’étais battu était un communiste fervent qui ne pouvait admettre que des soldats français aillent tuer ses « frères ».A chaque traversée, il prenait à partie un légionnaire bouc émissaire qu’il se plaisait à provoquer; je n’étais donc pas le premier à avoir dû subir sa hargne.Avant de me serrer la main le postal me regarda longuement et me dit avec un certain respect: « tu es le premier à avoir oser lui répliquer! ».Je reçus cette confidence comme un compliment qui me rendait plus fort, prêt à affronter l’aventure qui m’attendait à terre.

Ainsi je débarquai en baie d’Along avec quelques 500 hommes environ, légionnaires, spahis, goumiers, tabors, tirailleurs sénégalais, marsouins de l’infanterie de marine, et quelques hindous originaires de Pondichery embarqués à Colombo.

Nous fûmes transférés à Aïphong par de petites embarcations de style sampans.

C’est dans ce port du Tonkin que devaient se reformer les troupes avant de rejoindre leurs unités respectives.

Durant une huitaine de jours, rassemblés dans une espèce de caserne désaffectée, nous attendions tous nos différentes affectations.

Pour ma part, je reçus pour mission avec une vingtaine de camarades d’assurer le transport et la sécurité des réfugiés de Tchan Kaï Chek qui fuyaient le maoïsme.

Pendant deux semaines nous acheminâmes ainsi ces gens par milliers sur un vieux « Liberty » de Ten-Yien à Canfa-Port et Canfa-Mine, petits ports industriels situés en baie d’Along.Chaque navette emmenait une centaine de réfugiés.

Après trois heures de transfert ils embarquaient alors par leurs propres moyens , souvent sur de frêles coquilles, pour l’île de Formose située à quelques milles de là.Tous savaient que la traversée sans escale sur ces embarcations précaires serait longue, dangereuse et qu’ils n’atteindraient peut-être jamais l’île.

Je me souviens de ces réfugiés chinois, inquiets certes pour leur avenir incertain, mais cependant dignes et reconnaissants , nous remerciant sans cesse de l’opportunité qui leur était offerte.Certains nous confiaient dans un français parfait leur regret de quitter la Chine mais aussi leur choix de fuir la répression maoïste qui selon eux ferait subir au pays une purge stalinienne.

Je réalisai alors à quel point la volonté déterminante de ce peuple pouvait servir son destin.

Durant l’une de ces traversées, j’eus l’occasion d’assister à un évènement peu banal.

Nous avions remarqué qu’une des femmes était enceinte et semblait fort avancée dans sa grossesse.

Elle devait accoucher durant le voyage dans les conditions les plus sommaires qui soient.

Son mari qui l’assistait fut remarquable dans la précision et la maîtrise de ses gestes, exécutant à mon avis une prestation digne d’un obstétricien professionnel!

Durant tout l’accouchement, l’assistance se tenait là, supportant le jeune couple en chantant et s’exclamant de joie.

Inutile de vous dire que le spectacle n’était pas commun pour nous autres européens!

Mais ce qui allait se passer dans l’heure suivante était encore plus surprenant.

Arrivés à Canfa-Port à marée basse, soit deux à trois mètres en dessous du niveau normal de la mer, nous eûmes la surprise de voir débarquer la jeune mère, son bébé accroché dans le dos, escaladant l’échelle de montée dressée à la verticale, avec une agilité et une souplesse qui nous laissa tous pantois!

Excepté cet heureux intermède, les traversées se déroulaient plutôt calmement dans ce cadre exceptionnel et majestueux de la baie d’Along.

Il fallait toutefois respecter un itinéraire précis en évitant surtout de longer les calcaires où les viets embusqués auraient pu nous saluer à coup de rafales d’armes automatiques.D’autant plus que nous avions reçu l’ordre de ne pas riposter dans ce cas!

Vers la fin septembre de l’année 1949 nous devions rejoindre Ten-Yen près de Monkaï sur la frontière de Chine afin d’y être embarqués pour nos unités combattantes.

C’est à Ten-Yen que prend naissance la route coloniale n° 4, appelée RC4,jalonnant la frontière de Chine jusqu’à Cao-Bang.

Je savais que j’étais affecté au 3ème régiment d’infanterie,1er bataillon,2éme compagnie:j’avais donc l’insigne honneur d’appartenir au plus ancien régiment de la Légion étrangère auparavant appelé RMLE(Régiment de Marche de la Légion Etrangère).

Je ne vous rappellerai pas que le 3ème REI est actuellement le régiment le plus décoré avec 16 citations juste après le RICM ( Régiment d’Infanterie Colonial Marocain) qui peut s’enorgueillir de 17 citations.

C’est aussi le seul régiment de France auquel a été attribué la fourragère avec aiguillette.

 

 

Chapitre 4 :     Sur la RC4, direction Cao-Bang

 

L’infanterie me passionnait.

J’aimais les armes à feu et l’odeur de la poudre brûlée.

Cette passion avait commencé à l’âge de quatorze ans environ .

On avait offert à mon oncle durant sa carrière militaire un étui de cinq pistolets, et ces armes me fascinaient.

Combien de fois en ais-je saisi une à la dérobée pour aller m’exercer dans le petit bois de mon village muni d’un chargeur rempli de balles!

Je me souviens encore des deux cibles que j’avais fabriquées et sur lesquelles j’avais dessiné des cercles soigneusement colorés.

J’entretenais méticuleusement ces armes.Ma grand-mère m’ayant surpris un jour dans ce travail, je m’empressai de la rassurer en lui expliquant qu’il fallait à tout prix nettoyer ces pistolets afin de les préserver de la rouille! Je ne sais si elle m’a cru mais devant mon habileté à démonter, graisser, huiler et remonter l’arme, j’ai vu l’inquiétude disparaître de son regard.

Cette adresse me fut d’ailleurs fort utile quelques années plus tard, au maquis.

Mais ici, sur la frontière de Chine, ces souvenirs de prime jeunesse me paraissaient bien lointains!

De Ten-Yen nous nous engageâmes donc sur cette RC4 embarqués dans des convois de camions montant sur Cao-Bang

Plus nous avancions sur ces terres du Haut-Tonkin et plus mon excitation grandissait.

Tout me troublait et m’enchantait à la fois: les parfums d’épices orientales mêlés aux odeurs de poissons séchés, les paysans que nous croisions et qui conduisaient à la baguette des bandes de canards jusqu’au ruisseau et surtout cette forêt dense et magique qui recouvrait parfois le chemin.

Je me sentais heureux de vivre et de découvrir ce nouveau monde aux moeurs si différentes des nôtres.

Ainsi nous suivions cette route sillonnante, avec ses cols, ses vallées, ses gués et bien sûr ses villages qui me semblaient étranges et familiers à la fois: Langson, Dong-Dang, Nacham, Bo-Cung, Long-Vaï, Tchak-Khe...

A chaque escale l’accueil des villageois était chaleureux et toujours aimable.

Lorsque nous nous arrêtions pour une nuit, nous étions reçus chez l’habitant qui , outre le gîte, nous offrait ses meilleurs plats et son hospitalité généreuse et enthousiaste.

Ma fougue et ma passion croissaient au fil des jours.

Bien sûr, pendant notre parcours nous avions essuyé plusieurs coups de feu mais le caractère sporadique de ces attaques laissait supposer qu’elles étaient l’oeuvre de petits groupes isolés et donc non dangereux;du moins était-ce l’avis de nos partisans qui jalonnaient la route assurant l’ouverture du convoi et sa protection.

Nous avions appris à reconnaître ces tirs au coup par coup à leur son sourd et prolongé qui trahissait des armes anciennes ou de fabrication artisanale.

Inconsciemment, nous vivions ces épisodes comme étant inévitables et naturels; nous avions reçu l’ordre de ne pas riposter, notre intervention sur ce territoire relevant d’une politique de pacification et peut-être n’envisagions nous pas encore ces tirs comme de réelles attaques ennemies...

Nous étions loin d’imaginer ce qui allait se passer par la suite

A notre arrivée à Cao-Bang , un accueil moins courtois que celui des villageois m’attendait: je fus immédiatement interpellé par la police militaire et emmené manu militari dans une prison de droit commun . Là, sans autre forme de procès et sans aucune explication je fus jeté dans une taule infâme où croupissaient des dizaines de civils, hommes, femmes et enfants tous entassés, couchant par terre sur des nattes pourries par l’humidité.

Une petite lucarne laissait passer une légère clarté dans ce taudis moite et fétide.

Dans un recoin une installation rudimentaire servait aux besoins naturels et envahissait la pièce de reflux pestilentiels.

En guise de repas on nous apportait du riz avec de l’eau et tout le monde mangeait dans la même gamelle.

J’ai dû vivre dans ce cachot plusieurs jours avec des gens dont je ne comprenais pas la langue et qui d’ailleurs m’ignoraient.

Je n’ai jamais su la raison de cette punition.

A ma sortie certains murmurèrent qu’il s’agissait d’une erreur!

Une fois dehors on m’ordonna de couper du bois pour l’une des roulantes et ce dans l’attente de mon affectation à la 2ème compagnie qui était en train de battre retraite de Bakan et de Phu Long Tonc. En ces lieux les troupes avaient dû combattre une importante attaque viet, premier avertissement de la part de l’ennemi qui se positionnait ainsi stratégiquement dans une zone qui allait devenir la fameuse route « Hô-Chi-Minh » qui servirait plus tard à l’offensive de Diên-Biên-Phu.

A partir de ce moment , c’est à dire dès septembre 1949, et jusqu’à Mai 1954, ce secteur occupé par l’ennemi ne fut jamais contrôlé ni surveillé par les forces françaises.On comprend dès lors comment les viet-minh encadrés par les chinois ont pu sans grande difficulté organiser leur ultime combat qui conduisit à leur conquête de 1954!

Au retour donc de toutes ces unités, légionnaires, tabors, goumiers et tirailleurs sénégalais affluèrent sur Cao-Bang et je pus enfin intégrer la 2ème compagnie en qualité de tireur au fusil mitrailleur.

Cette arme, un 24/29, ne me quittera plus jusqu’à la fin de mon séjour en Indochine.Son numéro matricule,18 372, est resté à jamais gravé dans ma mémoire.

Il faut dire que ce fusil mitrailleur faisait ma fierté au sein de l’équipe,tous des anciens, engagés trois ans avant moi.

Plus tard, lorsque je demandai à mon chef de groupe pourquoi l’on m’avait confié la responsabilité d‘une arme collective, il me rapporta que c’était au vu des résultats que j’avais obtenus lors de mon instruction à Sidi Bel Abbès.

Je dus tester mon FM dans tous ses détails car on savait à cette époque que certaines armes étaient tout simplement sabotées par nos compatriotes français et communistes à l’usine de fabrication de Tulle...

A ce moment , j’ignorais encore qui était mon Capitaine de Compagnie;j’essayais simplement de comprendre ce qui ce passait dans ce secteur de l’Indochine où semblait régner le plus grand désordre.

 

 

Chapitre 5 : Un hiver sur le col de Long Phaï  

 

 

Ma compagnie fut finalement affectée à la protection des convois montant sur Cao-Bang et particulièrement au col de Long Phaï, l’un des endroits les plus meurtriers de la RC4.

Le passage du col se faisait par une route escarpée dans les calcaires et coiffée d’une brousse intense permettant à peine le passage des camions.Tout autour , nous distinguions les grottes qui servaient de refuges aux viets.

Cao-bang qui, avec sa citadelle, se trouvait être le lieu le plus avancé du Nord Tonkin, était donc ravitaillé au rythme de deux convois par semaine; ce n’est que bien plus tard que les liaisons purent se faire par voie aérienne.                     

Cette place, stratégiquement bien fortifiée, était défendue par plusieurs unités combattantes: légionnaires, tabors, goumiers, tirailleurs sénégalais.Parmi ces forces figurait un bataillon du 3ème REI, les autres se trouvant en poste ou en intervention.

L’hiver arriva sur le col de Long Phaï

La capote était désormais nécessaire, particulièrement la nuit, pendant nos tours de garde.

Durant ces moments où nous nous sentions parfois si seuls, nous apprenions à découvrir la faune qui nous environnait...Ainsi nous nous amusions des coassements du crapaud-buffle, particulièrement bruyants dans la nuit.

Jusqu’au jour où survinrent différents faits de guerre auxquels nous n’étions pas préparés et qui nous valurent malheureusement la perte de quelques sentinelles.

L’ennemi s’organisait dans la région qu’il venait de conquérir.

C’est avec ruse qu’il nous surprit à maintes reprises en rampant jusqu’à nous dans la nuit tout en imitant les bruits les plus proches; il poignardait alors le soldat de garde pour s’emparer de son arme avant de s’enfuir.

Pour parer à ces attaques nocturnes notre capitaine décida rapidement de renforcer les sentinelles en les plaçant dos à dos ce qui s’avéra très efficace.

Nous commencions à suspecter les habitants des villages qui nous entouraient.

Du laboureur avec son buffle jusqu’au balancier qui nous transportait, tous pouvaient être nos ennemis secrets.Imperceptibles ou invisibles le jour, parfois blottis dans les calcaires, ils se transformaient en tueurs silencieux la nuit.

Cette guérilla sournoise commençait à nuire au moral des troupes.

Qui plus est, la géographie et la configuration des lieux ne nous facilitaient pas la tâche.

Ainsi, il nous arrivait d’être pris en enfilade , coincés dans les calcaires, ne pouvant ni avancer ni reculer.L’aviation venait alors en renfort.Mais les mitraillages de ces avions bombardiers BIER4 à l’entrée des grottes n’étaient d’aucune efficacité et d’impact nul tant sur le plan offensif que défensif.

Dès la fin de l’attaque aérienne, l’ennemi sortait des calcaires pour reprendre sa cadence au combat.Ce n’est qu’à la tombée de la nuit que nous pouvions nous sortir du guêpier.

C’est à cette période que notre commandant de compagnie fut rapatrié et remplacé par le célèbre Capitaine Mattei qui arrivait pour un deuxième séjour.

L’homme, plutôt petit et trapu, était vif et rapide dans ses décisions mais surtout il s’avéra être un officier totalement atypique et anticonformiste. Homme d’exception avec un fort charisme, il était un baroudeur né, « anti-rond de jambes », n’ayant que faire des Etats -majors et de leurs ordres donnés.

Durant tout ce temps passé sous ses ordres, j’allais apprendre à le découvrir et à le respecter.

En cet hiver 1949-1950, les combats sévissaient donc sur le col de Long Phaï qui, rappelons le, était un point stratégique de la RC4 : il s’agissait pour le viet d’empêcher au maximum le passage des convois afin de nuire au ravitaillement de la citadelle à Cao-Bang.

La technique guerrière de l’ennemi consistait en une stratégie futée organisée en commandos.

Après avoir attaqué et brûlé les camions, il laissait les blessés aux bons soins des « brigades de la mort ».

Ces unités composées de femmes endoctrinées et droguées avaient pour mission de terminer le travail: elles se ruaient sur les véhicules enflammés avec une bouteille d’essence au goulot de laquelle était fixée une grenade incendiaire; puis au milieu des flammes et à l’aide d’un coupe-coupe, elles tranchaient les testicules des blessés ou des corps sans vie pour les leur placer dans la bouche.Leur barbarie accomplie, elles disparaissaient dans la brousse.

Les véhicules incendiés étaient alors poussés dans le ravin et ce qu’il en restait faisait l’objet d’un véritable pillage.

En général, la tête du convoi échappait à l’assaut mais chaque attaque nous faisait perdre environ le tiers de nos camions... sans compter les pertes humaines!

Ne pouvant faire demi-tour sur cette route, l’escorte affaiblie et les chauffeurs, survivants et blessés, tous se repliaient dans la jungle qui, fort heureusement, permettait de se retrancher en se camouflant relativement bien.

J’eus moi-même l’occasion d’en faire l’expérience.

Plein de hardiesse et d’inconscience je m’étais avancé ce jour là seul sur la route, dans l’attente d’un convoi.

Les « brigades de la mort » ne furent pas longues à se jeter à mes trousses en hurlant leurs cris de guerre. Aussitôt, j’eus le réflexe de vider sur elles les quatre chargeurs de mon arme automatique. Certaines tombèrent mais les autres redoublèrent de hargne dans leur folie meurtrière.

Je dus m’enfuir en courant dans les broussailles pour me blottir derrière deux gros rochers en tenant serrée contre moi mon arme dépourvue de munitions! Certes, j’avais encore quatre grenades offensives accrochées à mon ceinturon, mais je n’en menais pas large!

Après le passage du convoi, lorsque le calme fut revenu, je pus rejoindre ma section.

Tous me croyaient disparu.

Evidemment, on ne me félicita pas pour cet acte de « bravoure » ni pour ma folle initiative car, est-il utile de vous le préciser, je m’étais passé de l’autorisation de mon chef.

Les opérations de piratage dont nous étions victimes avaient bien sûr pour but de nous affaiblir mais aussi de faire main basse sur l’armement et nos munitions que l’ennemi convoitait particulièrement.

Les carcasses de nos camions incendiés et pillés gisaient dans un précipice de plusieurs dizaines de mètres d’où s’échappait continuellement l’odeur des corps en décomposition et des marchandises mal brûlées.Les viets y récupéraient tout ce qui pouvait être utile.

Une certaine escapade me fit approcher de très près ces pirates...

Alors que le froid sévissait avec rudesse sur le col de Long Phaï, mes camarades et moi fûmes pris un soir d’une irrésistible envie de boire du vin...

Après un tirage au sort, je fus désigné pour la corvée des grands crus!

Ma mission consistait à descendre au fond du ravin avec plusieurs bidons accrochés au ceinturon afin de remplir ceux-ci du précieux breuvage.

Arrivé en bas après environ une demi-heure d’escalade, je distinguai des chuchotements dans la nuit; des faisceaux de lampes torche balayaient le sol jonché de denrées et de matériel brûlés. Au bruit du liquide transvasé, je compris que des pirates étaient en train de grappiller ce que je venais moi-même chercher!

Toujours tapi dans l’obscurité, j’attendis leur départ.

Je trouvai alors un fût éventré mais qui contenait encore de cet élixir tant convoité!

Mes bidons remplis, je remontai rejoindre mes camarades qui m’accueillirent en héros!

Le récit de l’aventure et le vin nous maintint éveillés toute la nuit. Nous ne nous lassions pas de commenter cette rencontre inattendue qui aurait pu m’être fatale.

Il faut dire que les pirates étaient très nombreux dans cette région qui sépare Langson de Cao-Bang. Descendants des Thaïs-Bleus, dénommés les « Pavillons Noirs », ils étaient connus pour leurs qualités de chasseurs de fauves et de combattants intrépides.

L’ennemi s’organisait au fil des jours et constituait son armée avec l’aide de ses alliés ou sympathisants.

La Chine fournissait l’encadrement et les soldats; Moscou assurait l’armement et les munitions, quand celles-ci n’étaient pas anglaises, américaines ou même françaises!!!

Ainsi, pendant mon séjour dans le Haut-Tonkin, j'appris que « Le Pasteur » avait été arraisonné par les services secrets du Général Jacquin, le navire transportant une importante cargaison d'armes d'infanterie et de munitions destinées à l'ennemi. Je ne sus jamais ce qu'il était advenu du Pacha mais son bateau fut immobilisé pendant plusieurs semaines dans la baie d'along.

Moi-même, j'ai récupéré plusieurs fois, à l'occasion d'embuscades, des armes ultra-récentes ( grenades, mitraillettes, fusils mitrailleurs...) toutes provenant de la manufacture de Tulles et destinées aux soldats de Hô Chi Minh...

Quoi qu'il en soit,de notre côté, le col de Long-Phaï était bien couvert militairement.

-L’artillerie française avait la réputation d’être l’une des meilleures du monde.C’était en tout cas l’avis de mes camarades légionnaires qui avaient déjà combattu sur bien des fronts.Elle était vénérée des anciens de Russie, du front de l’Atlantique et de l’Africa Corps.

A une distance de 12 ou 15 kilomètres elle pouvait, grâce à un réglage parfait pilonner un point déterminé à une centaine de mètres de nos troupes.

Elle nous sauva à maintes reprises de situations extrêmement périlleuses grâce à la précision de ses tirs.

-Tel n’était pas le cas de l’aviation dont nous craignions les erreurs d’objectifs: à l’apparition des chasseurs bombardiers venant en renfort, nous nous camouflions de peur de leur servir de cibles!

-Les Marsouins,commandos parachutés de l’infanterie de marine, nous vinrent aussi en aide bien des fois au Tonkin: combien moururent avant même de toucher le sol, leur parachute transpercé par des rafales de mitrailleuses ou leur corps venant s’empaler sur des bambous à l’atterrissage.

Lors de l’une de leurs interventions, j’eus le plaisir d’être convié à boire le champagne par trois d’entre eux, l’un des Marsouins ayant placé une bouteille dans son barda avant son départ. Au moment de se quitter, nous découpâmes le bouchon en quatre parties égales en y indiquant la date et en se faisant la promesse de conserver ce témoin d’un moment fort et insolite passé ensemble.

Je détiens toujours ce petit bout de souvenir dans mes reliques. A ce jour, il n’a pas retrouvé ses trois autres parties...

Du côté des viets, l’organisation guerrière commençait à s’avérer extrêmement efficace ; leurs récentes conquêtes de Ba-Khan et de Chu-Tong-Hoa pouvaient en témoigner.

Si certains bataillons étaient peu armés , d’autres l’étaient davantage, notamment ceux qui étaient formés en Chine où Giap, chef suprême de l’armée d’Hô Chi Minh, préparait son offensive sur toute la région nord-ouest du Tonkin.

Sur le col de Long Phaï nous continuions à préserver l’ouverture de la RC4 vers Cao-Bang en repoussant les assauts des attaques partisanes qui au fil des jours devenaient presque routinières!

Régulièrement, nous avions droit à quelques parachutages de munitions et de vivres de campagne...Je me souviens de cette fameuse « ration Pacific » contenant le corned-beef ou les sardines,les biscuits de soldat, la limonade en poudre, le paquet de cigarettes, la dose de quinine et le sachet de désinfectant pour l’eau .Notons que ces comprimés étaient indispensables, particulièrement quand nous devions remplir nos bidons d’eau récupérée dans des trous à buffles.

Lorsque le ravitaillement faisait défaut nous vivions de la nourriture que nous offraient généreusement les villageois dont l’attitude ne nous semblait pas hostile.

Nous constations que les villages n’étaient peuplés que de vieillards, de femmes et d’enfants...

Mais nous savions que des hommes étaient sans doute camouflés aux alentours et particulièrement dans les souterrains qui constituaient de véritables labyrinthes où se jouait la guerre secrète d’Indochine.

Les villageois dans la force de l’âge étaient enrôlés dans l’armée du Général Giap. Encadrés par des formateurs chinois, ces soldats étaient endoctrinés jusqu’au fanatisme.

Mais je pense que cette armée était aussi constituée à 50% de femmes qui formaient notamment les fameuses brigades de la mort.

Sur la RC4, les assauts répétés de l’ennemi attaquant les convois commençaient à fragiliser de plus en plus la place forte de Cao-Bang. Le ravitaillement n’arrivait plus, les munitions se faisaient de plus en plus rares alors même que la citadelle regroupait quelques 3000 hommes toutes armes confondues sous l’autorité de Charton.

That-Khe , autre place forte située entre Langson et Cao-Bang, était sous l’autorité de Lepage

Alors que Hanoï était le haut état-major, Langson était un sous état -major supervisant essentiellement les activités du Haut-Tonkin.

En Indochine à cette époque, la Légion étrangère était représentée par le 3ème REI ainsi que par un bataillon du train et deux bataillons de parachutistes basés dans la banlieue d’Hanoï.

Mais les forces armées étaient aussi constituées de troupes régulières telles que le CTM/CO, les 1er, 3ème et 11ème tabors, une unité de parachutistes Thos, le 3ème BCPC, le 1er chasseur ainsi que le 21ème régiment d’infanterie colonial.N’oublions pas l’armée de l’air, les services de santé ainsi que les transmissions et matériel du Génie.

Précisons qu’en cette année 1949-1950 , la Légion était essentiellement formée de soldats du 3ème REICH, véritables professionnels de la guerre ayant combattu sur tous les fronts de la Seconde guerre mondiale.

 

A suivre ...